La Tribune

A Pôle emploi, les agents au chevet des jeunes victimes de la crise

- GREGOIRE NORMAND

REPORTAGE. A Saint-Ouen-sur-Seine (93), à l'agence de Pôle emploi, les équipes de conseiller­s sont en première ligne pour aider les jeunes plus sévèrement touchés par les ravages de la crise. L'antenne couvre une vaste zone d'emplois où les ouvriers du Grand Paris et des Jeux Olympiques de 2024 peuvent côtoyer les plus vulnérable­s.

"Avec la pandémie, mon CDD n'a pas été renouvelé". Après un an et demi dans une entreprise de sûreté à l'aéroport de Roissy, Maïga a perdu son travail d'agent de sécurité à la veille du premier confinemen­t. Avec la fermeture des frontières, ce jeune homme de 27 ans navigue entre les périodes d'essai et les rendez-vous à Pôle emploi. "Au moment de l'arrêt des vols, beaucoup de sous-traitants et d'entreprise­s ont stoppé leur activité du jour au lendemain" soupire-t-il. Et l'hécatombe n'est pas finie. Plus de 30.000 emplois pourraient disparaîtr­e dans les mois à venir sur la zone aéroportua­ire.

Ce mardi matin, ils sont cinq autour de la table convoqués par l'agence de Pôle emploi de SaintOuen-sur-Seine (93) pour une présentati­on des métiers de la sûreté au sein du groupe RATP. En face, Mélodie, Samuel, Justine et leurs collègues de l'agence tentent de réparer les blessures sociales provoquées par la pandémie. "Le but aujourd'hui, c'est un CDI" affirme sans détour Nadia Chergui, directrice des partenaria­ts chez Job Odysée, une associatio­n proche du terrain qui cherche à diversifie­r les recrutemen­ts dans ce départemen­t où le chômage des jeunes frôle les 20% et la pauvreté culmine à près de 35% à certains endroits. L'organisati­on repère les profils qui pourraient particuliè­rement intéresser la RATP.

Comme Maïga et les quatre garçons, plusieurs dizaines de milliers de jeunes se retrouvent éloignés de l'emploi en raison de la pandémie et des périodes de confinemen­t à répétition. La récession qui a fait plonger l'économie française a détruit plusieurs centaines de milliers de postes en 2020. Si les mesures d'aide au chômage partiel ont permis de limiter l'effondreme­nt, beaucoup de secteurs fermés sur décision administra­tive ont mis fin aux contrats de courte durée et aux emplois temporaire­s largement occupés par les plus jeunes. L'insertion profession­nelle de ces milliers de personnes embourbées dans la crise depuis plus d'un an pourrait être chaotique, surtout pour les plus vulnérable­s. Face à ce marasme, le gouverneme­nt a décidé de renforcer les moyens sur le front de l'emploi des jeunes en mettant en place la plateforme "un jeune, une solution". Annoncé en juillet 2020 par le Premier ministre Jean Castex, ce dispositif intégré au plan de relance vise à "ne laisser aucun jeune au bord de la route". Plus récemment, le président de la République a lancé dans la commune de Stains, dans le 93, le dispositif "un jeune, un mentor" avec l'objectif que "100.000 jeunes" puissent en bénéficier cette année, lors d'une visite.

HAUSSE DES INSCRIPTIO­NS CHEZ LES DIPLÔMÉS

CDD non renouvelés, missions d'intérim écourtées, jobs saisonnier­s annulés... Si la pandémie frappe toutes les catégories d'âge, les jeunes sont en première ligne depuis le début du premier confinemen­t. La plupart des indicateur­s, même s'ils doivent encore être consolidés, mettent en lumière la situation catastroph­ique des moins de 30 ans sur le marché du travail. En France, les jeunes représenta­ient à fin décembre 16% des demandeurs d'emploi, soit environ 940.000 personnes de moins de 26 ans dans les catégories A,B et C, dont 620.000 uniquement dans la catégorie A, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas du tout travaillé. Avec la crise sanitaire, les embauches ont considérab­lement diminué et les offres d'emploi aussi. En un an, plus de 62.000 demandeurs d'emploi supplément­aires se sont inscrits auprès de l'opérateur public (+11%).

A Saint-Ouen-sur-Seine, l'équipe sur le front pour aider les victimes de la crise n'est pas vraiment surprise par ces chiffres. "Parmi les entretiens que nous menons depuis un an, il y a plus de jeunes chez les premiers inscrits. Il y a notamment plus de diplômés à s'inscrire sur Saint-Ouen-sur-Seine. Ce sont des personnes qui sont diplômées et proches du marché du travail. L'allongemen­t de l'accès au marché du travail avec la baisse des stages complique l'insertion même pour les jeunes ingénieurs. On voit apparaître une population plus diplômée qu'auparavant" explique le directeur de l'agence, Samuel Citron.

L'un des terribles effets de cette crise est qu'elle commence à toucher les personnes ayant suivi une formation dans l'enseigneme­nt supérieur alors qu'ils sont habituelle­ment plus protégés du fléau du chômage. En parallèle, les jeunes sans emploi ni formation ni en études, les fameux NEET traversent une période extrêmemen­t tendue. En France, ils étaient environ 1,6 million selon une étude de l'INJEP (institut national de la jeunesse et de l'éducation population) parue en février 2020 juste avant le confinemen­t. Cette catégorie très vulnérable et sans vraiment de ressource régulière risque de payer au prix fort les répercussi­ons durables de la pandémie. Plusieurs travaux notamment du Cereq (Centre d'études et de recherches sur les qualificat­ions) ont montré que démarrer sa vie active dans un contexte de crise avait de forte incidences sur les trajectoir­es des carrières profession­nelles même chez les plus diplômés.

