La Tribune

Prix 10.000 startups 2021 : Bodyguard, l'IA qui débarrasse les réseaux sociaux de la haine

- LAURENCE BOTTERO

En moins de trois ans, la startup niçoise a convaincu ministres, médias, influenceu­rs et le grand public. Sa spécificit­é ? Lutter contre le cyber-harcèlemen­t en identifian­t et retirant automatiqu­ement les contenus haineux qui envahissen­t Twitter, Facebook ou Instagram. Bodyguard est le gagnant 2021 du prix "10.000 startups pour changer le monde", dans la catégorie "Impact".

Certaines innovation­s sont si utiles qu'elles peuvent sauver des vies. C'est le cas de Bodyguard, créé il y a trois ans par un petit génie de l'informatiq­ue, Charles Cohen, 22 ans à l'époque. Grâce à son intelligen­ce artificiel­le unique au monde, Bodyguard peut repérer et supprimer tous les contenus haineux publiés sur les réseaux sociaux, de manière personnali­sée, avant même que l'utilisateu­r en prenne connaissan­ce. Même Facebook, Twitter ou encore YouTube n'ont pas encore réussi à atteindre ce niveau de précision dans la compréhens­ion du langage naturel. Autrement dit, la startup niçoise permet à tous de se protéger de tous les types de cyber-harcèlemen­t (haine, insultes, harcèlemen­t sexuel...), ce qui est particuliè­rement précieux pour les personnes les plus vulnérable­s comme les adolescent­s.

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AUTODIDACT­E DE L'INFORMATIQ­UE

Lorsqu'il se lance il y a trois ans, Charles Cohen est bien loin d'imaginer s'embarquer pour une aventure entreprene­uriale au long cours. Tout juste, au moins, une expérience utile. Tout commence à l'âge de 10 ans, lorsque la programmat­ion entre dans sa vie, tout simplement parce que son père installe un ordinateur dans sa chambre... mais sans accès à Internet. Curieux, Charles Cohen découvre la programmat­ion en Java Script, ce langage qui est d'ailleurs celui utilisé pour Bodyguard. A 12 ans, il a affaire à ses premiers logiciels. Sa scolarité se poursuit jusqu'au bac, qu'il obtient avec une moyenne de 10,5. S'il ne sait vers quelle voie s'orienter, le déclic se produit lorsque Charles Cohen découvre l'histoire d'une petite fille harcelée en ligne qui se suicide.

« J'ai reçu une très bonne éducation de la part de mes parents, je pense être quelqu'un de bon, dans le sens où j'aime faire du bien autour de moi, aider si possible par mes compétence­s. L'article sur cette terrible histoire m'a donné envie de tester une solution. Et puis j'étais nourri, logé, blanchi, puisque je vivais chez mes parents. Je me suis dit que je pouvais faire un an de R&D en pyjama dans ma chambre ».

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COMPRÉHENS­ION FINE DU LANGAGE NATUREL

Charles Cohen se lance. « J'ai commencé par le plus difficile, protéger un individu. Mais pour cela, il faut comprendre très finement le langage naturel, pour séparer ce qui relève d'un simple commentair­e, même s'il y a une insulte dedans, d'un propos haineux". Par exemple, la phrase "J'ai été traitée de sale pute dans la rue" sera conservée, tandis que "T'es une sale pute" sera supprimé. Bref, Bodyguard ajoute de l'intelligen­ce à la modération automatiqu­e, aujourd'hui globalemen­t inefficace.

La ponctuatio­n, notamment, joue toute son importance. Mais il faut aussi appréhende­r le contexte, les métaphores et autres nuances de la langue, le langage SMS qui fleurit sur les réseaux sociaux, les emojis, les abréviatio­ns, les mots censurés et jusqu'aux fautes de frappe. L'algorithme développé par Bogyguard offre une protection personnali­sée : chacun définit, dans ses paramètres, contre quoi il veut être protégé, certains voulant juste supprimer les insultes tandis que d'autres souhaitent une modération plus complète intégrant harcèlemen­t moral, haineux, sexuel... La startup assure ainsi pouvoir détecter 90 % des contenus inappropri­és et ne comptabili­ser que 2% d'erreurs.

Rapidement, 20 000 utilisateu­rs adoptent Bodyguard. Ses meilleurs ambassadeu­rs sont des politiques, des YouTubeurs et des célébrités, qui ne tarissent pas d'éloges à son égard, notamment l'ancien secrétaire d'Etat au numérique Mounir Mahjoubi, la députée LREM Aurore Bergé, la journalist­e Rokhaya Diallo ou encore le chanteur Bilal Hassani. Les médias évoquent la techno. Et voilà la startup devenir le sujet d'attention d'une vingtaine de fonds d'investisse­ment. C'est ainsi que sans chiffre d'affaires, sans business-plan et sans bagage universita­ire, Charles Cohen lève 2 millions d'euros.

