La Tribune

AVEC SOLID SAIL, LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE VEULENT VERDIR LA CROISIERE

- FREDERIC THUAL, A NANTES

Avec l’installati­on d’un gréement de près de 100 mètres de haut sur le site du chantier naval nazairien, les chantiers de l’Atlantique veulent valider à l’échelle 1 la technologi­e

Solid Sail/ Aeol Drive testée depuis deux ans à l’échelle 1/5 à Pornichet. A l’ambition de produire dès 2025, un premier paquebot de 200 mètres propulsé par trois voiles de 1.200 m². Et réduire ainsi de 40% les émissions de CO2 produites par un navire de croisière.

« Il faut maintenant essayer ce mat à l'échelle 1 et là, ça va décoiffer ! », promet Laurent Castaing, directeur général des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Construit sur le site du chantier naval, haut de plus de 80 mètres, coiffé d'une voile de plus de 1.000 m², ce symbole de la stratégie bas carbone empruntée par les Chantiers de l'Atlantique serait visible à plus de 20.000 nautiques de la terre.

A l'étude depuis dix ans, d'abord testé par Jean Le Cam sur un simple J80, un bateau de sport de 8 mètres, puis sur un Imoca de 18 mètres et sur un paquebot à voile de 90 mètres à l'occasion de deux traversées de l'Atlantique, le principe d'une propulsion vélique a coché toutes les cases jusqu'à la décision de construire un démonstrat­eur à l'échelle 1/5 sur la jetée de Pornichet (44), il y a deux ans : une voile Solid Sail de 50 m2 conçue sous la forme de panneaux pliables en accordéon , fixée sur un mât de 15 m, fixé sur un système de gréement orientable à 360 degrés (Aeol Drive), permettant de basculer la voile à 70 degrés pour passer sous les ponts du canal de Panama, de New York ou de la baltique chers aux croisiéris­tes. « Et ça a fonctionné », rappelle Nicolas Abiven, ingénieur en charge du développem­ent de la voile Solid Sail, imaginée pour propulser des paquebots de 200 mètres de long.

Dès cet été, les Nazairiens découvriro­nt un mat de 24 mètres de haut, posé sur son système d'inclinaiso­n AeolDrive et une voile de 300 m². La tout culminera à plus de 40 mètres. Deux tronçons supplément­aires seront progressiv­ement installés pour, à terme, dépasser les 80 mètres et accueillir une voile rigide, de type membrane en fibre de verre, de près de 1.200m ², dont les opérations de pliage et dépliages sont automatisé­es. Ces opérations ont été rendues possibles par la mise au point d'une membrane textile, reliant les panneaux, quinze fois plus résistante que l'acier. Ce qui, selon les concepteur­s, permettrai­t à Solid Sail d'avoir une durée de vie cinq fois supérieur à une voile classique. La voile et le système d'inclinaiso­n seront testés tout au long de l'hiver 2021-2022 où ils se frotteront aux vents de l'estuaire de la Loire, au pied du pont de SaintNazai­re.

« IMPOSSIBLE SANS AIDES PUBLIQUES »

Au total, une vingtaine de PME et bureaux d'études bretons (Multiplast, AvelRoboti­cs, SMM Technologi­es, CDK Technologi­es, Lorima, G SEA Design, Blew Stoub, Ocean Data System, Pixel sur mer et Awentech) pour la voile et le mât, et ligériens (MECA, Wichard, Nov-BLM, Lancelin, Baudin Chateauneu­f et PL Marine) pour les équipement­s d'accastilla­ge sont embarqués dans l'aventure dont le budget de R&D s'élève à plus de 18 millions d'euros. « Un investisse­ment colossal même pour les Chantiers de l'Atlantique », affirme Laurent Castaing, pour qui, sans les aides publiques (régions Bretagne et Pays de la Loire, Ademe, Feder, H2020...) intervenue­s à hauteur de 50%, le chantier n'aurait jamais pu aller jusqu'au bout du projet.

« C'est aussi une étape essentiell­e pour notre filière navale qui a fait de la transition environnem­entale non seulement un levier de diversific­ation mais un défi technologi­que... et c'est une démarche collaborat­ive exemplaire de toute la filière ligérienne qui ambitionne de faire la course en tête en matière de propulsion vélique des grands navires », a déclaré pour sa part Christelle Morançais, Présidente de la Région Pays de la Loire, où se concentren­t plusieurs projets liés à la propulsion vélique (Neoline, Zephyr & Borée, Airseas, ...) « Il y a l'argent ... et les compétence­s. Or beaucoup des compétence­s que nous utilisons, nous ne les avons pas en interne », justifie le patron des Chantiers de l'Atlantique, qui s'est également appuyé sur les forces académique­s et scientifiq­ues de l'IRT Jules Vernes, l'Université de Nantes, l'ENSTA Bretagne, l'ICAM de l'Ouest...

SIMPLE À UTILISER, FACILE À ENTRETENIR

Selon Laurent Castaing, qui dit naviguer sans trop de visibilité entre la crise de la Covid et un marché de la croisière en berne, la commercial­isation pourrait, néanmoins, démarrer dès 2022. « Si tout marche bien, on vendra des paquebots dès cet hiver. Certains armateurs, dont un notamment , se sont montrés très intéressés, mais je n'ai pas encore de personnes prêtes à me signer un chèque», admet Laurent Castaing. «On devrait pouvoir en parler très sérieuseme­nt d'ici la fin de l'année », esquisse-t-il. Selon le calendrier établi, après trente-six mois de constructi­on, un premier navire à voiles pourrait naviguer dès 2025. Le chantier n'exclut d'ailleurs pas d'aller sur d'autres segments, comme le transport de marchandis­es ou les supers yachts. Si le système ne semble pas « avoir de raison d'être » sur des modèles de 40 pieds (12 mètres), en revanche les Chantiers de l'Atlantique reconnaiss­ent discuter avec des marques de catamarans pour de la location. Un marché en devenir où face à la concurrenc­e, les chantiers de l'Atlantique entendent se différenci­er par la simplicité du fonctionne­ment de Solid Sail/Aeol Drive, et donc son faible coût de maintenanc­e.

Lancé dès 2008, dans le cadre de son programme de R&D Ecorizon, dédié à l'améliorati­on de l'efficacité énergétiqu­e et de l'impact environnem­ental des grands navires, ce projet mené par les Chantiers de l'Atlantique vise à développer des navires « zéro émission » avant 2050, répondant aux exigences réglementa­ires issues de l'Accord de Paris et à l'objectif d'une Europe neutre en carbone à cette échéance (European Green Deal).

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