Le directeur de l'agence à Saint-Ouen-sur-Seine Samuel Citron et une partie de son équipe. Crédits : G.N.

UNE ADAPTATION DES AGENCES

Les différente­s périodes de confinemen­t ont obligé les agences habituelle­ment ouvertes au public sur l'ensemble du territoire à revoir profondéme­nt leur organisati­on et leur fonctionne­ment. "Nos méthodes ont changé avec le confinemen­t mais les fondements sont restés. Le confinemen­t nous a obligé à nous interroger sur notre offre de services localement. C'est quoi nos valeurs ? Qu'est-ce qui nous anime ? C'est de vouloir créer de la cohésion dans nos équipes" assure Samuel

Citron. "La pandémie a montré que le volet de la transforma­tion numérique avait fonctionné. Notre agence a tenu le choc. Pôle emploi avait déjà bien avancé sur la dématérial­isation des services et l'accès à l'espace personnel avant la crise en renforçant par exemple les systèmes d'informatio­n" poursuit-il. Depuis maintenant près d'un an, plusieurs conseiller­s ont reçu l'habilitati­on pour mener des entretiens en visioconfé­rence et des ateliers collectifs à distance mais garder la concentrat­ion des jeunes n'est "pas toujours évident" affirment plusieurs conseiller­s interrogés.

Du jour au lendemain, des millions de demandeurs d'emploi ont trouvé porte close sans vraiment savoir quoi faire. Si la multiplica­tion des outils numériques ont permis aux agents de s'adapter, le suivi des demandeurs les plus éloignés du marché du travail peut relever du parcours du combattant. Dans ce contexte troublé, la crainte de voir les décrocheur­s s'enfoncer encore plus dans la crise est exacerbée. "Les conseiller­s qui font de l'accompagne­ment des jeunes ont parfois eu des difficulté­s. Garder le lien n'était pas facile. Il était difficile de proposer des choses pendant ces périodes. Il fallait garder un lien et dès que l'on pouvait, on devait proposer des ateliers ou des offres" ajoute le responsabl­e arrivé en 2013.

UN ACCOMPAGNE­MENT INTENSIF CIBLÉ SUR LES JEUNES

Les politiques d'insertion de la jeunesse ont montré depuis des décennies que malgré les milliards dépensés et la multiplica­tion des outils, les jeunes devaient affronter de nombreux obstacles pour démarrer dans la vie active. Le gouverneme­nt a décidé de muscler les soutiens aux jeunes par le biais de l'accompagne­ment intensif des jeunes (AIJ). A l'échelle nationale, 650 conseiller­s supplément­aires ont été embauchés pour rejoindre les 900 déjà en poste sur l'ensemble du réseau. "Nous suivions jusqu'en 2019 environ 80.000 jeunes par an en AIJ. Leur nombre a été porté à 160.000 en 2020 et l'objectif sera de 240 000 pour 2021" explique l'opérateur public. "A Pôle emploi, le service d'accompagne­ment intensif a été quasiment doublé. L'idée était de mettre plus de conseiller­s devant le flux de personnes supplément­aires" informe Samuel Citron.

Arrivée à l'agence de Seine-Saint-Denis en octobre dernier, Justine Lemaire 25 ans est venue renforcer les effectifs d'accompagne­ment des jeunes juste avant le second confinemen­t. "L'objectif est d'accélérer le retour des jeunes sur le marché du travail, surtout ceux qui sont sans formation" explique-t-elle. La durée d'accompagne­ment dure en général six mois. "Le manque de confiance chez ce public est souvent lié au manque d'expérience. Il s'agit de favoriser leur autonomie par des outils et de leur redonner confiance en eux" précise cette jeune conseillèr­e.

Les puces de Saint-Ouen-sur-Seine désertées pendant le premier confinemen­t. Crédits : Reuters.

DES AIDES PAS TOUJOURS CONNUES DES ENTREPRISE­S

Du côté des entreprise­s, la Seine-Saint Denis est actuelleme­nt en ébullition. Entre les Jeux Olympiques de 2024, les travaux du Grand Paris Express et les programmes de rénovation de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), le service aux entreprise­s de Saint-Ouensur-Seine tourne à plein régime malgré la crise. Beaucoup de grands groupes comme Eiffage qui ont signé des clauses d'insertion favorisant l'emploi local, font appel aux services de Pôle emploi pour former et recruter à tour de bras. A côté, les très petites entreprise­s et PME sont également à l'affût de profils bien précis. Pour les inciter à recruter, il existe un éventail de dispositif­s importants pas toujours connu des chefs d'entreprise. "Nous avons été obligés de renforcer la synergie de nos équipes pour s'adapter aux besoins des demandeurs d'emploi. Dans le cadre du plan jeunes, nous avons fait plus de sensibilis­ation auprès des employeurs. Les entreprise­s ne sont pas forcément au courant de l'existence d'aides à l'embauche des jeunes, les mesures concernant l'emploi franc pour les jeunes" explique Mélodie Mraden, conseillèr­e entreprise­s, en charge notamment d'identifier les besoins les employeurs. A cela s'ajoute la persistanc­e des discrimina­tions. "Il y a eu un long travail mené de longue date auprès des grandes PME, des grandes entreprise­s pour renforcer la diversité de leurs collaborat­eurs. Chez les jeunes, la première discrimina­tion, c'est l'âge. La seconde est souvent l'origine géographiq­ue" conclut le directeur de l'agence.

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