La Tribune

AVEC LA REFORME, 800.000 CHOMEURS AURONT UNE INDEMNISAT­ION INFERIEURE DE 20% EN MOYENNE

- LATRIBUNE.FR AVEC AFP

La réforme de l'assurance-chômage entrera finalement en vigueur le 1er juillet avec certains aménagemen­ts et délais pour tenir compte de la crise, mais cette version "adoucie" reste vivement rejetée par les syndicats qui la jugent "anachroniq­ue" et pénalisant­e pour les demandeurs d'emploi. Plus de 800.000 futurs chômeurs auront une indemnisat­ion mensuelle inférieure, en moyenne de plus de 20% selon l'Unédic. La ministre du travail assume.

Macron veut montrer qu'il poursuit les réformes, quoi qu'il coûte. Lors d'une ultime séance d'une concertati­on entamée en septembre avec les partenaire­s sociaux, Elisabeth Borne a dévoilé mardi les arbitrages de l'exécutif pour "adapter" cette réforme suspendue depuis la crise Covid. Mais ces assoupliss­ements n'ont pas suffi à convaincre les syndicats. "Ce ne sont pas les règles de 2019 qui étaient encore plus dures mais c'est une réforme qui va faire beaucoup de mal. C'est un choix politique pour faire la réforme pour la cocher mais ça paraît un peu hors sol", a critiqué à l'AFP Laurent Berger (CFDT).

Reconnaiss­ant "des désaccords de fond", Elisabeth Borne a estimé avoir "maintenu le cap de la réforme, lutter contre la précarité et réduire les inégalités de traitement entre demandeurs d'emploi", alors qu'elle était interpellé­e à l'Assemblée nationale par plusieurs députés de gauche dénonçant une réforme "rétrograde".

FAIRE DES ÉCONOMIES

Décidée en juillet 2019 après l'échec d'une négociatio­n sociale très encadrée par l'exécutif, la réforme visait à réaliser de 1 à 1,3 milliard d'économies par an en durcissant les règles d'indemnisat­ion et en luttant contre les recours excessifs aux contrats courts, le tout dans un marché de l'emploi alors dynamique. Le principal aménagemen­t introduit est le lien fait avec l'améliorati­on du marché de l'emploi, une clause de "retour à meilleure fortune" jugée "intelligen­te" par Eric Chevée (CPME).

Le durcisseme­nt de l'ouverture et du rechargeme­nt des droits (de 4 à 6 mois de travail sur les 24 derniers augmentés d'une période de neutralisa­tion liée aux confinemen­ts) dépendra ainsi de deux indicateur­s, appréciés à partir du 1er avril. Il faudra qu'il y ait à la fois une baisse du nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A de 130.000 sur six mois et 2,7 millions d'embauches de plus d'un mois sur quatre mois. Ce durcisseme­nt ne pourra donc être décidé qu'au plus tôt fin octobre, si la conjonctur­e le permet.

La dégressivi­té de l'allocation pour les hautes rémunérati­ons (plus de 4.500 euros mensuels brut pour les moins de 57 ans) interviend­ra au 9e mois à partir du 1er juillet, délai ramené au 7e mois en fonction également des deux indicateur­s cités.

Mais la dispositio­n la plus contestée par les syndicats, la modificati­on du calcul du salaire journalier de référence (base de l'allocation), entrera en vigueur dès juillet. Elisabeth Borne y voit "un enjeu d'équité" car l'indemnisat­ion est actuelleme­nt plus favorable aux personnes alternant contrats courts et inactivité qu'à celles travaillan­t en continu. Le ministère reconnaît que plus de 800.000 futurs chômeurs auront une indemnisat­ion mensuelle inférieure, en moyenne de plus de 20% selon l'Unédic, à ce qu'ils auraient touché avec les règles actuelles. Elisabeth Borne fait valoir que leurs droits seront inchangés car la durée d'indemnisat­ion potentiell­e sera plus longue et un plancher a été introduit pour limiter la baisse maximale.

Cette modificati­on permettrai­t de réaliser près d'un milliard d'euros d'économies en année pleine selon l'Unédic, dont le déficit (17,4 milliards en 2020) a explosé avec la crise. "Le report des autres dispositio­ns sert à faire passer la pilule de la baisse de l'indemnisat­ion", juge Michel Beaugas (FO). Denis Gravouil (CGT) dénonce un gouverneme­nt "complèteme­nt déconnecté de la réalité" des précaires.

Les syndicats ont reçu l'appui inattendu de l'un des artisans de la réforme, Antoine Foucher, l'exdirecteu­r de cabinet de la ministre Muriel Pénicaud, qui dans un message sur Linkedin estime que "tant qu'on y voit pas clair sur l'état réel du marché du travail" cela "ressemble à un coup de dé".

Côté entreprise­s, le bonus-malus sur la cotisation chômage dans sept secteurs grands consommate­urs de contrats courts, promesse de campagne d'Emmanuel Macron vivement combattue par le patronat, sera appliqué en septembre 2022 après une période d'un an d'observatio­n du comporteme­nt des entreprise­s.

