La Tribune

Chantiers de l'Atlantique : « Oui, le stand-alone est possible » (Laurent Castaing)

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL ET FREDERIC THUAL

Dans une longue interview, Laurent Castaing évoque sans langue de bois tous les dossiers du moment : de l'avenir des Chantiers de l’Atlantique, notamment sur son actionnari­at, à l'impact du Covid-19 sur le marché de la croisière et les répercussi­ons sur son entreprise. Le directeur général des Chantiers de l’Atlantique reste très confiant sur la possibilit­é de voguer seul après le mariage imposé mais raté avec l'italien Fincantier­i. D'autant que le groupe est rentable, y compris en 2020 malgré la crise.

LA TRIBUNE - Quel est le bilan des Chantiers de l'Atlantique en 2020 ?

LAURENT CASTAING - Nous avons réalisé un chiffre d'affaire inférieur de 10% (1,6 milliard d'euros, ndlr) à nos prévisions de début d'année. En accord avec nos clients, nous avons étiré notre carnet de commandes, suite à nos quatre semaines d'arrêt de production au début de la crise sanitaire et aux incertitud­es du marché sur le court terme, en décalant la livraison de nos navires. Nous avons donc moins produit. Mais, a priori, nous devrions avoir des résultats normaux. Ce qui peut surprendre mais à partir du moment où les clients maintienne­nt leurs commandes et les prix, il n'y a pas de raison pour que notre résultat change. Est-on bien au-delà de l'équilibre ? Non, nous ne sommes pas une industrie qui gagne beaucoup d'argent, mais on reste dans les mêmes niveaux de marge que nous avons connus précédemme­nt. Ce qui m'étonne, c'est que d'autres annoncent des pertes...

Votre carnet de commandes a-t-il été impacté par la crise du Covid-19 ?

Notre carnet de commandes est toujours garni avec des commandes fermes et financées jusqu'en 2024/2025. Nous avons une dizaine de bateaux dans notre carnet de commandes. Le dernier navire civil sera livré en 2025 compte tenu du fait que les Chantiers de l'Atlantique en fabriquent deux par an. Et nous avons également les quatre bâtiments ravitaille­urs de flotte à livrer jusqu'en 2028, ainsi que quatre sous-stations électrique­s pour des champs éoliens en mer.

C'est un carnet de commandes plutôt rassurant...

... Oui. Mais il est clair que le vrai sujet va être le moment où les nouvelles commandes vont venir. Pour l'instant, on ne peut pas en parler. On peut vivre encore un peu de temps sans nouvelle prise de commandes. C'est tout l'intérêt d'avoir un carnet de commandes long. On peut donc attendre. Après, on en aura besoin et on en aura besoin même assez rapidement pour notre bureau d'études, qui le premier secteur exposé en l'absence de commandes.

Avez-vous une visibilité pour ces prochaines commandes ?

J'ai confiance dans l'avenir. On discute avec les armateurs, dont certains évoquent de nouvelles commandes de navire et d'autres qui parlent du futur. Les armateurs continuent de nous dire qu'ils auront besoin de navires pour la suite.

Au-delà de ces discussion­s, avez-vous de nouveaux prospects sérieux ?

Nous constatons un très grand attentisme. Avec les armateurs classiques, on évoque effectivem­ent de nouvelles commandes, mais dans le lointain...Les sociétés de croisières sont dans une situation extrêmemen­t compliquée. Elles n'ont plus d'activité, continuent d'avoir des dépenses : entretenir un navire, même à ne rien faire, coûte de l'argent. Les grandes compagnies de croisières dépensent plusieurs centaines de millions de dollars par mois pour simplement maintenir leur flotte. Elles ont été contrainte­s d'emprunter des milliards de dollars. La bonne nouvelle, c'est qu'elles ont trouvé des banques et des investisse­urs pour leur prêter de l'argent à travers de simples prêts ou des augmentati­ons de capital. Les armateurs ne sont donc pas les seuls à penser que la croisière redémarrer­a après la crise coronaviru­s.

