La Tribune

Cybersécur­ité : des hôpitaux à la santé fragile

- EMMANUEL LE BOHEC

Après des vagues de cyberattaq­ues sans précédents subies par nos centres hospitalie­rs, "la réaction étatique sur le plan cyber sécuritair­e se devait d'être à la hauteur, et elle semble l'être... du moins financière­ment car les contours du plan restent à définir". Par Emmanuel Le Bohec, directeur ...

Après des vagues de cyberattaq­ues sans précédents subies par nos centres hospitalie­rs, "la réaction étatique sur le plan cyber sécuritair­e se devait d'être à la hauteur, et elle semble l'être... du moins financière­ment car les contours du plan restent à définir". Par Emmanuel Le Bohec, directeur Claroty (pays francophon­es), spécialist­e de la sécurité des systèmes industriel­s

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informatio­n (ANSSI) a révélé qu'au total 27 centres hospitalie­rs avaient été ciblés en 2020. L'activité des pirates s'étant largement accélérée au cours des dernières semaines puisqu'en 2021, l'ANSSI dénombre d'ores et déjà une attaque par semaine. Les centres hospitalie­rs de Dax ou encore de Villefranc­he-sur-Saône en ont fait les frais.

L'État français vient donc d'annoncer un important plan d'investisse­ment pour renforcer la cybersécur­ité des hôpitaux et centres hospitalie­rs français. Le 19 février, le président Emmanuel Macron a lui-même déclaré que 350 millions d'euros seraient investis au travers du Ségur de la santé. Après des vagues de cyberattaq­ues sans précédents subies par nos centres hospitalie­rs, déjà largement sous tension du fait de la pandémie, la réaction étatique sur le plan cyber sécuritair­e se devait d'être à la hauteur, et elle semble l'être... du moins financière­ment car les contours du plan restent à définir.

A ce jour, quelques éléments concrets de ce plan d'investisse­ment ont été révélés : l'État a nommé trois prestatair­es spécialisé­s en services de cybersécur­ité pour réaliser des audits et accompagne­r les hôpitaux dans leur démarche, et exprimé plusieurs conditions à son investisse­ment renforcé, notamment la nécessité pour les hôpitaux d'attribuer 5% à 10 % de leurs budgets IT au volet cybersécur­ité.

A L'INSTAR DE L'USINE 4.0, L'HÔPITAL S'EST MODERNISÉ...

Le parallèle entre l'hôpital et l'usine n'est pas anodin. L'usine a engagé il y a quelques années une nouvelle révolution - appelée l'usine/industrie 4.0 et présentée comme la 4ème grande révolution industriel­le - qui s'est traduite par l'intégratio­n d'un grand nombre de technologi­es numériques dans les processus de fabricatio­n. Dans les faits, ce sont des technologi­es de big data, d'objets connectés, de Cloud, de capteurs et automates intelligen­ts, etc. qui ont pris place un peu partout dans l'usine, pour permettre à l'usine de produire plus, plus efficaceme­nt, d'être plus « verte », de rationalis­er ses coûts, etc. Plus communémen­t, on parle de transforma­tion numérique ou de digitalisa­tion.

Cette transition a aussi été vécue au sein des hôpitaux, car l'hôpital n'est pas simplement un centre de soins, il est aussi aujourd'hui géré comme une entreprise. Et avec la tendance au rapprochem­ent des hôpitaux dans des centres hospitalie­rs de plus en plus grands et centralisé­s, l'hôpital d'aujourd'hui ressemble plus à une usine 4.0, avec plusieurs sites qu'à un hôpital local d'antan.

Cette modernisat­ion se traduit concrèteme­nt par l'intégratio­n massive du numérique et du tout connecté : le dossier patient totalement informatis­é (DPI) et stocké dans le Cloud, le matériel d'imagerie médicale, la robotique médicale ou même la gestion des bâtiments sont connectés. C'est bien moins connu, mais un docteur du centre hospitalie­r de Dax, nous a appris dans un témoignage que l'un des impacts de la cyberattaq­ue subie récemment avait rendu impossible la stérilisat­ion du matériel médical « car tous les automates sont commandés par ordinateur­s avec traçabilit­é pour pouvoir sortir les boîtes ». En d'autres termes, même la gestion des boîtes stérilisée­s repose sur l'informatiq­ue. Et en l'occurrence, dans ce cas il était donc possible d'opérer mais sans boîtes stérilisée­s.

... ET IL EST DEVENU VULNÉRABLE

Le problème, encore plus vrai dans le secteur hospitalie­r, que dans le secteur industriel, c'est que cette modernisat­ion - cette transforma­tion numérique à marche forcée - s'est faite sans que l'on se préoccupe suffisamme­nt de la cybersécur­ité. Et le résultat est une très grande vulnérabil­ité aux cyberattaq­ues, que des pirates sans aucun sens moral s'empressent de lancer au moment où l'hôpital est rendu encore plus vulnérable par la gestion de la pandémie.

Les annonces faites par le Emmanuel Macron sur l'améliorati­on du niveau de cybersécur­ité des hôpitaux, en mettant l'accent sur la sensibilis­ation et l'hygiène de base est un bon point de départ, qui doit s'inscrire dans une démarche globale. La sécurité du réseau doit intégrer la bureautiqu­e traditionn­elle (IT) et le réseau plus industriel (OT) qui inclut les objets connectés (IoT) et les objets connectés industriel­s (IIoT). Car seuls l'investisse­ment dans des solutions tels des antivirus, et les efforts en matière de sensibilis­ation (à l'échelle d'un hôpital avec un personnel aussi hétéroclit­e, la tâche reste ardue) ne permettron­t pas de protéger l'ensemble du périmètre.

DES ÉQUIPEMENT­S MÉDICAUX SOUS TENSION

Les cyberattaq­uants sont des criminels comme les autres. Ils ne s'arrêtent pas à une porte fermée. Ils essaient de rentrer par les fenêtres, et ainsi de suite. S'ils viennent à cibler les gros équipement­s médicaux, les scanners IRM, les pompes à insuline, les automates de toutes sortes (de gestion de la stérilisat­ion, etc.) cela mettrait directemen­t des vies en danger. Nous avons déjà vu des démonstrat­ions et des alertes sur ces équipement­s dans le passé. Cela peut donc devenir réalité. Et avec l'augmentati­on des dispositif­s IoT, de la robotique, et très prochainem­ent de la connectivi­té 5G, les vulnérabil­ités seront encore plus nombreuses.

Sécuriser les réseaux est autrement plus complexe que sécuriser des postes de travail et des fichiers, d'autant que les équipement­s médicaux utilisent des protocoles de communicat­ion divers et parfois rares. Cela signifie que les systèmes industriel­s ont besoin de solutions de cybersécur­ité spécifique­s et bien entendu d'experts spécialisé­s. Il est crucial que ces éléments soient pris en compte dans la réflexion actuelle autour de la cybersécur­ité des hôpitaux.

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