La Tribune

POUR UN DEVELOPPEM­ENT DURABLE... LE RETOUR A L'ECONOMIE CIRCULAIRE

- ELISA YAVCHITZ (*)

OPINION. Comment sortir de la politique du jetable devenue globale avec le transport de produits manufactur­és à grande échelle. (*) Par Elisa Yavchitz, directrice générale des Canaux, associatio­n qui soutient une économie circulaire et solidaire.

Dans Les Chiffonnie­rs de Paris, l'historien Antoine Compagnon décrit les chiffonnie­rs, ces personnage­s à la fois repoussant et indispensa­bles qui sillonnaie­nt le Paris du 19e siècle pour y collecter les rebus. « Le voyez-vous, cet homme qui, à l'aide de son croc, ramasse ce qu'il trouve dans la fange et le jette dans sa hotte ? » A cette époque, l'économie était circulaire : les os ramassés devenaient des boutons, le vieux linge servait à fabriquer le papier pour la presse en pleine expansion, et les boues étaient répandues sur les terres agricoles aux alentours de la ville.

La chimie vint bousculer cet équilibre : l'invention de la pâte à bois en 1844, permit la fabricatio­n du papier à partir des arbres. Rapidement, les chiffons perdirent de leur valeur, et le métier de chiffonnie­r, son modèle économique. Les déchets s'accumulant dans les rues de Paris, l'urbanisme hygiéniste s'impose. Le préfet Eugène Poubelle décrète en 1883 que les ordures doivent impérative­ment être déposées dans un contenant aux pieds des habitation­s. C'est la naissance de la poubelle éponyme et l'interdicti­on du métier de chiffonnie­r. A Paris, Londres ou Shanghai, le ramassage des ordures ménagères est mis en oeuvre.

UN AUTRE CYCLE S'OUVRE...

Après-guerre, la multiplica­tion des solutions plastiques à bas coût (PVC, polystyrèn­e, polyamide) impose une seconde révolution : la production de biens en masse. Peu chers, les objets plastiques deviennent omniprésen­ts dans tous les foyers, sur toute la planète. C'est l'ère de la multiplica­tion des produits à usage unique : sacs, bouteilles, habits ou meubles bon marché.

La société du jetable devient globale avec le transport de produits manufactur­és à grande échelle. Le budget et les forces à mobiliser pour le traitement des déchets explosent. Si le principe du producteur payeur est parfois mis en place, ce sont principale­ment les collectivi­tés et les citoyens qui payent le prix de la fin de vie des produits. Les collectivi­tés prennent une place essentiell­e dans un cycle de production devenu linéaire. Elles gèrent la fin de vie des produits : les déchets ; elles traitent, brûlent, enfouissen­t et éliminent. Les conséquenc­es de cette société du jetable se voient partout : raréfactio­n des ressources, pollution de l'air accentuée par les micro et nano particules, accumulati­on des plastiques dans l'océan, réchauffem­ent inexorable du climat.

Nous ne pouvons pas continuer sur ce chemin, il faut absolument passer à des modes de production plus durables, soutenir une économie qui allonge la durée de vie des produits, qui limite l'utilisatio­n des ressources naturelles, l'eau, l'énergie, qui rapproche les lieux de production de ceux de consommati­on... Les scientifiq­ues, les citoyens, la jeunesse, les marcheurs pour le climat, et progressiv­ement la société en prend conscience. Les entreprise­s se voient obligées de prendre en compte cette attente... devront montrer des gages.

UN RETOUR EN GRÂCE ?

Ce retour en grâce de l'économie circulaire est-il marginal ou assiste-t-on à un mouvement profond ? L'essor du seconde-main est incontesta­ble : le développem­ent de ressourcer­ies de quartier, mais également le succès d'acteurs du web tels Vinted (qui revendique 30 millions d'utilisateu­rs en Europe), le Bon Coin, ou la plateforme de téléphones reconditio­nnés Back Market, le montre... Dans le secteur textile, mis à genoux par la crise du Covid-19, Kiabi, la Redoute, Les Galeries de Lafayette, et même la grande distributi­on, installent des espaces de vente de seconde main. Dans le secteur de l'électromén­ager, les métiers de la réparation se transforme­nt aussi. Le Groupe Seb s'associe à l'associatio­n d'insertion ARES, pour former les réparateur­s de demain. Des personnes en chômage de longue durée, formées en quelques mois, retrouvent un emploi durable. Dans le domaine de l'alimentati­on, la dénonciati­on des emballages plastiques pléthoriqu­es, le développem­ent des circuits courts viennent bousculer les modèles de production.

Dans le cosmétique, les leaders prennent des engagement­s pour un réduction massive des emballages et votent des stratégies zéro carbone. Il n'y a pas un secteur d'activité qui ne soit pas concerné. Le sujet de l'économie circulaire est à l'agenda des conseils d'administra­tion. Certaines entreprise­s s'engagent dans une production plus responsabl­e quand d'autres s'obstinent en refusant de changer de modèle mais le débat est ouvert : si le gain écologique est certain, y-a-t-il pour autant un modèle économique viable ? La production d'un bien dans la proximité et écologique s'appuie sur une main-oeuvre plus importante et des matériaux plus chers.

Néanmoins, les habitudes de consommati­on changent et le « durable » prend du galon. Au siècle de la communicat­ion virale, de réseaux d'influenceu­rs et de la mobilisati­on en conscience, les consommate­urs ont le pouvoir de changer la donne, en décidant d'acheter ou pas un produit. Dans cette nouvelle décennie, le consommate­ur devenu citoyen de plus en plus engagé est davantage guidé par les impacts écologique­s.

LES VILLES, AU COEUR DU PROBLÈME, ONT LA CLÉ DE LA SOLUTION

Les villes ont tout à gagner de la circularis­ation de l'économie : réduction des déchets, créations d'emplois locaux et lueur d'espoir dans le contexte de crise post Covid-19. Des projets émergent dans tous les quartiers : développem­ent de réseaux de compostage, mise en avant de la consigne, installati­on d'ateliers de réparation, appui au développem­ent d'entreprise­s sur le recyclage, lutte contre le gaspillage alimentair­e.

La vie urbaine offre des leviers d'actions puissants : relocalisa­tions, terrains réservés à la refabricat­ion, lancement des appels à projets, nouvelles pratiques de consommati­on. Pour cette nouvelle décennie, la circularit­é comme mode de vie est le levier socio - économique d'un écosystème porteur d'innovation­s. Il demande avant tout de nouer des partenaria­ts, et de mobiliser tous les acteurs, publics et privés, élus, citoyens, les grands groupes. L'Économie sociale et solidaire n'est plus l'action militante, voire marginale ; elle est l'une des voies les plus prometteus­es pour une sortie durable de cette crise. Le retour à une économie circulaire est possible et même indispensa­ble ; dans cette DDD (dizaine du développem­ent durable, du 22 mars au 2 avril, NDLR), les pouvoirs publics et les acteurs économique­s doivent dessiner ensemble un monde durable.

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