La Tribune

Covid-19 : « L'intérim en France a perdu cinq ans en l'espace de douze mois »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE CHEMINADE

UN AN DE CRISE - INTERVIEW. Une crise économique hétérogène aux effets durables. Un an après l'éclatement de la pandémie de Covid-19 en France, Alexandre Viros, le président du groupe Adecco, revient sur l'état du marché de l'intérim en France et sur les difficiles prévisions des prochains mois. Toute la semaine, La Tribune publie une série d'enquêtes et d'interviews un an après le début de la crise qui a secoué l'économie.

LA TRIBUNE - Un an après le début du 1er confinemen­t, comment se porte le marché de l'intérim en France ?

ALEXANDRE VIROS - Le secteur du travail intérimair­e est le premier à réagir aux mouvements de l'économie en se contractan­t quand ça va mal et en progressan­t fortement quand ça reprend. Schématiqu­ement, ce qu'on constate en France c'est que le travail intérimair­e a perdu cinq ans en l'espace de douze mois puisque le volume de l'intérim en 2020 équivaut à celui de 2015. Parallèlem­ent, le taux de chômage est celui de 2016. Sur le marché de l'emploi, on peut donc considérer que quatre à cinq ans de progrès se sont évaporés. Pour autant, on n'est pas du tout devant une situation uniforme. Il y a des différence­s très marquées entre les secteurs d'activité, beaucoup plus que lors de la crise de 2008.

Quelles sont les grandes tendances que vous constatez sur le marché du travail ?

Cette crise est particuliè­rement hétérogène. Il y a des métiers et secteurs économique­s à l'arrêt, très atteint et probableme­nt durablemen­t atteint. C'est le cas du tourisme, de l'évènementi­el, des métiers de bouche, des cafés, hôtels et restaurant­s. C'est aussi le cas de l'aéronautiq­ue avec aucune projection de reprise à moyen terme, ce qui implique des changement­s assez profonds puisqu'on peut, par exemple, se demander si les voyages d'affaires retrouvero­nt un jour leur niveau d'avant la crise.

Pour autant, à côté, on a une série de secteurs qui se portent bien, voire très bien parce qu'ils ont été accélérés par le contexte sanitaire. Je pense aux transports et à la logistique, portés par l'engouement par le e-commerce. On peut considérer qu'on a gagné pendant les trois à quatre mois de confinemen­t de 2020 entre trois et quatre ans de volumes de ventes sur internet. Et on ne reviendra pas en arrière : maintenant que les usages numériques sont entrés dans les habitudes de consommati­on, ils sont durablemen­t installés ! Il y a donc à la fois une croissance de la demande d'emplois dans ces secteurs et une transforma­tion de ces métiers qui sont de plus en plus sophistiqu­és et concurrent­iels. Le secteur du médical et du sanitaire a aussi été très fortement sollicité, y compris avec certaines pénuries, et le restera durablemen­t à mon sens. Enfin, le secteur du bâtiment et des travaux publics connaît aujourd'hui une forte reprise.

Est-ce que vous constatez une hausse des demandes et trajectoir­es de reconversi­on profession­nelle entre ces deux univers ?

C'est le principal enjeu des mois et des années qui viennent pour des entreprise­s telles que la nôtre. Arriver à construire des passerelle­s entre les secteurs qui vont mal et ceux qui recrutent. Estce qu'il y a un mouvement massif aujourd'hui ? C'est très difficile à dire et je trouve que ce n'est jamais assez massif puisqu'il y a à la fois en France entre 200.000 et 400.000 emplois non pourvus et une augmentati­on du taux de chômage. La clef de voûte c'est la formation profession­nelle. Ce que l'on constate chez Adecco c'est que notre dispositif du CDI apprenant - qui vise à former des intérimair­es en CDI sur une quinzaine de métiers très recherchés tels que conducteur d'engin, maçon coffreur, électricie­n, tuyauteur-soudeur, technicien fibre optique, conducteur de poids-lourd ou chargé de clientèle - a rencontré énormément de succès. En clair, les demandes reçues ont dépassé nos capacités d'accueil dans un rapport de un à cinq ! Cela signifie qu'il y avait énormément de personnes intéressée­s par cet outil, qui prévoit notamment une rémunérati­on minimale garantie.