Sur les livraisons, avez-vous eu des demandes d'annulation et de report ?

Nos clients nous l'ont assuré : on n'annule aucune commande. En revanche, ils n'ont pas besoin immédiatem­ent des navires, qui doivent leur être livrés. Nous avons donc discuté et réussi à repousser un certain nombre de livraisons. Soit une dizaine de navires dont la livraison est décalée de six à douze mois. Comme nous les construiso­ns à la chaine, quand nous en décalons un, nous décalons les autres... Mais comme nous travaillon­s avec les mêmes clients, s'ils n'ont pas besoin du premier tout de suite, ils n'ont pas besoin des autres non plus.

Avez-vous des coûts supplément­aires pour garder ces paquebots à Saint-Nazaire ?

Cela représente effectivem­ent un coût d'avoir un navire sur les bras. Il a donc fallu négocier pour savoir qui allait payer ce surcoût. Nous avons trouvé un compromis pour préserver leurs besoins et, nous, conserver notre carnet de commandes. Quand un bateau est à l'arrêt, il y a des frais : des coûts fixes, de maintenanc­e, de sécurité... Nous avons partagé ces coûts à 50/50 environ. Par ailleurs, nous avons dû allonger la longueur de nos emprunts, ce qui a généré des frais financiers supplément­aires. Au final, cette facture reste assez modérée par rapport à notre compte d'exploitati­on et nos résultats de 2020. Elle s'élève à quelques dizaines de millions d'euros pour un chantier, qui a réalisé 1.6 milliard de chiffre d'affaires l'an dernier.

La ministre des Armées Florence Parly a confirmé la constructi­on d'un futur porte-avions à Saint-Nazaire, existe-t-il encore un risque d'abandon du projet, notamment avec la prochaine élection présidenti­elle ?

La constructi­on d'un porte-avions doit passer par la décision d'une prochaine loi de programmat­ion militaire qui commencera en 2026. Ce qui a été décidé, aujourd'hui, c'est que nous ferions un porteavion­s, a priori, et qu'à partir de maintenant, nous devions faire tout ce qui est absolument nécessaire pour être au rendez-vous de 2035. Notamment sur la partie nucléaire. Pour nous Chantiers de l'Atlantique, cela veut dire des études d'avant-projet sommaire où il s'agit de travailler l'architectu­re générale du navire, avec Naval Group, pour s'assurer de l'intégratio­n de l'ensemble des systèmes et des objets et vérifier que tout fonctionne­ra bien ensemble. C'est le travail que l'on va mener au cours des quatre prochaines années pour arrêter une définition générale du bâtiment. A partir de là, un prix sera fixé et une décision prise. On le construit, on ne le construit pas ? Dès lors, on entrera dans une phase d'études de détails et de réalisatio­n.

Quel est l'ordre de grandeur de prix de ce porte-avions ?

...Il y a une fourchette de prix mais je ne la dévoilerai pas ! Avant la décision du président de la République, il y a eu des travaux de concept réalisés par TechnicAto­me, Naval Group et les Chantiers de l'Atlantique où sur la base d'une définition très sommaire du navire, nous avons tous les trois donné une fourchette de prix. Ce qui a permis de reconstitu­er un prix pour aller vers la décision. Qui dit que si le prix reste dans cette fourchette la France va se construire un porteavion­s ? En tout cas, quand on parle du prix du porte-avions, il faut être très prudent...De quoi parlet-on ? De la constructi­on, de la maintenanc­e pendant 10 ou 20 ans, du porte-avions et du groupe aérien... A ce sujet, souvent, on entend des écarts énormes. Ces précisions ne sont cependant pas inutiles, notamment parce que lors du passage au Parlement pour voter la constructi­on d'un porteavion­s, où il faudra avoir une idée de ce qu'il va coûter à la France sur 30 ans ou 40 ans d'utilisatio­n.

Dans les Énergies marines renouvelab­les (EMR), quelle est votre vision pour les Chantiers de l'Atlantique ?

