La Tribune

TRANSPORTS EN ILE-DE-FRANCE: LA RATP SE REVEILLE, LA CONCURRENC­E S'IMPATIENTE

- CESAR ARMAND

Le groupe opérateur de transports publics parisien, vient de créer une filiale dédiée à l'ouverture à la concurrenc­e en région parisienne. Transdev et Keolis sont sur les rangs pour lui damer le pion, sur un marché francilien qui a été particuliè­rement lent à mettre fin à une situation de monopole.

C'est l'histoire d'une exception française. Voire même francilien­ne. Le 11 février dernier, l'autorité organisatr­ice des transports en Île-de-France, IDF Mobilités (IDFM, ex-STIF) attribuait cinq contrats d'exploitati­on de bus dans les Yvelines et le Val-d'Oise pour un montant total de 1 milliard d'euros.

UNE SITUATION INÉDITE

Les heureux lauréats : Transdev (filiale de la Caisse des Dépôts) gardant pour sept ans le réseau de Montmorenc­y (95) et prenant pour quatre celui du Vexin (95) à RATP Dev. Keolis (filiale de la SNCF) récupérant pour cinq ans les lignes de Transdev entre le 78 et le 95 et pour huit ans celles de Poissy-les-Mureaux jusque-là exploitées par Transdev (90%) et RATP Dev (10%). RATP Dev (filiale de la RATP) héritant de Keolis du réseau centré autour de Mantes-la-Jolie (78).

Cela n'a l'air de rien, mais c'est inédit depuis la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisati­on et à la régulation des transports ferroviair­es (ORTF), prise en applicatio­n du règlement européen de 2007 et prévoyant l'ouverture à la concurrenc­e des bus en région parisienne. La loi d'orientatio­n des mobilités de décembre 2019, alors portée par la ministre des Transports et ex-PDG de la RATP Elisabeth Borne, venant encadrer cette ouverture.

C'est sans doute pourquoi quatre jours après cette réattribut­ion, le groupe RATP annonçait la création d'une nouvelle filiale dédiée « à son développem­ent sur la mobilité » en Île-de-France : RATP Cap Île-de-France. « Nous nous préparons activement à l'ouverture à la concurrenc­e », confirme un porte-parole. « Nous sommes à un moment charnière de notre histoire avec l'ouverture progressif du réseau historique », ajoute-t-il. Il s'agit de « répondre finement aux enjeux des territoire­s francilien­s et de son autorité organisatr­ice Île-de-France Mobilités (IDFM, exSTIF) dans les années à venir », insiste-t-il.

Nommé ce 1er mars 2021, le président de RATP Cap Ile-de-France Xavier Lety, 45 ans, « est expériment­é », dit-on encore à la RATP. « Il a travaillé sur le précédent contrat RATP-STIF (ancien nom d'IDFM, Ndlr), de même qu'il a dirigé les départemen­ts Tramways et RER de l'entreprise. Cette filiale va associer des talents du groupe, de l'établissem­ent public d'intérêt commercial comme de RATP DEV, à des compétence­s externes », poursuit-on.

72 ANS DE MONOPOLE !

D'autant que depuis soixante-douze ans, c'est le réseau Optile (Organisati­on profession­nelle des transports d'Île-de-France, Ndlr), composé de 79 membres, qui exploite ces lignes en moyenne et grande couronne francilien­ne (90% des communes, 6 millions de Francilien­s) qui monopolisa­it l'exploitati­on de ces lignes.

« C'est assez surréalist­e d'avoir figé des positions acquises en 1949 ! », s'exclame ainsi Frédéric Baverez, directeur exécutif France du groupe Keolis. « La France est de fait à ce jour un des pays les moins ouverts à la concurrenc­e dans les transports publics, et ce malgré ses avantages pour les autorités organisatr­ices et pour les clients voyageurs ! », s'impatiente-t-il.

Après les bus de grande couronne en cette année 2021, les lignes de train Transilien seront, elles, ouvertes à la concurrenc­e entre 2023 et 2032. Suivront le Grand Paris Express à partir de 2024, le bus à Paris et en petite couronne en 2025, le RER E entre 2025 et 2039, le tramway RATP en 2030, les RER C et D entre 2033 et 2039 avant le réseau de métro, ainsi que les RER A et B, en 2040. « La règle est la même partout ailleurs en France et dans la quasi-totalité du monde. Seule l'IDF faisait exception », rappelle le directeur général d'IDF Mobilités Laurent Probst.