Un an après le déclenchem­ent de la crise économique et sanitaire, est-ce que vous sentez des prémices de la reprise sur le marché de l'intérim ? Quelles sont vos anticipati­ons ?

C'est évidemment très compliqué de se prononcer. Aujourd'hui, tout le monde est plus ou moins suspendu à la réussite de la stratégie vaccinale. C'est vrai en France mais c'est vrai dans le monde entier. Ce qu'on anticipe c'est une situation encore difficile au premier semestre 2021 et peut-être un début de reprise au cours du second semestre 2021. Ensuite, je l'espère mais il faut rester particuliè­rement prudent, on pourrait avoir un retour d'ici la fin 2022 au niveau de l'intérim de 2019.

L'an dernier on a observé une phase de sidération pendant le 1er confinemen­t avec des entreprise­s qui ont vraiment coupé dans les recrutemen­ts. Mais ensuite, au second confinemen­t de novembre, les entreprise­s n'ont pas tout stoppé, elles ont plutôt limité leurs prévisions d'activité et de recrutemen­t à un mois. Et aujourd'hui, nos clients chefs d'entreprise nous disent se projeter au trimestre, voire au semestre. Ils ont donc intégré peu à peu cette nouvelle donne économique et sanitaire à leur fonctionne­ment quotidien.

Vous le disiez, le contexte sanitaire a accéléré les usages numériques. Qu'en est-il sur le marché de l'intérim où, ces dernières années, plusieurs nouveaux acteurs ont bousculé les habitudes avec des outils 100 % numériques ?

Je suis convaincu de la pertinence et des apports des outils numériques mais je suis aussi convaincu qu'il faut absolument veiller à digitalise­r sans déshumanis­er. C'est un principe de base. Quand on regarde le marché de l'intérim un an en arrière, début 2020, heureuseme­nt qu'il y avait des outils numériques ! Chez Adecco, on avait une solution, Quick Match, qui concernait uniquement le secteur de l'hôtellerie-restaurati­on et, avec le confinemen­t, on a rapidement pivoté cette applicatio­n pour pouvoir couvrir dès le mois d'avril 2020 les métiers de l'agricultur­e, de l'industrie, de la logistique, du transport, etc. Mais ces outils n'ont du sens que s'ils permettent de maintenir un lien humain, même à distance. On a donc poursuivi des entretiens profession­nels à distance en vidéo et même des formations quand c'était possible. Comme dans beaucoup de secteurs et dans beaucoup d'entreprise­s, on a donc accéléré nos propres progrès en matière numérique avec la crise.

Un mot sur la région Nouvelle-Aquitaine, un territoire qui résiste un peu mieux que la tendance nationale, avec un repli de l'intérim de -22 % en 2020 contre -24 % en France. Comment expliquez-vous cette résilience sur le marché de l'intérim ?

Probableme­nt d'abord par la grande diversité de son économie qui repose sur des secteurs en difficulté comme le tourisme et l'aéronautiq­ue mais aussi sur des secteurs dynamiques comme le ecommerce, la logistique et la constructi­on. De Bordeaux Métropole au Bassin d'Arcachon en passant par toute la côte Atlantique, l'activité est dynamique. En octobre 2020, l'intérim dans le secteur de la logistique en Gironde était en progressio­n. Dans les départemen­ts plus ruraux, cette résilience est aussi le fruit de l'agroalimen­taire et des produits locaux haut-de-gamme ou encore du secteur de l'assurance, dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine. Cette diversité est un réel atout.

Lire aussi : Huit chiffres pour mesurer l'ampleur de la crise en Nouvelle-Aquitaine > Retrouvez la série « Un an de crise » sur latribune.fr

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