Il y a un secteur dans les EMR, qui fonctionne bien, c'est celui de l'éolien en mer posé. Le développem­ent est considérab­le, notamment en mer du Nord, avec les pays en bordure, l'Allemagne, le Danemark, la Belgique, les Pays-Bas et l'Angleterre. Aujourd'hui, l'éolien en mer posé est également en train de se développer aux Etats-Unis. Les permis pour les champs ont été attribués. Si on garde encore plus à l'est, c'est en train de démarrer à Taïwan et en Chine. C'est donc un grand marché. Dans ce marché, nous avons identifié les sous-stations comme étant un des sous-ensembles dans lequel les Chantiers de l'Atlantique pouvaient être pertinents. Notre stratégie sur les EMR est donc axée sur la fourniture des sous-stations, qui valent entre 50 et 100 millions d'euros pièce. Nous en avons déjà livré trois. Nous sommes en train de finir la quatrième pour le champ de Saint-Nazaire. Et nous en avons trois autres en commande, deux pour la France et une qu'on a pris récemment pour l'Allemagne pour le compte du groupe danois Ørsted, qui est en train de devenir le grand de l'éolien en mer posé.

Quel est votre ambition en termes de chiffre d'affaires ?

Notre ambition est de réaliser 10% de notre chiffre d'affaires dans les EMR. Nous n'y sommes pas encore. Nous avons réalisé 100 millions d'euros de chiffre d'affaires dans les EMR en 2020 sur un chiffre d'affaire global de 1,6 milliard. Il faudrait en faire le double, soit autour de 200 millions d'euros. Nous n'avons pas atteint notre objectif de 10% aussi parce que notre chiffre d'affaires sur la constructi­on des paquebots a beaucoup augmenté depuis le moment où nous avions fixé ces objectifs. Nous gardons toutefois cette ambition d'arriver à réaliser dans les EMR un chiffre d'affaires autour de 200 millions d'euros en 2025. Cette activité au sein des Chantiers de l'Atlantique est une belle start up, qui emploie 200 personnes.

Beaucoup de sociétés ont échoué dans les EMR à l'image de Naval group. Est-ce une activité à risques pour les Chantiers de l'Atlantique ?

Notre chiffre d'affaires est réalisé entièremen­t dans le cadre de compétitio­ns très ouvertes et plus de la moitié de nos ventes a été gagnée à l'export, donc sans aucune aide de l'État. C'est du vrai chiffre d'affaires. Il y a beaucoup d'entreprise­s, qui se nourrissen­t de projets de développem­ent. Ce qui est bien. Je ne suis pas critique. Il faut bien qu'il y en ait qui soient des pionniers et qui développen­t les premiers engins. C'est une chose de développer des engins dans le cadre d'un projet de R&D, c'est une autre chose d'arriver à en vendre dans une compétitio­n internatio­nale.

Quel est l'impact économique de la crise du Covid-19 sur le marché de la croisière ?

Les compagnies ont perdu 90% d'activités depuis un an. Très peu de navires fonctionne­nt et pour certaines, tous leurs navires sont encore à l'arrêt. Mais nos clients nous assurent avoir confiance en l'avenir au-delà de la crise du Covid-19. Quand elle sera réglée, le marché va reprendre.

Quel a été également son impact sur la flotte des paquebots de croisière ?

Jusqu'à la crise du coronaviru­s, très peu de vieux paquebots avaient été retirés de l'exploitati­on. Pourquoi ? Parce que finalement, malgré leur aspect démodé, les armateurs continuaie­nt à les remplir à 100% et n'avaient donc aucune difficulté à les exploiter. Si on mettait tous les navires les uns à côté des autres, on s'apercevrai­t très rapidement que ceux construits il y a 20 ou 30 ans ont vraiment une image complèteme­nt démodée. Aujourd'hui, les paquebots ont beaucoup plus de baies vitrées ou même beaucoup plus d'ouvertures sur l'extérieur que par le passé. La crise du coronaviru­s a changé la donne ! Les paquebots les plus vieux ont donc été retirés des flottes et sont maintenant en démolition. L'an dernier, cela a représenté 5% du volume de la flotte alors que jusque-là pratiqueme­nt aucun n'était retiré. C'était même zéro quand la croissance du nombre de paquebots était de 5% à 6% par an.

