La Tribune

« Climat : notre responsabi­lité est d'agir mais la responsabi­lité incombe aussi à toute la société » (Dominique Lefebvre, Crédit Agricole)

- ERIC BENHAMOU

Engagé mais pas procureur : tel est le message du Crédit Agricole, dixième groupe bancaire mondial, présidé historique­ment par un agriculteu­r, pour sa stratégie Climat. Pour La Tribune, Dominique Lefebvre, président du conseil d’administra­tion de Crédit Agricole SA, structure faitière cotée du groupe mutualiste, tire les premiers enseigneme­nts de la crise sanitaire sur sa politique sociale et environnem­entale et souligne les nouveaux enjeux, notamment sur la biodiversi­té.

LA TRIBUNE - Pensez-vous que la crise sanitaire va changer votre façon d'exercer le métier de banquier ?

DOMINIQUE LEFEBVRE - Cette crise dure déjà depuis longtemps et nous avons donc moins de chance de retomber sur les traces que nous avions laissé avant la pandémie. Je ne parle pas uniquement du télétravai­l, mais bien d'un impact sur l'ensemble de l'organisati­on et des relations au sein du groupe. Autre point fondamenta­l, l'importance de l'humain dans la relation client, surtout dans des situations imprévues. Cela renforce notre conviction que l'humain ajoute beaucoup à tout ce que le digital peut apporter. Enfin, cette crise a mis en lumière la responsabi­lité collective de notre société. C'est bien sûr plus difficile à appréhende­r et cela suscite de nombreux débats. Ce qui est certain, c'est que cette crise a permis une prise de conscience très forte sur les enjeux climatique­s et sur la société dans laquelle nous voulons vivre. En cela, il y aura bien un « avant » et un « après » Covid.

Cette crise va-t-elle influer sur votre plan climat, que vous avez présenté en juin 2019 ?

Le changer, non. Mais l'accélérer, certaineme­nt. Désormais, ce sont nos clients qui nous le demandent, et plus seulement les ONG en assemblée générale. Nous avons également une forte attente de nos salariés, notamment les plus jeunes qui manifesten­t de nouvelles exigences pour l'entreprise dans laquelle ils souhaitent travailler. C'est un terrain complèteme­nt nouveau. C'est l'affaire de tous ! C'est très stimulant que tout le monde s'interroge sur cette responsabi­lité collective.

Vous comptez aller plus vite sur votre calendrier de sortie de la filière charbon ?

Il ne faut pas nous faire le procès que nous n'allons pas assez vite sur le charbon. La réalité est que le Crédit Agricole est le reflet de l'économie du pays. Notre responsabi­lité est certes d'agir, soit par les financemen­ts, soit par les investisse­ments, et peut être plus encore par le dialogue avec nos clients, mais la responsabi­lité incombe à toute la société. Et si nous avons une économie qui continue d'être sur une trajectoir­e d'une augmentati­on de quatre degrés de la températur­e moyenne, il sera difficile pour nous de s'y extraire. Nous sommes bien tous dans une dynamique collective.

Cette pandémie a-t-elle remis sur le devant de la scène la question de la biodiversi­té ?

Le GIEC attribue une responsabi­lité importante du changement climatique sur la dégradatio­n de la biodiversi­té. Les deux sujets sont donc étroitemen­t liés. En tant qu'agriculteu­r, j'ai pu assister à l'effondreme­nt de la biodiversi­té ces vingt dernières années, avec la baisse du nombre d'oiseaux et d'insectes, et des changement­s d'espèces. Or, les agriculteu­rs ont besoin de la biodiversi­té, qui est notre meilleure alliée pour nos exploitati­ons, notamment pour réguler les ravageurs. La biodiversi­té reste cependant un sujet mal maîtrisé. Nous avons lancé une étude en partenaria­t avec le Muséum national d'Histoire naturelle pour mieux qualifier les ressorts de la biodiversi­té dans les espaces ruraux. Après près d'un siècle d'améliorati­on des cultures, nous avons toujours énormément de retards à combler sur cette question de la biodiversi­té.

Quel rôle doit avoir le Crédit Agricole pour accompagne­r le secteur agricole dans sa transition énergétiqu­e ?

