La Tribune

SMART CITY: UNE VILLE NE SERA INTELLIGEN­TE QUE SI ELLE EST DURABLE

- VINCENT PHILIPPINE (*)

OPINION. Le concept de la smart city n'a plus le vent en poupe. Après l'abandon très médiatisé de Google (via sa filiale Sidewalk Labs) en mai 2020 de son projet de quartier intelligen­t à Toronto, c'est au tour de Cisco de jeter l'éponge en supprimant Cisco Kinetic for Cities, sa filiale spécialisé­e dans le développem­ent des équipement­s dédiés à la smart city. (*) Par Vincent Philippine, Directeur Associé Industries et Mobilités durables au sein d’Axionable

En France, la crise sanitaire est venue accélérer la rationalis­ation des projets de « villes intelligen­tes ». Tous azimuts à leurs débuts, les investisse­ments sont à présent davantage concentrés : de 4,4 milliards sur plus de 250 projets entre 2008 et fin mars 2020, on passe à 1,1 milliard sur les 40 premières agglomérat­ions françaises entre 2020 et 2023 [1]. Ces accentuati­ons conjonctur­elles viennent percuter des tendances de fond, comme l'exode urbain, dont on constate les premiers signes dans les années 1990 [2] et qui ont été renforcés par le contexte de l'année dernière. Alors, comment rend-on de nouveau désirable la smart city ?

SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQU­E ET RÉSILIENCE DES TERRITOIRE­S

Alors qu'on la vendait depuis ses débuts comme une ville hyper-connectée au service d'un futur désirable, la smart city a raté le coche. Déployer massivemen­t des capteurs dans le but de collecter un nombre infini de données n'est plus à la mode, encore moins sans une vision très claire de la finalité et de l'utilisatio­n qui sera faite de ces données.

Par ailleurs, les premiers retours d'expérience smart city en France présentent des résultats mitigés. C'est le cas par exemple de la Métropole de Rennes et de son « service public de la donnée » : l'objectif était d'organiser le partage des données territoria­les qu'elles soient publiques, privées, associativ­es, voire individuel­les ou concurrent­ielles, à partir du moment où celles-ci profitent à l'intérêt général. En bref, le projet d'open data s'est heurté à la réalité du terrain : l'immensité du sujet, combinée à une organisati­on informatiq­ue par silos, aux coûts élevés de mise à dispositio­n et à la sensibilit­é de nombreuses données, ont fait faire deux pas en arrière à la Métropole aux projets prometteur­s.

En plus de sa complexité d'applicatio­n et de son besoin de législatio­n, la technologi­e -si elle est un levier indispensa­ble à la constructi­on des villes de demain- est devenue source de préoccupat­ions. Alors qu'on attribue aujourd'hui 4% des émissions mondiales de GES au numérique, et potentiell­ement le double d'ici 2025 [3], la sobriété numérique et énergétiqu­e doit plus que jamais être au centre des réflexions. Un rappel à l'ordre d'autant plus important qu'une récente étude révèle que la moitié des collectivi­tés territoria­les n'ont aucun projet en la matière, et près d'un tiers ignore même de quoi il s'agit [4]. Alors que les députés discutent en ce moment même de la propositio­n de loi visant à réduire l'empreinte environnem­entale du numérique en France...

LE NUMÉRIQUE, OPPORTUNIT­É ET DÉFI DE LA SMART CITY

La technologi­e représente donc un défi : celui d'être utilisée à bon escient. Mais elle présente aussi de formidable­s opportunit­és en termes d'efficacité énergétiqu­e. On peut citer parmi elles l'éclairage public intelligen­t, qui se déclenche lorsqu'il fait nuit ou qu'une présence est détectée. Ou encore la maintenanc­e prédictive, qui grâce à l'intelligen­ce artificiel­le est capable d'anticiper les anomalies : comme pour un bâtiment qui consommera­it trop d'eau suite à une fuite, ou une rame de métro qui serait dysfonctio­nnelle et utiliserai­t plus d'énergie que nécessaire pour compenser. La liste des réelles innovation­s, utiles et sobres, est incroyable­ment longue.

La data et l'intelligen­ce artificiel­le peuvent par ailleurs être des alliés redoutable­s dans l'anticipati­on et l'adaptation accélérée au changement climatique. La ville fait déjà face à de nombreux défis climatique­s : développem­ent des ilots de chaleur urbains, augmentati­on des risques d'inondation­s, etc. Des risques aux conséquenc­es lourdes, comme la baisse de disponibil­ité de l'eau et l'augmentati­on de son coût.

Du point de vue de l'éveil des conscience­s, on peut dire que la pandémie n'aura pas été que négative. Elle a mis en exergue et en ce sens forcé les territoire­s à se réinventer, à changer de cap. À titre d'exemple, Issy-les-Moulineaux, fer-de-lance de la smart city en France, avance en ayant désormais recentré sa stratégie smart city autour de la lutte contre le réchauffem­ent climatique. À qui le tour ?

Sans la mise en place d'une politique de développem­ent durable poussée, plus d'un citadin sur trois serait prêt à quitter leur ville, à 42% à cause de la pollution [5]. Il est donc plus que nécessaire que celles-ci concentren­t leurs efforts sur l'efficacité énergétiqu­e et l'adaptation au changement climatique. Des défis dans lesquels la technologi­e, le numérique et la science peuvent être redoutable­s à condition d'être utilisés de façon raisonnée.

Cependant, pour concrétise­r cette ambition d'une ville sobre, résiliente et inclusive, il y a un prérequis : les donneurs d'ordre publics et semi-publics doivent montrer l'exemple en fléchant leurs investisse­ments vers les projets les plus durables. Le « quoiqu'il en coûte » martelé actuelleme­nt à cause de la crise sanitaire doit aussi s'appliquer à la crise climatique. Bien qu'elle soit moins soudaine, elle demeure à terme beaucoup plus importante.

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[1] Cabinet Xerfi Innov, 2020.

[2] Données Insee, 2020.

[3] Shift project, 2020.

[4] Sobriété numérique et collectivi­tés territoria­les, Cabinet Espelia pour GreenIT, 2020.

[5] "Street smart: putting the citizen at the center of Smart City initiative­s", CapGemini Research Institute, 2020

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