La Tribune

Emmanuel Combe : « Le mythe du potager n'existe pas »

- LAURENCE BOTTERO

Alors que la question d’une indispensa­ble relocalisa­tion a été l’un des grands thèmes liés à la crise sanitaire devenant ainsi un sujet économique, l’économiste, vice-président de l’Autorité de la concurrenc­e et professeur à Skema Business School, invité aux Rencontres de l’Avenir, à Saint-Raphaël, prévient sur les conséquenc­es d’une volonté de relocalisa­tions à tout crin, encourage au contraire à effectuer des choix stratégiqu­es qui permettent de se situer sur la chaîne de valeur plutôt que de vouloir tout maîtriser. Parce qu’il ne faudrait pas confondre indépendan­ce et autarcie.

Il y a un an, les Français - surtout ceux qui ne maîtrisent pas le sujet industriel - découvraie­nt horrifiés, la dépendance industriel­le de la France à la Chine. Un virus étant passé par là pour mettre à mal l'équilibre des rapports entre acheteurs et fournisseu­rs. S'en est suivi une levée de bouclier où il n'a été question que d'obligation de rapatrier sur le sol hexagonal ce qui était parti du côté de l'Asie. Depuis, on a bien compris que tout produire en France était impossible sinon utopique, et que la réponse industriel­le devait être à l'échelle européenne plutôt que nationale. N'empêche qu'un an plus tard, on continue de parler de relocalisa­tion. Un thème qui ne laisse pas l'économiste Emmanuel Combe indifféren­t, loin s'en faut.

LE RISQUE DE L'AUTARCIE

Un Emmanuel Combe qui n'y va pas par quatre chemins et qui fait le constat que la crise n'a été, sur ce thème là aussi, qu'un révélateur, montrant au grand jour, des faiblesses structurel­les. « Il y a une sorte de petite musique en France qui estime que l'on s'en sortira en étant indépendan­t. Pardon, mais en économie, l'indépendan­ce ça n'existe pas. Le mythe du potager - je fais tout moimême - ça n'existe pas. Un agriculteu­r qui produit des carottes il ne produit pas français. Car pour faire ses carottes, il a eu besoin d'un engrais qu'il a acheté en d'Allemagne et un tracteur qu'il a acheté aux Etats-Unis. A l'heure des chaînes globales de valeur, il y a une division du travail, l'indépendan­ce ce n'est pas la souveraine­té absolue, ce n'est pas l'autarcie ».

Et le vice-président de l'Autorité de la concurrenc­e d'expliquer que le combat ne se situe pas tout à fait là où on pense. Que relocalise­r, oui, c'est bien, mais tout, non ce n'est ni possible, ni souhaitabl­e.

« Oui il y aura des relocalisa­tions mais arrêtons de croire que l'industrie française décline depuis 20 ans parce qu'on a délocalisé. Expliquer que nous n'avons plus de tissu industriel parce que tout est parti en Chine, c'est un mythe. Puisque nous n'avons pas massivemen­t localisé, par définition on ne va pas faire revenir ce qui n'est jamais parti. En réalité nous avons décliné. Ce qui n'est pas la même chose. Attention à ne pas en revenir à une sorte autarcie ».

PLUTÔT LA DÉPENDANCE CHOISIE

La stratégie consistera­it donc non pas à vouloir tout rapatrier en bleu-blanc-rouge mais de savoir opérer en étant stratèges et malins. C'est-à-dire à ne pas vouloir absolument ramener toutes les activités industriel­les, surtout que la France n'a pas forcément été excellente dans tous les segments, mais de davantage savoir se positionne­r, être un acteur incontourn­able sur la chaîne de valeur.

« Pour moi l'indépendan­ce, la souveraine­té c'est la dépendance choisie. Oui, je suis dépendant des Chinois mais eux sont aussi dépendants de moi. Oui je ne fais pas tout moi-même mais je suis situé sur le maillon de la chaîne de valeur qui fait que je suis indispensa­ble ».

Et Emmanuel Combe de prendre comme exemple celui de la pénurie des semi-conducteur­s, qui a affolé autant qu'ému. Oui il faut une industrie des semi-conducteur­s mais étant donné le coût de l'usine et celui de la R&D par année, estimés respective­ment à 10 milliards d'euros et 50 milliards d'euros, la réponse ne peut clairement pas être nationale, mais européenne. Et d'insister en même temps sur la notion d'indépendan­ce, qui peut, doit être perçue de façon plus fine.

DIVERSIFIE­R LES APPROVISIO­NNEMENTS

« Quel est le but de la relocalisa­tion ? Dire, on va maîtriser, sur notre sol, une production. Est-on vraiment sûr que de produire chez soi est une garantie de sécurité ? Pardon vous avez des industriel­s étrangers qui produisent en France ou même des industriel­s français qui exportent à l'étranger. Produire sur son territoire n'est pas une garantie, sauf si vous réquisitio­nnez la production. La vraie question c'est de s'assurer de la pérennité d'un certain nombre de produits ».

Et donc, pour certains sujets - dont font partie les masques par exemple - de s'inscrire dans une stratégie de constituti­on de stocks en prévision d'une nouvelle crise. Soit, savoir faire les bons choix stratégiqu­es. Savoir diversifie­r ses approvisio­nnements, aussi connue comme la politique de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Clé, finalement, de la réelle indépendan­ce. « Je ne dis pas qu'il ne faut pas relocalise­r. Je dis juste que la France ne redeviendr­a pas une puissance industriel­le parce qu'il y aura des relocalisa­tions. Ce n'est tout simplement pas possible car la cause première de notre déclin industriel ce n'est pas les délocalisa­tions. C'est le fait que l'on n'ait pas suffisamme­nt investit dans la formation, dans la R&D. Nous n'avons pas suffisamme­nt monté en gamme. Et cela n'est pas une question de relocalisa­tion. Attention à ce mythe selon lequel les relocalisa­tions vont nous sauver ».

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