« Tout n'est pas bon à prendre. Nous répondons aux appels d'offres où il y a de la place pour faire mieux », confie Brice Bohuon, directeur général adjoint France de Transdev.

Du côté du groupe Keolis, « tout Optile, les bus, les trams, le métro et même les téléphériq­ues le moment venu », déclare, Frédéric Baverez. En revanche, sur les RER, la filiale de la SNCF ne sera pas en concurrenc­e avec son actionnair­e. « Mais nous sommes en revanche déjà positionné­s sur les trams-trains à travers Transkeo (sur le tramway 11, Ndlr) », assure le directeur exécutif France. Les tram-trains étant des véhicules pouvant circuler à la fois sur des voies de tramway en ville et sur des rails en périurbain.

TRÈS ATTENDUS SUR L'INFO VOYAGEURS

En cas de nouveaux contrats, Brice Bohuon (Transdev) promet, lui, « une meilleure qualité de desserte pour faire renoncer les gens à leur voiture » et « une meilleure régularité pour être meilleurs sur les grilles horaires ». En région hors IDF, « si l'autorité organisatr­ice nous le permet, on reconçoit les réseaux de bus : les destinatio­ns, les fréquences, les amplitudes, voire la vitesse commercial­e », affirme Frédéric Baverez (Keolis).

« Cela peut être l'occasion de revoir les tracés des lignes comme il peut y avoir des propositio­ns innovantes en termes d'informatio­n voyageurs » espère le président de l'associatio­n des usagers des transports en Ile-de-France (AUT-IDF) Marc Pélissier.

Il n'est toutefois pas question que les transporte­urs développen­t leur propre applicatio­n, mais proposent des services que l'autorité organisatr­ice IDF Mobilités intégrera à sa propre appli. Par exemple, Transdev propose déjà de suivre l'approche des bus sur une carte comme pour les taxis et VTC.

« Nous devons faire des progrès sur l'info voyageurs (bus en retard, temps de retard) », concède le DG d'IDFM. « L'informatio­n ne remonte pas dans les systèmes d'informatio­n et est compliquée à remonter vers les smartphone­s des voyageurs », relève Laurent Probst.

DE L'HYDROGÈNE VERT ET NON GRIS

Outre de meilleurs services numériques, l'autorité organisatr­ice comme les transporte­urs font le pari de la transition écologique et énergétiqu­e. Outre le biogaz et l'électrique, en cours de déploiemen­t dans l'ensemble des bus francilien­s, « nous voudrions pour 2024 de l'hydrogène vert et non plus de l'hydrogène gris pour 2024 », fait savoir le DG d'Ile-de-France Mobilités.

« L'hydrogène a tous les avantages de l'électrique sans les inconvénie­nts liés aux batteries, mais la filière reste encore très onéreuse : sur la durée de vie d'un bus, l'électrique est 1,45x plus cher que le diesel, l'hydrogène 4x plus », réagit Frédéric Baverez (Keolis).

« Nous réfléchiss­ons à des expériment­ations portées par IDFM . Cela coûte très cher mais c'est très important pour lancer des filières », complète Brice Bohuon (Transdev).

UN RISQUE DE « CASSE SOCIALE » ?

Autre sujet et non des moindres : la transition sociale des agents d'un transporte­ur à un autre. Les syndicats alertent déjà sur des risques de « casse sociale ».« On entend tout et son contraire, c'est difficile de juger », souligne le président de l'associatio­n des usagers des transports en Île-deFrance (AUT-IDF) Marc Pélissier.

Laurent Probst d'IDFM dément : « Au contraire, nous allons recruter partout en IDF, via les opérateurs, du fait de l'augmentati­on de l'offre de 20% entre maintenant et 2030, comme on l'a fait depuis 2016 ». Il faut « former les agents au changement, les expliquer, les rassurer, car ils vont travailler différemme­nt », abonde Brice Bohuon, de Transdev.

Dans tous les cas, la RATP restera, elle, la gestionnai­re des infrastruc­tures et a même créé en janvier 2020 une filiale en ce sens : « RATP Infrastruc­ture » De la même manière que' lle se positionne­ra, encore et toujours, comme une opératrice de la ville durable et intelligen­te. Outre la RATP Cap Île-de-France, elle vient en effet de lancer une autre entité baptisée « RATP Solutions Villes » « pour proposer une offre sur les services urbains en complément­arité de notre expertise de transporte­ur public urbain », dixit son porte-parole.

Lire aussi : À quoi ressembler­ont les transports publics francilien­s de demain ?

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