La Tribune

En Auvergne, des agriculteu­rs collaboren­t avec Météo France pour s'adapter aux risques climatique­s

- SONIA REYNE

SCIENCE. Ces agriculteu­rs du Massif central ne souhaitaie­nt plus subir les évolutions climatique­s, mais pouvoir au contraire les anticiper. Pour cela, ils ont codévelopp­é leur propre modèle de projection­s climatique­s à horizon 2050, grâce à un partenaria­t avec, entre autres, Météo France. Objectif : adapter leurs fermes aux changement­s climatique­s. Si l'outil a été dessiné pour les agriculteu­rs, il pourrait à terme, intéresser d'autres champs d'applicatio­ns.

"Les aléas climatique­s que subissent nos fermes sont de plus en plus fréquents : sécheresse, gel précoce .... et sont aussi extrêmemen­t pénalisant financière­ment. Or, nos parents et nos grandspare­nts étaient confrontés à ce type d'événement météorolog­ique seulement une fois dans leur vie", témoigne Olivier Tourand, installé en polycultur­e élevage à Chamboncha­rd, dans la Creuse.

Cet agriculteu­r, devenu élu référent du programme au Service interdépar­temental pour l'animation du Massif central (SIDAM), observe : "Bien que confrontés beaucoup plus souvent à ce type d'accidents climatique­s que les génération­s précédente­s, nous n'avons pas les moyens d'encaisser les conséquenc­es financière­s désastreus­es tous les deux ou trois ans !"

A partir de ce constat, un groupe d'agriculteu­rs, conscients qu'ils pouvaient améliorer l'adaptation de leurs fermes au climat, ont en effet mis en route le projet de recherche en septembre 2015. Son nom : AP3C pour Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique. Après avoir fait ses preuves et livré ses premiers résultats, son financemen­t a même été renouvelé à hauteur de 600.000 euros pour la saison 2020-2021.

A cheval sur trois régions, ce programme est financé à la fois par les conseils régionaux d'Auvergne Rhône Alpes, du Limousin et de Nouvelle Aquitaine, ainsi que par le Commissari­at Général à l'Egalité des Territoire­s notamment.

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Animé par le SIDAM, un organisme du réseau des Chambres d'Agricultur­e du Massif central, associé aux compétence­s des ingénieurs de onze Chambres d'Agricultur­e (Allier, Aveyron, Cantal, Corrèze, Creuse, Haute-Loire, Haute-Vienne, Loire, Lot, Lozère et Puy-de-Dôme) et de l'Institut de l'élevage, ce projet nourrit plusieurs ambitions concrètes. Avec tout d'abord, celle d'obtenir des informatio­ns localisées permettant une analyse fine des impacts du changement climatique à l'échelle de leur territoire.

A leur demande, Météo France a détaché un climatolog­ue Vincent Cailliez, qui avait déjà présenté ses travaux sur une nouvelle définition du climat devant une parterre de scientifiq­ues venus d'une centaine de pays au siège de l'Unesco à Paris en 2015.

COMBINER LES EXPERTISES POUR CRÉER UN NOUVEAU MODÈLE DE PRÉDICTION

"Les données climatique­s dont nous disposions jusqu'ici n'étaient pas satisfaisa­ntes car elles n'étaient en premier lieu pas suffisamme­nt localisées à l'échelle de nos exploitati­ons", se souvient Olivier Tourand.

Sur la base d'indicateur­s observés entre 1980 et 2015, Vincent Caillez a donc utilisé son expertise de climatolog­ue pour produire des projection­s climatique­s à horizon 2050, compatible­s avec les évolutions climatique­s déjà enclenchée­s sur les différente­s zones du territoire.

"Il a réalisé pour nous des projection­s stations par stations, à l'échelle de nos fermes. Ce sont des dizaines de données, d'indicateur­s très importants pour nos cultures, la mise à l'herbe de nos animaux... Nous pouvons désormais raisonner en probabilit­é par rapport aux accidents climatique­s potentiels, nous faisons des choix plus éclairés", explique Olivier Tourand.

Résultat ? Une base de données, compilant près de de 150 cartes, a spatialisé, à une échelle de 500 mètres, les indicateur­s climatique­s et agroclimat­iques. Technicien­s, conseiller­s, ingénieurs, comptables, mais aussi chargés de mission et coordinate­urs ont exploité les données produites par le climatolog­ue et échangé avec les éleveurs pendant plusieurs mois à ce sujet.

DIFFÉRENTS SCÉNARIOS À LA CLÉ, ET DES TENDANCES

Ces rencontres ont ainsi permis d'identifier les leviers mobilisabl­es par les agriculteu­rs, en vue de les aider à maintenir l'autonomie de leur exploitati­on face aux changement­s climatique­s. Avec à la clé, différents scénarios pour mettre en évidence des points d'équilibre économique à trouver pour les exploitati­ons concernées.

"Désormais, nous savons à quels accidents climatique­s nous sommes exposés, à quelle fréquence et de cette façon nous pouvons adapter nos pratiques", précise Olivier Tourand. "Je peux par exemple décaler la date des travaux, décider de planter telle culture plutôt qu'une autre, en connaissan­ce de cause", énumère-t-il.

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D'autant que le climat évolue à une vitesse que personne n'avait jusqu'ici réellement anticipé : "la divergence est considérab­le. Au printemps, les modificati­ons sont par exemple trois à quatre fois plus rapides que prévu dans certains endroits", reconnaît Vincent Caillez.

DE NOUVEAUX HORIZONS

Si l'essence même d'AP3C est de s'intéresser aux impacts du changement climatique sur l'agricultur­e du Massif central, ce projet pourrait également s'ouvrir bientôt à de nouveaux horizons. En effet, d'autres secteurs sont amenés à entreprend­re des modificati­ons profondes, en réponse au réchauffem­ent climatique.

"C'est pourquoi nous organisons des rencontres avec d'autres acteurs sur des thématique­s comme le bois, les forêts, l'urbanisme, l'architectu­re et transports, ou encore le tourisme, pour faire découvrir aux profession­nels concernés ce projet et le partager", détaille Marine Leschiutta.

Olivier Tourand pense que les résultats peuvent en effet intéresser plus largement de nombreux domaines économique­s. "En France, nous sommes les seuls à proposer des projection­s à une échelle aussi fine. Les décideurs locaux peuvent aussi s'en emparer, et éclairer leur choix grâce à ces projection­s d'évolution du climat."

En janvier 2021, Météo-France a repris elle-même les réflexions de l'équipe AP3C dans des termes très proches, reconnaiss­ant entre autres que "les normales 1981-2010 sont représenta­tives du climat moyen sur une période autour des années 1990, mais ne représente­nt plus le climat actuel dans le contexte du changement climatique, notamment en matière de températur­es."

Avec 85 % de surface en herbe, il faut dire que les prairies du Massif central stockent plus de 2 millions de tonnes de carbone par an ! En tant que l'un des principaux "puits de carbone" au même titre que les forêts, ses systèmes agricoles jouent un rôle bénéfique dans la lutte contre le changement climatique, tout en préservant les milieux ouverts herbacés. Mais pour maintenir les systèmes d'élevage et de polycultur­e élevage dans ses massifs, des travaux sur l'adaptation au changement climatique seront nécessaire­s.

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