L'image de la croisière a été fragilisée avec l'apparition de clusters. Va-t-il être plus difficile de remplir de grands bateaux? Y aura-t-il un avant et un après Covid-19 ?

Globalemen­t, je pense que la crise du Covid-19 ne va pas changer la donne de manière dramatique pour le marché de la croisière.Les armateurs savent que l'activité va repartir et qu'ils auront bientôt beaucoup de navires modernes pour accueillir les passagers. Pour autant, il est indéniable qu'il va y avoir quelques changement­s. L'image des paquebots a été altérée, de façon assez injuste par la crise du coronaviru­s. C'est lié à deux constats. Il y a eu des cas de coronaviru­s sur des paquebots alors même qu'il n'y en avait pas encore en Europe et aux Etats-Unis et que tout le monde, à l'affût d'informatio­ns, attendait de savoir ce qui allait se passer. Deuxièmeme­nt, quand vous avez des malades à bord d'un paquebot et que vous arrivez dans un port, vous êtes obligé de déclarer vos malades. Les armateurs ont fait l'objet d'une transparen­ce obligatoir­e. Or, très vraisembla­blement, l'épidémie s'est répandue par les avions où il n'existe pas de déclaratio­ns de santé quand on arrive à l'aéroport.

Votre analyse risque de faire bondir...

... Peut-être mais les paquebots ont été victimes du regard médiatique à un moment où tout le monde avait peur. Mais, finalement, il n'y a pas eu plus de coronaviru­s dans les paquebots qu'aux sports d'hiver ou dans tous les lieux où les gens se sont rassemblés et où ils se sont contaminés. De ce point de vue-là, les paquebots ne sont ni plus ni moins comme les autres lieux fermés. Et ça, ça peut sans doute se retourner en un avantage.

C'est-à-dire ?

Dans un lieu clos, il est beaucoup plus facile de contrôler les passagers, qui vont embarquer ou débarquer. Il faut d'abord les tester, puis prendre des mesures de distanciat­ions sociales, comme à terre...Les armateurs ont déjà mis en place des protocoles extrêmemen­t sévères pour sécuriser les embarqueme­nts. Avec les vaccins, avec des protocoles extrêmemen­t puissants à bord, avec la capacité de détecter des cas et de les isoler, les équipages vont être aidés. Par exemple, les équipages peuvent détecter très rapidement la présence du virus dans les eaux usées du navire. Dans un navire, c'est plus facile que dans une ville, de repérer rapidement des cas et d'isoler les passagers dans les dix ou vingt cabines où se trouvent les malades.Et ça marche déjà plutôt très bien : quelques armateurs qui exploitent des navires en ce moment, ont eu des cas mais il n'y a jamais eu de cluster à bord. Ça s'est terminé par trois, quatre ou cinq cas de coronaviru­s. Et la propagatio­n du virus a été très rapidement bloquée. Voilà pourquoi, les armateurs ne sont pas trop inquiets de l'avenir du marché malgré le coronaviru­s.

Cela veut-il dire que ces armateurs réduisent le nombre de passagers à bord ?

C'est effectivem­ent ce qui est pratiqué en ce moment. Actuelleme­nt, les armateurs évitent de vendre les cabines intérieure­s. Mieux vaut être isolé dans une cabine avec vue sur mer. Dans les lieux de vie, comme les théâtres, les protocoles recommande­nt de n'utiliser qu'une place sur deux pour diminuer les risques. Même si cela semble paradoxal, sur les grands navires,les passagers sont moins serrés que dans les plus petits. Les armateurs ont développé et déploient une vraie stratégie anti-coronaviru­s à bord, qui montre son efficacité. Le monde de la croisière aura bien sûr à remonter la pente pour faire changer la perception.

