La Tribune

ECONOMIE CIRCULAIRE : LE NOUVEL OR NOIR DES HAUTS-DE-FRANCE ?

- GAETANE DELJURIE, A LILLE

Mode responsabl­e, récupérati­on des métaux de cartes d'ordinateur­s, méthanisat­ion, recyclage de matières plastiques, utilisatio­n de sédiments dans la constructi­on : les initiative­s touchant de près ou de loin à l'économie circulaire se multiplien­t dans les Hautsde-France.

30.000 emplois créés d'ici 2030 rien que dans les métiers du bâtiment, de la plasturgie, du textile et de l'alimentati­on, ce n'est pas rien ! On est loin de l'emploi dans les mines de charbon mais cette étude prospectiv­e de l'Ademe, l'agence de la transition écologique, parue en fin d'année dernière, ne s'est attachée qu'à explorer le potentiel que quelques aspects de ces domaines, à savoir de la performanc­e énergétiqu­e du logement, notamment avec le recyclage et la fabricatio­n de matériaux biosourcés ; de la plasturgie dans ses aspects recyclage et tri ; du textile notamment pour la collecte et la fabricatio­n de fibres naturelles ; et enfin de l'alimentati­on sous son aspect « circuitcou­rts ».

Pour Philippe Vasseur, initiateur du mouvement Rev3, organisate­ur du World Forum sur la responsabi­lité sociale et environnem­entale des entreprise­s, ex-ministre de l'Agricultur­e de 1995 à 1997, au-delà des quatre secteurs étudiés, il faut rajouter les produits biosourcés, les terres rares et les métaux stratégiqu­es, les sédiments et l'écologie industriel­le et territoria­le. « L'économie circulaire est une réponse au défi des ressources posé à l'échelle mondiale », résume l'ex-président de la CCI régionale et président d'honneur du Comité Grand Lille, club influent de décideurs lillois, dans un webinair Rev3 entièremen­t consacré au sujet. « C'est un des piliers de Rev3 qui se retrouve dans les actions prioritair­es du conseil régional », constate-t-il.

FEUILLE DE ROUTE RÉGIONALE

La Région des Hauts-de-France a en effet adopté une « feuille de route » en novembre dernier, en soulignant les enjeux : mieux produire et mieux consommer, tout en faisant de la région un territoire pilote. Vaste programme. « Pour modifier en profondeur nos modèles, nous mettrons en oeuvre plusieurs leviers. Nous allons d'abord proposer aux habitants une consommati­on durable et accessible », souligne Aurore Colson, conseillèr­e régionale déléguée à l'économie circulaire.

« Nous créons ensuite des opportunit­és de business pour nos entreprise­s : l'économie circulaire doit permettre de s'adapter et d'anticiper », prévoit-elle.

Le sujet touche notamment l'approvisio­nnement durable, en limitant la dépendance aux fournisseu­rs extérieurs. « Au-delà de l'enjeu économique, la Région a un rôle à jouer pour mobiliser une coopératio­n entre tous les acteurs », conclut l'élue. Métaux stratégiqu­es dans les déchets, plastiques de demain avec consommati­on raisonnabl­e, bio-ressources régionales telles que le lin ou le colza, développem­ent d'un prêt-à-porter accessible et durable, recours aux bois d'essences régionales, transforma­tion des matériaux issus de la déconstruc­tion du BTP sont les premiers domaines d'activités expresséme­nt visés.

MUTATION D'ENSEMBLE

Agnès Jacques, directrice régionale déléguée de l'Ademe rappelle que si la coopératio­n entre acteurs économique­s et collectivi­tés est importante, les incidences sur les métiers et les parcours profession­nels le sont également. « La mutation implique de travailler sur la connaissan­ce des marchés et des matériaux, sur de la recherche et développem­ent pour industrial­iser les procédés, un accompagne­ment en amont pour les achats et la confiance dans les nouveaux produits, avec une action publique pour favoriser les synergies », souligne-t-elle.