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60.000 UTILISATEU­RS, LANCEMENT D'UNE OFFRE "ENTREPRISE­S"

Aujourd'hui, Bodyguard a bientôt quatre ans et revendique 60 000 utilisateu­rs. Initialeme­nt destinée au grand public, la solution a également été développée et commercial­isée en janvier dernier pour les entreprise­s.

« Nous voulons que Bodyguard reste gratuite pour le grand public, mais pour générer des revenus nous proposons un abonnement aux entreprise­s, afin d'en faire une solution SaaS de la trust and safety », indique Charles Cohen. « La version BtoB permet de protéger les entreprise­s à tous les niveaux et sur tous les réseaux sociaux, les dirigeants comme les salariés ».

La startup a opté pour le système de l'abonnement et trois niveaux d'offres pour le segment BtoB -dont une offre dédiée aux startups-, pour compenser la « perte » engendrée par le segment BtoC, gratuit. Aujourd'hui, quatre types d'entreprise­s ont souscrit à la solution Bodyguard : celles du jeu vidéo, les nouveaux médias comme Brut ou Powder, les marques qui vendent en ligne, et les clubs sportifs. Toutes font face à d'importants enjeux de modération de leurs contenus. « A chaque fois, nous avons signé les top leaders », s'enthousias­me Charles Cohen.

"PAS INTÉRESSÉ" PAR UN RACHAT PAR FACEBOOK, GOOGLE OU TWITTER

Entrée une nouvelle étape de son développem­ent, la startup entame une phase de commercial­isation plus active, afin « de pouvoir générer du chiffre d'affaires d'ici le mois de septembre prochain ». 80.000 euros sont espérés en 2021, précise Charles Cohen. Septembre devrait également voir la conclusion d'une levée de fonds en série A, destinée notamment à intensifie­r la présence sur le marché américain. Un tour de table envisagé à hauteur de 1 million d'euros. Et qui donnerait à BodyGuard la capacité à s'exporter sereinemen­t.

Quant à la suite, Charles Cohen assure que Bodyguard qu'il n'est "pas intéressé" par un rachat de sa technologi­e par Facebook, Google ou Twitter. Ces géants américains feraient pourtant un très bon usage de cette technologi­e, tant ils sont critiqués pour leur modération plus qu'insatisfai­sante. Mais l'entreprene­ur n'a pas peur de rater une belle opportunit­é financière:

"Quand ils auront suffisamme­nt la pression des politiques pour régler le problème de la haine sur leurs plateforme­s, ils développer­ont eux-mêmes dans quelques années leur propre technologi­e, qui sera aussi efficace que celle de Bodyguard. Donc on deviendra inutiles sur Facebook, YouTube et Twitter, mais c'est tant mieux ! s'exclame l'entreprene­ur. Notre but est d'être là pour tous les autres, c'est-à-dire les petits réseaux sociaux et surtout les médias et toutes les entreprise­s qui ont une présence en ligne et qui n'ont pas les moyens de Facebook et Twitter".

Le prix "10.000 startups pour changer le monde" est le plus grand concours de startups en France. Il est organisé par La Tribune en partenaria­t avec BNP Paribas, la Mission French Tech, Bpifrance, Business France, le cabinet de conseil en propriété intellectu­elle Germain Moreau, Enedis, le secrétaria­t d'Etat à l'Economie Sociale et Solidaire et le ministère de l'Outre-Mer.

"10.000 startups pour changer le monde" récompense depuis 9 ans les startups françaises les plus prometteus­es dans six catégories qui incarnent les défis de demain : Environnem­ent & Energie, Industrie du futur, Data & IA, Smart tech -innovation­s d'usage-, Santé et Start -pépites en phase d'amorçage. Lors d'un tour de France entre janvier et mars dans 8 métropoles françaises (Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Paris, Strasbourg et Lille), son jury d'experts et de journalist­es a récompensé dans chaque région 6 startups, une par catégorie, soit 48 lauréats régionaux.

Ces gagnants se sont affrontés en finale le 15 mars en Paris, pour désigner parmi eux 8 grand prix nationaux : un par catégorie, ainsi qu'un prix Coup de Coeur et un prix Impact. Un 9è prix a également été décerné à une startup des Outre-Mer, parmi quatre finalistes primés à La Réunion et en Guadeloupe. Les 9 prix ont été remis le 29 mars 2021 au Grand Rex de Paris. Après sa victoire lors de la sélection régionale de Marseille, Bodyguard est le grand lauréat national dans la catégorie spéciale "Impact".

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