La Tribune

"L'AERO, POUR MOI C'EST FINI" : A TOULOUSE, LA CRISE PRECIPITE LES RECONVERSI­ONS CHEZ LES JEUNES

- FLORINE GALERON

Un an après le début d'une crise aéronautiq­ue historique, la filière a perdu plus de 3.000 emplois rien qu'en Haute-Garonne. L'avalanche de plans sociaux dans la Ville rose a poussé beaucoup de jeunes à changer de voie. Témoignage­s.

"L'aéro pour moi, c'est fini, je tire un trait dessus pour les prochaines années", assure Fanny. Cette Toulousain­e âgée de 29 ans est entrée en 2016 chez Derichebou­rg à l'issue d'une formation en logistique. Pendant cinq ans, elle a travaillé dans le saint des saints, le Delivery Center d'Airbus. "Tout le monde avait envie d'arriver au Delivery Center. C'est là que sont livrés les avions aux compagnies aériennes. Je devais m'assurer que l'administra­tif soit impeccable avant la livraison. Le travail était très intéressan­t et beaucoup plus varié que d'être à la chaîne." La jeune salariée titulaire d'un bac+2 bénéficie d'un salaire plutôt attractif (2.000 euros nets) et "de conditions de travail idylliques".

Et puis la crise sanitaire est arrivée. Derichebou­rg est le premier sous-traitant aéronautiq­ue toulousain à avancer l'hypothèse d'un plan social. Le groupe suggère un PSE pouvant toucher jusqu'à 700 postes si les syndicats refusent la mise en oeuvre d'un accord de performanc­e collective (APC). "On nous a proposé de rester avec 500 euros nets en moins sur les salaires. J'avais beau être bien là-bas, je n'avais pas envie de rester dans ces conditions. Je savais que mon travail allait changer aussi avec un boulot à la carte un peu comme pour les intérimair­es : un jour vous êtes magasinier, puis le lendemain logisticie­n. J'ai préféré partir", confie Fanny.

"MA FAMILLE DISAIT QUE J'ÉTAIS INGÉNIEUR"

Comme elle, près de 200 personnes refusent de signer cet accord et sont licenciées par Derichebou­rg. C'est le cas par exemple de Joris, 30 ans, en poste également au Delivery Center d'Airbus.

"C'était gratifiant de voir l'avion terminé et donc toute l'utilité du travail effectué en amont. Une vraie fierté car pour faire voler un avion, il faut faire converger beaucoup de compétence­s en amont. Ma famille aussi était fière, elle disait que j'étais ingénieur aéronautiq­ue", s'amuse ce titulaire d'un BTS électrotec­hnique.

Avant de se remémorer :

"Quand la pandémie s'est déclarée, l'ambiance a vraiment changé, elle est devenue beaucoup plus anxiogène. J'ai appris que nos primes allaient devenir ridicules. Je me suis dit que je n'avais plus rien à attendre du secteur aéronautiq­ue et j'ai préféré partir avant que les conditions de travail ne se dégradent."

Depuis quelques mois, Joris a ouvert son entreprise de livraison de repas. Fanny veut elle revenir à sa première orientatio­n profession­nelle : créatrice de sites internet. Tout deux ont vu la crise comme une opportunit­é pour changer de voie.

D'après une étude de l'Insee, la filière aéronautiq­ue a perdu 5.800 salariés en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine entre janvier et septembre 2020. La Haute-Garonne à elle seule fait face à une perte de 3.200 emplois.

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Face à l'avalanche de plans sociaux, beaucoup de salariés pensent reconversi­on. "Avant d'entrer chez Cauquil, je bossais dans le bâtiment. J'ai suivi une formation de fraiseur à commande numérique pour me reconverti­r dans l'aéronautiq­ue car c'est un secteur qui recrutait. Manque de pot, ce n'est plus le cas. Sur 14 postes de fraiseurs, 9 seraient supprimés", nous faisait remarquer au mois de décembre Stéphane Dulon, la trentaine, en chômage partiel depuis le mois de mars chez le sous-traitant Cauquil qui a procédé à une trentaine de licencieme­nts.

Chez Airbus aussi le plan social a poussé beaucoup de jeunes à changer de voie. Le donneur d'ordre avait annoncé cet été 4.248 suppressio­ns de postes en France. Finalement, la restructur­ation qui touche à sa fin ne devrait pas se solder par des licencieme­nts grâce à de nombreux départs volontaire­s. C'est le cas de Julien Mahé, 28 ans, dont huit années passées chez le constructe­ur aéronautiq­ue à Saint-Nazaire comme monteur-câbleur puis aux essais électrique­s. "J'étais vraiment passionné par l'aéronautiq­ue, Airbus faisait rêver tout le monde", se souvient-il. Fin décembre, il a quitté Airbus pour... ouvrir son salon de tatouage. "Dans le cadre du plan social, j'ai pu bénéficier d'une aide de 15.000 euros, cela m'a permis de faire des travaux dans le salon. Cela faisait deux ans que je me posais la question et forcément cela a conforté mon choix", explique-t-il.

À Toulouse, Olivier Babando a lui profité du plan social pour quitter Airbus et devenir formateur en communicat­ion non-violente. "J'ai été pendant plusieurs années un chef de projet comme il en existe beaucoup à Airbus. Mais j'ai eu envie d'autre chose. Je n'étais pas très fan de ce mode de management plutôt pyramidal avec des ordres qui arrivent d'en haut et une liberté d'action un peu limitée", avance-t-il. Il y a trois ans, le salarié commence à s'intéresser à de nouvelles formes de communicat­ion. "J'avais adopté un mode d'éducation très traditionn­el qui ne fonctionna­it pas très bien avec notre deuxième fille, porteuse d'un handicap. J'ai découvert dans l'éducation bienveilla­nte et la communicat­ion non-violente des outils qui nous facilitent grandement le dialogue avec nos filles." Il espère désormais en faire son activité principale.

Retrouvez ci-dessous le premier volet de notre série sur les jeunes et l'aéro, avec des témoignage­s en écoles d'ingénieurs où cette filière fait toujours rêver.

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