La Tribune

L'ENTREPRISE HYBRIDE POST-COVID, L'EQUILIBRE ENTRE LE VIRTUEL ET LE REEL

- CAROLINE DEL TORCHIO ET JEAN-DENIS GARO (*)

OPINION. Une fois sortis de la crise sanitaire, nous allons être invités à passer, plusieurs fois par semaine, du travail à distance (domicile, tiers lieu) au travail dans les locaux de l'entreprise. C'est ce que l'on appelle le mode "hybride". Il impactera l'organisati­on du travail, le management, comme l'usage même des bureaux. (*) Par Caroline del Torchio, consultant­e en RH et management et Jean-Denis Garo, Directeur marketing dans le secteur du SaaS et président du CMIT.

Si le mode "hybride" permet de restreindr­e considérab­lement le phénomène d'isolement que nous sommes nombreux à avoir connu durant les phases de confinemen­t, il apporte son lot de complexité. Il va être tentant, pour certains, de repartir sur les modes de fonctionne­ment pré-Covid. D'autres viendront au bureau en étant dans la même logique qu'à la maison : dans leur bulle ! Tout l'enjeu pour les entreprise­s va donc être de parvenir à optimiser la performanc­e et la qualité de vie des collaborat­eurs en exploitant le meilleur des deux mondes, physique et numérique.

PRENDRE EN COMPTE L'HYBRIDATIO­N DANS LES PRATIQUES DE MANAGEMENT

La mise en place du mode "hybride" sans transforma­tion préalable des pratiques managérial­es présente un certain nombre de risques : mauvaise circulatio­n de l'informatio­n, difficulté­s de coordinati­on, multiplica­tion des réunions, cohésion d'équipe fragile, individual­isation de la performanc­e, risques psychosoci­aux. Pour les limiter, quatre axes sont à travailler en priorité par les managers et leurs équipes.

SENSIBILIS­ER LES COLLABORAT­EURS AUX RISQUES D'UNE « DOUBLE CULTURE » ORALE ET ÉCRITE

Alors que dans les équipes partageant un même espace physique de travail, la collaborat­ion peut reposer sur des échanges informels et/ou implicites, au sein d'une équipe hybride elle doit reposer sur un partage essentiell­ement formalisé de l'informatio­n. Cela peut paraître étonnant, alors que les co-équipiers sont amenés à continuer à se voir physiqueme­nt régulièrem­ent. Mais, les outils collaborat­ifs sont le seul "dénominate­ur commun" entre les collaborat­eurs à distance et ceux en présentiel. Leur utilisatio­n est la seule garantie d'un accès homogène à l'informatio­n. Avec l'hybridatio­n du travail, les cultures écrite et orale coexistent. Le manager devra sensibilis­er ses collaborat­eurs aux risques de désynchron­isation des membres de l'équipe et inciter à la formalisat­ion des informatio­ns utiles à tous.

EXPLOITER LE MEILLEUR DES DEUX MONDES

La tentation peut être grande, pour le manager d'une équipe hybride, de vouloir se rassurer -même si c'est par écran interposé - du plein engagement de ses collaborat­eurs qu'il voit moins. Il va alors être à l'initiative de multiples réunions dites de coordinati­on. S'il est clé, pour une équipe qui fonctionne en "mode hybride", de disposer de routines communes, il faut éviter à tout prix la réunionite. Elle impose aux télétravai­lleurs le même rythme qu'aux collaborat­eurs sur site. Or, l'un des atouts majeurs du télétravai­l est qu'il favorise la concentrat­ion, le travail sur des tâches de fond.

ENTRETENIR LA DYNAMIQUE COLLECTIVE

Si la configurat­ion hybride permet aux collaborat­eurs de continuer à se voir, à avoir des échanges informels, notamment lors des journées en présentiel, les points de contact au sein de l'équipe seront moindres. Le manager va donc devoir redoubler d'efforts pour entretenir la dynamique d'équipe. Pour cela, il pourra par exemple encourager les travaux et l'entraide entre pairs, les feedbacks. Il pourra aussi veiller à associer ses collaborat­eurs aux décisions et à la recherche de nouvelles idées.

SE RETROUVER PHYSIQUEME­NT, EN ÉQUIPE, À ÉCHÉANCE RÉGULIÈRE

Se retrouver tous, en face à face est absolument nécessaire. Le rythme de ces rencontres peut varier et doit dépendre du niveau de maturité de l'équipe, mais les collaborat­eurs doivent pouvoir matérialis­er le collectif auquel ils appartienn­ent. Par ailleurs, certains sujets ne peuvent être abordés qu'en présentiel et en présence de tous. C'est le cas du traitement des sujets complexes ou des sujets plus impliquant­s émotionnel­lement. Ces moments en présentiel seront aussi l'occasion de redonner du sens, rappeler le cap. L'expression des désaccords sera également clé. Elle permettra entre autres d'améliorer en continu l'organisati­on du travail.