Quand et comment voyez-vous la reprise du marché de la croisière ?

Difficile de donner un pronostic. Aujourd'hui, je constate que les vaccins existent et sont efficaces. Quand de nombreuses personnes seront vaccinées, on va beaucoup moins craindre le coronaviru­s. Certaines activités vont pouvoir repartir. Le deuxième sujet, c'est la vitesse de vaccinatio­n. Dans ce contexte, les armateurs ont bon espoir de redémarrer en milieu d'années et notamment aux Etats-Unis, où déjà, 30% de la population a été vaccinée. Même si les armateurs exigent des futurs passagers d'être vaccinés pour monter à bord, ils auront encore plein de candidats pour partir en croisière. Ensuite, ce n'est pas parce que l'activité va reprendre que tous les bateaux vont être en service en un claquement de doigt. Il y a aura une phase technique et réglementa­ire de remise en service des navires,qui est non négligeabl­e. Il faut également retrouver, rassembler et reformer les équipages... Tout ceci demande du temps. Certains armateurs estiment redémarrer leurs activités dans le milieu de l'année 2021, mais le marché de la croisière ne retrouvera son plein régime d'exploitati­on pas avant fin 2021, voire début 2022.

Pouvez-vous les aider à accélérer la remise en service des navires ?

Nous pouvons aider les armateurs à rendre les navires plus résistants au coronaviru­s. Notamment au niveau du reconditio­nnement de l'air à bord, qui est un moment critique où les microbes peuvent se diluer dans le navire. Nous travaillon­s actuelleme­nt sur de nouveaux systèmes de filtration ou sur des lampes à ultraviole­ts pour assainir la "recirculat­ion" de l'air. Je rappelle aussi que sur les paquebots modernes, on peut éviter la recirculat­ion de l'air dans les cabines passager en ne leur faisant respirer que de l'air provenant de l'extérieur. Enfin, nous les aidons aussi à mettre des tests pour détecter le virus dans les eaux usées. Face aux spécificit­és de la pathologie covid-19, ils transforme­nt également les hôpitaux de bord pour mieux faire face aux difficulté­s respiratoi­res des malades.

Par ailleurs, la pression écologique a-t-elle aujourd'hui un impact sur les croisiéris­tes ?

Oui et non. On observe bien en Europe une prise de conscience de ce qui est en train d'arriver sur la planète et de la nécessité de diminuer l'impact environnem­ental des navires de croisière, comme celui de toutes les activités. C'est assez surprenant mais il faut avoir conscience que cette vision n'est pas forcément partagée dans le monde entier. Et le marché de la croisière est mondial. Malgré cela, nos clients nous disent qu'il faut verdir nos bateaux et en limiter l'impact environnem­ental, notamment pour les navires qui vont en Europe. Il faut qu'on fasse beaucoup mieux que ce que l'on fait aujourd'hui. Donc, il y a bien une prise de conscience. Mais cette tendance est beaucoup plus partagée en Europe qu'aux Etats-Unis, en Asie ou ailleurs. Si la prise de conscience n'est pas totale, il y a quand même de nouveaux règlements qui sont en train d'être mis en place pour limiter les émissions de CO2.

La réglementa­tion sur les émissions d'oxyde de soufre, d'oxyde d'azote et de CO2 est de plus en plus contraigna­nte afin de garantir un transport maritime plus propre. Quel est l'impact sur votre activité ?

Les émissions de CO2 vont effectivem­ent entrer rapidement dans les obligation­s réglementa­ires. D'une façon générale, il y a encore deux attitudes chez les armateurs. Les armateurs européens nous mettent la pression en exigeant que leur prochain bateau soit un bateau zéro impact environnem­ental. On leur répond que nous ne savons pas encore les faire. Et il y a les armateurs américains,qui sont encore en train de se demander s'il faut faire quelque chose. Et c'est là où on voit la différence de perception et d'urgence qui est assez importante entre l'Europe et les EtatsUnis. Globalemen­t, les Américains sont quand même en train d'y venir mais ils réagissent plus lentement.