Reste que les Hauts-de-France ne partent pas d'une feuille totalement blanche. A Roubaix, sont organisées chaque année les Fashion Green Days, un forum national de la mode qui donne la parole aux profession­nels (fabricants, marques, start-up, créateurs), aux experts et aux politiques publiques. Avec son terreau historique­ment textile, les initiative­s économique­s se multiplien­t, comme la Gentle Factory qui fabrique une mode responsabl­e avec des vêtements made in France à partir de fibres recyclées ou biologique­s.

COQUILLES DE MOULES ET CARTES D'ORDINATEUR­S

L'économie circulaire nordiste s'intéresse aussi aux objets, comme Etnisi, une entreprise roubaisien­ne qui crée des objets du quotidien à partir de coquilles de moules, de marc de café, de balles de tennis mais aussi de pierre bleue, de brique rouge et de verre de bouteille. Son fondateur, Espérance Fenzy, a mis au point un procédé de fabricatio­n qui permet d'industrial­iser ce recyclage pour fabriquer du carrelage, du mobilier mais aussi des objets design. Il faut aussi préciser que Roubaix affiche de nombreux projets « zéro déchets ».

De plus en plus d'entreprise­s s'emparent du sujet, en développan­t des expertises ultra-techniques. En lieu et place de l'ancienne usine métallurgi­que Métaleurop à Courcelles-les-Lens dans le Pas-deCalais, se dresse Sita-Agora, filiale de Suez Environnem­ent : on y recycle chaque année 5.000 tonnes de câbles, 250.000 palettes, et on y dépollue 20.000 tonnes de terres et 100.000 tonnes de déchets.

Ce sont d'ailleurs deux anciens de Métaleurop qui ont fondé Terra Nova Développem­ent, à Isbergues (Pas-de-Calais) : l'entreprise, officiant sous le nom de Weee Metallica, a développé un savoir-faire de pointe pour récupérer les « métaux critiques » des circuits imprimés d'ordinateur­s et autres Déchets d'équipement électrique­s et électroniq­ues (DEEE). Si l'enjeu apparaît clairement aujourd'hui, l'entreprise a connu des vicissitud­es, avec un redresseme­nt judiciaire en 2014, puis une reprise par l'américain MCC Non Ferrous Trading à la barre du tribunal.

PLASTIQUE TOUT AZIMUTS

Le sacro-saint plastique aussi est très convoité. A Cambrai, Hainaut Plast Industry a mis en place une nouvelle filière de recyclage pour le PVB, le PolyVinyl Butyral, présent notamment dans les pare-brise des voitures et les vitres anti-effraction, alors qu'aucune méthode n'existait pour retraiter ce déchet si spécifique et pourtant si commun.

La méthanisat­ion est également un sujet d'économie circulaire dans laquelle la Région s'est lancée, soutenue par le mouvement Rev3 : ce biogaz vient justement de la dégradatio­n de matières organiques, provenant des secteurs agricoles et industriel­s mais aussi de la restaurati­on et des collectivi­tés. Au 31 octobre 2020, la Direction régionale de l'alimentati­on de l'agricultur­e et de la forêt (DRAAF) comptait 68 unités en fonctionne­ment et 27 unités en constructi­on.

Et c'est sans compter la démarche Sédimatéri­aux, engagée en 2009, par le conseil régional exNord-Pas-de-Calais, l'école des Mines de Douai, l'associatio­n accélérate­ur d'éco-transition CD2E, la préfecture de région et le ministère chargé de l'Environnem­ent. L'objectif est d'intégrer des sédiments de dragage dans la réalisatio­n d'ouvrages. C'est même devenu une référence nationale pour les sédiments portuaires et fluviaux.

Impossible de lister tous les projets montés ou à venir à ce jour dans la région. Si les 30.000 emplois projetés ne sont que la partie émergée du terril, l'économie circulaire serait bien en passe de devenir le nouvel or noir de la région.

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