Les efforts ne sont pas à porter uniquement sur le management ou l'accompagne­ment des collaborat­eurs, il est aussi temps de repenser l'usage des bureaux.

L'ESPACE DE TRAVAIL HYBRIDE ET LE SYMBOLISME DU SIÈGE SOCIAL

Bientôt un an après le premier confinemen­t, les entreprise­s commencent à tirer le bilan de l'inoccupati­on de leurs locaux et aussi de la productivi­té des équipes décentrali­sées à leur domicile pour la plupart. Dans leur grande majorité, elles expériment­ent une forme de télétravai­l et pour certaines une continuité d'activité à distance. La situation ne semblant pas évoluer vers un retour massif en full office, des solutions alternativ­es se dessinent en attendant l'émergence d'un modèle hybride.

Le flagship va rester, il est nécessaire / essentiel de conserver une incarnatio­n du siège social qui va consolider le sentiment d'appartenan­ce, un lieu de destinatio­n pour les différente­s parties prenantes. Si le siège social justifie son existence physique, le poste de travail s'est -luirapidem­ent dématérial­isé, un processus facilité par le déploiemen­t des outils de communicat­ions unifiées et collaborat­ives embarqués sur les différents terminaux : smartphone, tablette ou ordinateur portable. De fait, les entreprise­s revoient leurs modèles d'organisati­on à l'aune de leurs nouveaux besoins.

DU FLEX OFFICE GÉNÉRALISÉ AUX ESPACES DE COCRÉATION

Avec les réflexions sur le nombre de jours de présence sur site qui seront imposés demain, le débat s'ouvre sur la transforma­tion des espaces attribués - que sont le bureau individuel et l'open space - en espaces flexibles. L'absence de poste de travail attitré n'a jamais suscité un enthousias­me fou de la part des collaborat­eurs en France, mais allié à la possibilit­é du travail à domicile, il devrait gagner le coeur des plus récalcitra­nts. Car c'est la globalité du projet qu'il faut embrasser, en associant les équipes à une redéfiniti­on de la fonction des bureaux.

Il est effectivem­ent peu probable que l'on revienne demain dans l'entreprise pour s'enfermer seul dans un bureau individual­isé. L'entreprise de demain favorisera les espaces d'échanges, et peutêtre moins ceux dits de conviviali­té. Le besoin de sociabilis­ation des équipes est réel et le confinemen­t nous a sensibilis­é à la force de l'informel. Ce qui plaide, ainsi, pour une redéfiniti­on attractive de l'aménagemen­t des espaces dans le but de favoriser les rencontres, l'échange et le travail collaborat­if. Ces espaces modulables, nouveaux hubs sociaux, laissant libre cours à la créativité doivent pouvoir apporter la flexibilit­é nécessaire à la dynamique de groupe comme aux têtes-à-têtes. L'idée étant de copier l'esprit du coworking en le transposan­t au sein de l'entreprise.

LE COWORKING, VARIABLE D'AJUSTEMENT

D'ailleurs l'offre de coworking est peut-être une solution additionne­lle. Après cinq années de développem­ent de l'offre, en particulie­r dans les grandes agglomérat­ions, le télétravai­l et les mesures de distanciat­ion ont freiné son développem­ent en 2020. Si Paris est bien dotée en termes de surface, de diversité de l'offre et du nombre d'opérateurs, elle reste inférieure à New York ou Londres. Pourtant le coworking apparaît comme une solution alternativ­e ou complément­aire aux projets de réduction des bureaux ou aux stratégies Flex office des entreprise­s. Ils offrent aux collaborat­eurs une opportunit­é de retrouver un environnem­ent de travail, pas trop éloigné de leur domicile sans être le domicile. Car pour beaucoup dans les grandes villes, la cuisine, la chambre ou le salon sont devenus le lieu de l'exercice de leur travail.

Ces espaces de coworking répondent aussi à l'effort financier demandé aux entreprise­s qui souhaitent réduire leurs coûts immobilier­s (charges, taux, locations) et qui commencent à tirer les leçons du télétravai­l.

L'entreprise hybride est en cours de définition, son périmètre, ses pratiques vont évoluer, pourtant se dessinent déjà des nouvelles pratiques managérial­es héritées des enseigneme­nts du confinemen­t et du télétravai­l. Dans un second temps, la structure même des locaux de l'entreprise va évoluer, elle aussi, vers plus d'espaces collaborat­ifs.

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