Réchauffement climatique : Bill Gates réconcilie pragmatisme et humanisme
Dans "Climat : comment éviter un désastre" (éd. Flammarion), le milliardaire américain ne propose pas seulement des solutions techniques et financières pour décarboner rapidement l'économie mondiale. Il suggère aussi une approche humaniste et universaliste du problème qui, à l'instar de la mobilisation sans précédent de la communauté scientifique mondiale pour lutter contre la pandémie du Covid-19, passera par une collaboration à l'échelle planétaire.
La lutte contre le réchauffement climatique pose un problème inextricable. Le développement économique, qui a apporté le bien-être matériel à l'humanité, dépend de l'énergie fournie par les hydrocarbures (charbon, pétrole, gaz) depuis le XIXe siècle. Mais, les conditions de possibilité de ce progrès ont engendré une pollution atmosphérique qui menace aujourd'hui la survie de l'humanité.
Ce danger alimente un discours catastrophiste dans les médias, des responsables politiques prônent la décroissance. Or on a pu constater que durant la pandémie, les confinements, l'arrêt des économies et des activités, les émissions de gaz à effet de serre (GES) n'ont baissé que de... 5%.
A contrario, d'autres pensent que c'est ce même progrès technologique qui pourrait être le remède au mal, et permettrait de conjuguer croissance économique et réduction de la pollution. Parmi eux, le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, propose, dans « Climat : comment éviter un désastre » (éd. Flammarion), un programme de mesures concrètes.
COLLABORATION DES SCIENTIFIQUES
Son objectif est simple : ramener les 51 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, émis chaque année en moyenne à l'échelle mondiale, à... zéro d'ici à 2050. Le défi est titanesque, mais Bill Gates l'estime réalisable. N'a-t-on pas vu dans le cas du Covid-19 qu'il a été possible de mettre au point non pas un mais plusieurs vaccins en moins d'un an contre dix ans habituellement, grâce à la collaboration des scientifiques à travers toute la planète?
Issu d'une enquête qu'il a menée durant une décennie sur les causes et les effets du phénomène climatique, son plan élaboré avec des spécialistes venus des horizons les plus divers - chimie, physique, biologie, mais aussi ingénierie, sciences politiques et finance - fournit des solutions pour continuer à produire de l'électricité, des biens intermédiaires et des biens de consommation, à nourrir la planète, à se déplacer, et sortir un milliard de personnes de l'extrême pauvreté.
Pour cela, il faut multiplier par cinq en dix ans les investissements dans la recherche pour mettre au point des technologies qui permettront de cesser d'émettre des GES. Les politiques gouvernementales et le secteur privé doivent se coordonner pour orienter tous les financements possibles en ce sens. Gates consacre un chapitre à la production d'électricité, aux processus de production industriels, à l'agriculture et à l'élevage, aux moyens de transport, au chauffage et à la climatisation, ou encore les moyens de s'adapter à un monde plus chaud. Les solutions proposées ne sont pas originales mais c'est leur composition qui fait sens.
SORTIR DES FAUSSES ALTERNATIVES
Car ce plan vise l'efficacité, et entend sortir des fausses alternatives, par exemple, nucléaire ou énergies renouvelables, les deux participant à produire une électricité qui aujourd'hui représente un quart des émissions de GES. Outre un durcissement de la réglementation anti-pollution, Gates préconise le recours aux dernières recherches sur le nucléaire mais aussi celui, massif, aux panneaux solaires comme le fait la Chine, la conversion du parc automobile à l'électrique mais aussi l'adoption d'un prix élevé du carbone qui, à travers le mécanisme de marché, pénalisera financièrement les industries polluantes et les poussera à adopter des technologies vertes, en donnant un avantage comparatif aux entreprises les plus vertueuses en la matière. De même, quoi que l'on puisse penser du régime communiste chinois, il met en oeuvre des solutions techniques dont les autres pays devraient, peut-être, s'inspirer. Le fait qu'un entrepreneur comme Gates, plutôt méfiant envers les lourdeurs bureaucratiques des Etats, plaide en faveur de l'action publique montre son pragmatisme pour atteindre son objectif. Devant l'urgence, toutes les bonnes volontés comptent pour décarboner une économie dont la transition au charbon et au pétrole avait pris des décennies. Après tout, l'histoire a montré que face aux urgences l'ingéniosité humaine pour trouver des solutions est une ressource infinie!
Evidemment, les propositions du milliardaire technophile et humaniste ont tout pour déplaire aux militants de l'écologie politique. Se basant sur les connaissances scientifiques, pro-nucléaire et proOGM par real politique plus que par idéologie, il sait que le temps joue contre l'humanité. Il ne s'agit pas de choisir entre le bien et le mal, mais entre un moindre mal et un mal plus grave. Surtout, il raisonne à l'échelle mondiale, il n'a pas un point de vue uniquement centré sur les pays développés. C'est d'ailleurs cet universalisme qui explique pourquoi, lui qui n'est pas climatologue, a travaillé sur cet enjeu mondial qu'est la lutte contre le réchauffement climatique.
UN MILLIARD DE PERSONNES SANS ÉLECTRICITÉ
Depuis qu'il a créé, avec son épouse Melinda, une fondation à but philanthropique, il finance des initiatives en faveur du développement global, de la santé dans le monde, et de l'éducation aux Etats-Unis. Pour mener ces actions, Bill Gates s'est souvent rendu en Afrique sub-saharienne, et il a été frappé de constater, depuis l'avion qui la survolait, qu'une large partie des grandes villes, celle des quartiers populaires, étaient plongées dans l'obscurité. Un milliard de personnes aujourd'hui n'ont pas un accès fiable à l'électricité. Or, sans énergie, la possibilité d'une vie meilleure est limitée. Conscient du problème, il a créé le think tank Breakthrough Energy, et investit personnellement dans les entreprises qui innovent. De fil en aiguille, il en est arrivé à la conclusion suivante : « Il n'y avait qu'une solution : il fallait que l'énergie propre soit suffisamment bon marché pour que tous les pays puissent s'en doter et renoncer aux carburants fossiles. »
Car il serait tristement ironique d'un point de vue moral que ceux qui ont le moins contribué au réchauffement climatique en soient aujourd'hui les premières victimes. C'est bien pourquoi la lutte contre le réchauffement climatique est aussi une lutte en faveur d'une société plus inclusive.
Bill Gates "Climat : comment éviter un désastre", traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Raymond Clarinard, éditions Flammarion, 384 pages, 22,90 euros.