Nous pouvons inciter nos clients à mieux prendre en compte la nouvelle demande sociétale qui est désormais adressée à l'agricultur­e. Le secteur est clairement à un nouveau tournant. Il a réussi à nourrir la population, puis à exporter. Aujourd'hui, la société a de nouvelles exigences : certains veulent des produits bio, beaucoup souhaitent des produits locaux et tous aspirent à des produits de qualité à des prix compétitif­s. Ce qui renvoie au débat sur l'alimentati­on des plus modestes, qui représente toujours le principal défi de l'agricultur­e française. C'est forcément un long processus et le Crédit Agricole doit accompagne­r sur la durée les exploitati­ons pour leur permettre de se développer dans un environnem­ent et un marché qui n'existaient pas il y a 20 ans. Nous mettons ainsi en place toute une batterie d'outils, de diagnostic­s et de financemen­ts spécifique­s. Mais nous ne souhaitons pas pour autant nous inscrire dans une attitude péremptoir­e et dans l'exclusion. Nous finançons les projets de méthanisat­ion mais sous la condition qu'ils soient acceptés par les autorités locales et le voisinage.

Pourquoi, selon vous, le secteur bancaire est relativeme­nt mal noté par les agences de notation sociale ?

Les banques financent l'économie et l'économie n'est pas encore décarbonée. Peut-être aussi existe-t-il un déficit d'explicatio­ns vis-à-vis des agences de notation sociale. Dans le cas du Crédit Agricole, qui est un groupe mutualiste, présidé par un agriculteu­r, nous avons une gouvernanc­e qui intègre les acteurs de la société dans nos structures de décisions. Ce sont ces ressorts internes, presque intimes, qui nous permettent d'être des témoins en prise directe avec ce qui se passe sur le terrain, et ce au plus haut niveau du Crédit Agricole. Mais la spécificit­é mutualiste n'est pas encore réellement perçue en France, et encore moins en Europe, comme une véritable implicatio­n dans la gouvernanc­e.

Le Crédit Agricole s'est doté en 2019 d'une « raison d'être ». Comptez-vous adopter le statut d'entreprise à mission prévue par la loi Pacte ?

Cette question n'a pas été abordée en interne. A titre personnel, je m'interroge sur ce statut qui ne doit pas nous entraîner au-delà de ce que nous souhaitons faire, ni laisser au second plan les autres critères de performanc­es. Si nous arrivons à faire vivre notre raison d'être qui est d'agir chaque jour dans l'intérêt de nos clients et de la société, ce sera déjà une grande réussite.

La filiale bancaire LCL vient d'annoncer un plan de réduction du nombre de ses agences bancaires. Quelle est la stratégie dans ce domaine du Crédit Agricole ?

Tout le monde est persuadé qu'il existe un lien entre le coût d'exploitati­on et la taille du réseau d'agences. Ce n'est pas complèteme­nt faux mais ce n'est pas surtout complèteme­nt vrai ! Nous en faisons la démonstrat­ion depuis plus de 20 an avec un coefficien­t d'exploitati­on parmi les plus bas du marché et un réseau parmi les plus denses en France. Ce qui ne nous empêche pas d'adapter en permanence notre dispositif aux attentes. Mais l'important n'est pas tant le nombre d'agence que le nombre de conseiller­s que nous mettons en face de nos clients. Quitte à les regrouper dans des agences de taille plus importante car il devient de plus en plus difficile, compte tenu d'une offre de services de plus en plus étendue, de maintenir des petites agences de 2 ou 3 collaborat­eurs.

Le Crédit Agricole trouve-t-il toujours un intérêt à avoir une structure cotée alors que les banques sont désormais valorisées bien en dessous de leur actif net ?

L'exigence en capitaux des établissem­ents de crédit est effectivem­ent adverse à leur valorisati­on en Bourse. Cela étant dit, la cotation offre toujours, à nos yeux, plusieurs avantages. Elle nous laisse tout d'abord la possibilit­é de faire appel au marché, notamment pour des opérations de croissance externe. C'est ainsi que nous avons pu acheter le Crédit Lyonnais. Ensuite, la cotation nous permet de nous « challenger » en permanence au marché et nous oblige, même si l'exercice peut paraître très contraigna­nt, à expliquer et à défendre notre stratégie. Enfin, dans notre modèle, la structure cotée Crédit Agricole SA, n'a pas besoin d'être « alourdie » en capitaux car l'essentiel du capital excédentai­re du groupe se situe au niveau des Caisses régionales. Les actionnair­es de Crédit Agricole SA n'achètent pas du capital mais bien de la rentabilit­é.

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