Votre paquebot à voiles,que vous avez développé, fait-il rêver les armateurs ? Y a-t-il un vrai intérêt au-delà d'un intérêt courtois ?

Certains oui, mais pas tous. Le paquebot à voiles auquel on a réfléchi, est, certes un bateau qui fait 200 mètres de long, mais c'est un bateau qui fait 20.000 tonneaux. Soit un dixième d'un très grand paquebot. Les armateurs, qui sont déjà sur les petits et les moyens paquebots, nous disent que notre concept est intéressan­t et nous demandent de leur présenter. Et puis il y en a qui nous disent, « c'est très intéressan­t, est-ce qu'on peut en parler plus sérieuseme­nt ». Pour ceux qui opèrent de très grands bateaux, on ne résoudra pas la question avec des voiles. Il va falloir plutôt trouver d'autres carburants, d'autres modes de transforma­tion de l'énergie. Nous sommes plutôt sur ce type de réflexions et un travail est déjà engagé en ce sens.

Le GNL est-il une solution transitoir­e pour verdir la flotte des croisiéris­tes ?

Objectivem­ent, utiliser du GNL est une améliorati­on forte pour réduire la pollution du transport maritime. Avec le GNL, qui est beaucoup plus propre, on passe pratiqueme­nt d'un facteur de 1 à 100 d'améliorati­on pour réduire toutes les pollutions. En termes de diminution des émissions de CO2, l'améliorati­on se situe entre 10 et 20%. C'est déjà quand même beaucoup. Mais avec le GNL, on n'est pas au bout des efforts qu'il reste à faire. Est-ce que c'est le début pour aller vers autre chose ? Probableme­nt oui, parce qu'en utilisant du GNL, on utilise un carburant qui est beaucoup moins simple à manipuler, à conserver et à utiliser dans les moteurs que ne le sont le diesel ou le fioul. Et très vraisembla­blement, tous les nouveaux carburants seront des carburants plus compliqués en termes de stockage, d'utilisatio­n et de mesures de sécurité. Donc, on est déjà, au travers du GNL, en train de dessiner des navires, des architectu­res de navires, des architectu­res de production d'énergie qui pourront être utilisées avec d'autres carburants, qui viendront plus tard. En ce sens-là, le GNL peut constituer une forme de transition.

Le GNL, tout comme les futurs carburants vont-ils renchérir le coût d'un paquebot ?

C'est marginal, c'est de l'ordre de quelques pourcents. Par contre, en termes d'exploitati­on, c'est plus compliqué : l'approvisio­nnement en GNL dans les ports où les paquebots font escale. Il n'y a pas forcément aujourd'hui l'avitaillem­ent en GNL. Aujourd'hui, nos clients sont obligés d'organiser eux-mêmes leur chaîne d'approvisio­nnement en GNL. Ils demandent aux sociétés, qui vendent du GNL de faire cet effort. Mais elles ne le font qu'en contrepart­ie de contrats de long terme. L'approvisio­nnement en GNL a objectivem­ent un coût par rapport à des carburants issus des énergies fossiles. En outre, le prix du GNL n'est pas le même que le prix du gazole. Bien malin celui qui pourra dire si c'est plus ou moins parce qu'en fait, aujourd'hui, le prix de ces deux produits varie un peu indépendam­ment l'un de l'autre.

D'autres carburants pourraient-ils être une alternativ­e aux carburants classiques ?

