Présidentielle 2022 : la (grosse) carte postale d'Edouard Philippe
Après le président « normal » à la Hollande, le président bien dans ses baskets façon Philippe ? L'ancien Premier ministre, dans un livre à paraître, multiplie les sorties médiatiques et prépare les esprits, au cas où Macron ferait défection.
Et voilà que l'ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron sort de son silence. Edouard Philippe a choisi une opération médiatique classique : une grosse interview donnée au Point qui en profite pour en faire sa couverture de la semaine, et la sortie d'un livre la semaine prochaine ("Impressions et lignes claires", chez JC Lattès) co-signé avec son ancien conseiller politique, Gilles Boyer, aujourd'hui député européen. Mais l'opération est réussie : tous les médias ont annoncé le retour du havrais dans la vie politique nationale.
Pour celui qui était parti de Matignon après le premier confinement, le moment ne pouvait pas mieux tomber : face à l'avancée de l'épidémie du covid-19, le président Macron a dû se résoudre à annoncer l'élargissement des mesures de restriction à l'ensemble du pays. À un an de la présidentielle.
« IL NE ME TRAHIRA PAS, IL SAIT CE QU'IL ME DOIT »
Bien sûr, Edouard Philippe est prudent. Il ne souhaite pas encore dévoiler tout son jeu, et laisse les médias spéculer sur son éventuelle ambition présidentielle. Surtout ne pas apparaître comme un traître potentiel vis-à-vis d'Emmanuel Macron. L'actuel hôte de l'Elysée a d'ailleurs confié à ses proches au sujet de son ancien collaborateur : « il ne me trahira pas, il sait ce qu'il me doit ». C'est mot pour mot ce qu'avait dit François Hollande à propos de son ministre de l'Economie au présidentielle 2016, déjà un avant la présidentielle.
L'histoire a tendance à se répéter comme le soulignait un philosophe allemand bien connu d'Emmanuel Macron, qui l'a étudié plus jeune : « Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l'histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.», ironisait ainsi en son temps Karl Marx, dans son ouvrage essentiel Le 18 brumaire de Louis Bonaparte.
« DEPUIS QUELQUE TEMPS, LE SECOND MANDAT N'EST PLUS TOUT À FAIT LA NORME »
Cela n'empêche pas Edouard Philippe multiplie les allusions sur ses ambitions : « Depuis quelque temps, le second mandat n'est plus tout à fait la norme », écrit-il dans son livre. Au Point, il avoue « aimer être aux manettes ». On ne peut faire moins ambigu.
Et l'ancien Premier ministre d'esquisser une autre forme de gouvernance possible à l'Elysée : « Présider et gouverner sont deux exercices différents, et il en faut qu'il en soit ainsi pour que cela fonctionne ». Alors que les Français vivent (et subissent) l'hyper présidentialisme d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe choisit clairement de se démarquer. Après le président « normal » à la Hollande, le président bien dans ses baskets façon Philippe ?
UNIQUEMENT EN CAS DE « TEMPÊTE »
Dans son ancienne famille politique, certains commencent à y penser pour lui, comme JeanFrançois Copé qui a plusieurs fois évoqué l'hypothèse Philippe auprès de ses collègues. L'un des anciens collaborateurs du maire de Meaux, Guy Alves (il a été son chef de cabinet à Bercy), est d'ailleurs un ami intime d'Edouard Philippe. Malgré son éloignement des LR, l'ancien Premier ministre pourrait constituer un recours utile. Uniquement en cas de « tempête » modère-t-il immédiatement auprès de ses compagnons de route. Entendre : uniquement, et uniquement si Emmanuel Macron décide finalement de ne pas y aller en 2022.
En attendant, Edouard Philippe place ses pions, et n'oublie pas de faire fructifier son capital politique : sondages favorables, rencontres à tour de bras... L'homme veille également à garder le lien avec les élus issus de la gauche au sein de la majorité présidentielle. Il ne faut jamais oublier que l'ancien locataire de Matignon a commencé sa carrière politique en trouvant l'inspiration du coté de Michel Rocard. « Edouard a toujours eu une bienveillance à l'égard des élus du groupe "Territoires de progrès", et c'était réciproque. Quand il était à Matignon, il travaillait ainsi très bien avec Jean-Yves Le Drian ou Florence Parly », souligne un macroniste. Ainsi, dans son fief normand, Philippe a choisi de défendre la candidature de Laurent Bonnaterre, maire de Caudebeclès-Elbeuf, un ex PS, pour la candidature LREM aux prochaines régionales.
Une posture habile qui pourrait lui permettre, à terme, d'insuffler l'idée qu'il n'a pas trahi, lui, les promesses du « en même temps » de 2017, alors qu'une bonne partie de la majorité reproche au président ses inflexions droitières, notamment sur les problématiques identitaires. Philippe pourrait incarner cette « bienveillance » politique que le président a quelque peu oublié depuis qu'il est aux manettes. C'est l'autre chance (ou opportunité) pour Edouard Philippe : apparaitre comme un recours aux Français, permettant de contourner un duel Macron/Le Pen. Une perspective que beaucoup aimerait effacer, car considérée comme trop mortifère, voire dangereuse.
Reste qu'Edouard Philippe a déjà prévenu : il ne se lancera pas dans la course contre l'actuel président. « Si Macron ne fait pas défection, Philippe n'ira pas. Il ne peut pas y aller », nous assure ainsi un macroniste de la première heure qui a côtoyé Philippe à l'UMP. « S'il se mettait à combattre Macron, il perdrait tout son capital politique qui s'est construit sur la fidélité et la loyauté ».