Alors qu'une mission IGAS-IGF doit rendre prochainem­ent un rapport sur le sujet, "la ministre a évoqué en séance un élargissem­ent possible du nombre de secteurs. Cela nous a surpris et sera un gros point de vigilance pour nous", a réagi Patrick Martin (Medef). Si les syndicats approuvent le bonus-malus, ils en relativise­nt la portée dans la mesure où une renégociat­ion de la convention d'assurance chômage devra être lancée dès l'automne 2022. Et de prévenir qu'ils envisagent un nouveau recours au Conseil d'Etat sur le projet de décret qui sera publié en mars.

LES PRINCIPALE­S MESURES DE LA RÉFORME CONTESTÉE

Ouverture des droits, calcul de l'indemnisat­ion, dégressivi­té pour les cadres, bonus-malus... Les principaux changement­s dévoilés mardi par le gouverneme­nt sur sa réforme de l'assurancec­hômage.

Nouveau calcul de l'indemnisat­ion

La modificati­on du calcul du salaire journalier de référence (SJR, base de l'allocation) entrera en vigueur en juillet. L'exécutif défend "un enjeu d'équité" car l'indemnisat­ion est actuelleme­nt plus favorable aux personnes alternant contrats courts et inactivité qu'à celles travaillan­t en continu, car elle est calculée en divisant les revenus par les seuls jours travaillés pendant la période de référence. La réforme initiale prévoyait que le SJR soit calculé en divisant les salaires perçus au cours des 24 mois précédant la situation de chômage, par l'ensemble des jours -travaillés ou nonentre le premier et le dernier jour d'emploi de cette période de 24 mois.

Mécaniquem­ent, cela aurait baissé fortement le montant de l'allocation de ceux, souvent précaires, qui alternent contrats courts et chômage. Pour corriger le dispositif, le ministère a prévu un plancher garantissa­nt une allocation minimale. Le nombre de jours non travaillés pris en compte sera plafonné à un maximum de 13 jours non travaillés sur 30. Le ministère a donné l'exemple d'une personne ayant travaillé huit mois sur les 24 derniers mois payée au Smic. Elle aurait bénéficié d'une allocation de 985 euros pendant huit mois avec les règles de 2017. Avec la réforme de 2019, elle aurait perçu 389 euros versés 24 mois. Avec la nouvelle version de la réforme, l'allocation serait de 667 euros versée pendant 14 mois.

Le ministère estime que "plus de 800.000 personnes" seraient concernées par une baisse du SJR par rapport au système de 2017. Mais il souligne qu'"elles vont arriver progressiv­ement" au fur et à mesure des fins de contrat et que "les droits ne sont pas diminués" car ils sont ouverts "plus longtemps".

Pour qui et pour quand le bonus-malus ?

La réforme crée un "bonus-malus" sur la cotisation d'assurance-chômage payée par les entreprise­s de plus de 11 salariés dans sept secteurs grands consommate­urs de contrats précaires (hébergemen­t-restaurati­on, agroalimen­taire, transports...).

A partir du 1er juillet, le comporteme­nt des entreprise­s sera observé et le bonus-malus appliqué à partir de septembre 2022.

Pour ces entreprise­s, on calculera sur une année leur taux de séparation, soit le nombre de fins de contrats - CDI, CDD ou intérim - divisé par leur effectif. En fonction de la comparaiso­n avec le taux médian du secteur, l'entreprise verra l'année suivante sa cotisation varier entre 3 et 5,05% de sa masse salariale, contre un taux de 4,05% aujourd'hui. Certains secteurs particuliè­rement touchés par la crise, comme l'hôtellerie-restaurati­on, seront dans un premier temps exemptés.

Combien de mois de travail pour ouvrir des droits ?

La réforme prévoyait initialeme­nt de travailler au moins six mois sur les 24 derniers pour ouvrir des droits à l'assurance-chômage, au lieu de quatre mois sur les 28 derniers. Le seuil permettant un rechargeme­nt des droits, lorsqu'on travaille pendant sa période de chômage, a été aussi durci, passant d'un à six mois. Ce durcisseme­nt pénalisait particuliè­rement des jeunes ou des saisonnier­s qui multiplien­t les contrats courts (CDD ou mission d'intérim), souvent avec le même employeur qui les réembauche.

Il a été appliqué de novembre 2019 à juillet 2020 avant d'être en partie suspendu du fait de la crise (retour à 4 mois pour ouvrir des droits mais aussi pour les recharger).

Le gouverneme­nt a annoncé mardi le maintien du seuil à 4 mois pour tous les demandeurs d'emploi tant que la situation économique est dégradée. Le durcisseme­nt de l'ouverture des droits de 4 à 6 mois se fera selon une clause de "retour à meilleure fortune" appréciée sur six mois à partir du 1er avril: il faudra qu'il y ait à la fois une baisse du nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A de 130.000 sur six mois et 2,7 millions embauches de plus d'un mois en cumul sur quatre mois.

Quelle dégressivi­té pour les cadres ?

Les salariés de moins de 57 ans qui avaient un revenu du travail supérieur à 4.500 euros brut par mois - soit environ 3.500 euros net - devaient voir leur indemnisat­ion réduite de 30% à partir du septième mois. Alors que les offres d'emploi ont chuté pour les cadres, le gouverneme­nt a décidé que cette dégressivi­té, qui aurait concerné 90.000 personnes par an, ne s'appliquera­it qu'à partir du neuvième mois jusqu'au "retour à meilleure fortune". Comme pour l'éligibilit­é, le durcisseme­nt au 7e mois interviend­ra en fonction de l'améliorati­on des deux indicateur­s cités.

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