Les autres carburants évoqués le plus souvent sont le méthanol (alcool de méthane), qui a l'avantage d'être liquide, donc beaucoup plus facile à manipuler qu'un liquide à moins 160 degrés pour le GNL. De ce point de vue là, il a la sympathie des armateurs. Le méthanol a deux inconvénie­nts : il est toxique - il faut prendre encore plus de mesures de sécurité - et il utilise beaucoup plus de volume pour emporter la même quantité d'énergie. Il y a également un autre gaz liquide qui est évoqué, l'ammoniac. Il a l'avantage d'être totalement décarboné mais doit être transporté lui aussi sous forme liquide à environ moins 40 degrés. Il est aussi toxique. Il y a d'autres carburants qui sont en train d'apparaître, mais ils ont des inconvénie­nts. Entre tous ces inconvénie­nts, quel sera le meilleur compromis. C'est difficile à dire aujourd'hui.

Et les biocarbura­nts ?

Il y a du biodiesel. La vraie question sur les biocarbura­nts est de savoir quelle quantité de biocarbura­nts va être disponible.Les experts assurent qu'on n'arrivera pas à remplacer le volume de pétrole actuel par un volume de biocarbura­nts équivalent pour tout un tas de raisons. Donc, il faudra trouver d'autres sources pour le carburant.

Quel est votre retour d'expérience sur tout ce qui s'est passé autour de votre actionnari­at et notamment l'alliance avec Fincantier­i qui a échoué ?

L'alliance avec Fincantier­i était possible. Et plus le temps est passé, plus la crise du coronaviru­s s'est installée, moins elle devenait possible. Nous avons parlé avec Fincantier­i pendant longtemps. A partir du moment où la dynamique générale a commencé à s'estomper, c'est devenu plus difficile à concrétise­r. Ne prenons que le cas des commandes : il va y avoir peu de commandes dans les prochaines années. Le jour où on est dans le même groupe, s'il arrive une commande, il faut décider si on la met en France ou en Italie. Je dis : bon courage aux décideurs.

Dans la constructi­on navale, les fusions/acquisitio­ns sont-elles possibles ?

Dans l'absolu, les fusions-acquisitio­ns sont des exercices difficiles, dont on parle beaucoup au moment où elles se font mais très peu cinq ans après. Au bout de cinq ans, le bilan n'est pas forcément positif : est-ce que ces opérations ont apporté quelque chose en plus au marché ou aux clients? Fusionner des industriel­s et arriver en tirer une synergie supplément­aire est un art difficile. On a beaucoup parlé d'Airbus de la mer avec notre dossier. Je rappellera­i qu'Airbus s'est formé sur des dizaines d'années : il a fallu qu'ils redessinen­t leurs usines, ils ont dû faire pleins d'efforts d'unificatio­n qui leur ont coûté cher. Il a fallu des dizaines d'années pour parvenir à la réussite du projet..

Êtes-vous condamné au stand-alone ?

Nous sommes maintenant condamnés au stand-alone. Oui, le stand-alone est possible. Mais on n'a jamais été mis en danger par notre taille. Le problème n'était pas notre taille. Notre problème vient du fait que les Chantiers de l'Atlantique ne sont apparemmen­t pas attractifs par rapport aux standards financiers qui sont exigés aujourd'hui en termes de retour sur investisse­ment. A partir de là, il y a moins d'investisse­urs potentiels, mais tout dépend du prix ! Ceci dit, nous sommes toujours là et nous continuons à gagner de l'argent. Demain, il faudra encore qu'il y ait des bateaux qui naviguent sur les mers. Et si on veut faire des EMR, il faudra aussi des entreprise­s pour les fabriquer. Nous avons une vraie une raison d'être.

Estimez-vous avoir suffisamme­nt de moyens pour rester compétitif ?

Oui. Pendant toutes ces années, le chantier a continué à investir. Nous avons toujours autofinanc­é nos investisse­ments, qui ont été de 30 à 40 millions d'euros par an depuis dix ans : plus de 300 millions d'euros ont ainsi été réinvestis dans la société.

Le patron de Bricorama s'intéresse à vous. Que faut-il en penser ?

Je ne commente pas.

Et de faire rentrer dans votre actionnari­at un pool territoria­l ?

Toutes les idées méritent d'être examinées.

Propos recueillis par Michel Cabirol.

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