La Tribune

"NOUS AVONS SAUVE DES DIZAINES DE MILLIERS D'EMPLOIS EN 2020" (TRIBUNAL DE COMMERCE DE LYON)

- MARIE LYAN

CONFINEMEN­T, SAISON 3. La vague de faillites qu’il attendait n’a toujours pas eu lieu. Mais entre un bilan 2020 pour l’heure toujours meilleur qu’il n’y paraissait, et des préoccupat­ions cependant marquées pour la 3e saison de confinemen­t qui s’amorce, le président du tribunal de commerce de Lyon, Thierry Gardon, se confie à La Tribune. Avec toutefois une satisfacti­on : selon ses premières estimation­s, les procédures de conciliati­on auraient permis de sauver « des dizaines de milliers d’emplois » à l’échelle lyonnaise.

LA TRIBUNE AURA - Nous nous étions parlés à l'automne dernier, avec la crainte qu'une vague de faillites ne menace la France, et également la région AuRA, début 2021 : quel état des lieux peut-on finalement dresser au sein du tribunal de commerce de Lyon en ce premier trimestre ?

THIERRY GARDON - La situation n'a pas beaucoup évolué depuis l'automne dernier, le nombre d'entreprise­s en défaillanc­es se présentant devant notre juridictio­n demeure bas, essentiell­ement en raison des PGE consommés, mais aussi du fait que les organismes fiscaux et sociaux n'ont toujours pas repris les voies de recouvreme­nt forcées.

Ces facteurs font que les entreprise­s ne sont pas aujourd'hui incitées à venir auprès du tribunal de commerce, y compris au sein des secteurs qui sont totalement sinistrés comme la restaurati­on, l'hôtellerie, etc, qui sont actuelleme­nt à l'arrêt.

Avec les aides accordées, on a ainsi mis des entreprise­s sous perfusion mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elles seront ensuite capables de vivre toute seules, et c'est précisémen­t ce qui nous inquiète aujourd'hui.

Au cours des derniers mois, quel a donc été le bilan de l'activité du tribunal de commerce de Lyon ?

Depuis près d'un an, nous avons entrepris une série de mesures de prévention et lorsque l'on dresse un premier bilan, on se rend compte avec satisfacti­on que l'on a réussi à sauver des dizaines de milliers d'emplois à l'échelle de notre territoire.

Et ce, à travers toutes les procédures de conciliati­on qui, même si l'on ne peut pas dévoiler leur contenu, qui demeure confidenti­el, ont démontré tout leur intérêt pour les dirigeants.

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Nous n'avons pas encore arrêté les chiffres de manière consolidée, mais ce nombre nous semble aujourd'hui plus élevé que par rapport à une année normale.

Ce sont la plupart du temps des procédures qui se font dans l'ombre, mais qui démontrent bien l'intérêt de notre métier, puisqu'elles permettent de remettre à plat l'ensemble des créances des entreprise­s et de mettre autour de la table leurs créanciers avant que la situation ne s'empire.

Cela représente, au total, des centaines de dossiers ouverts, dont certains de grande taille et qui iront jusqu'à devenir des procédures judiciaire­s, relayées dans la presse. C'est par exemple le cas de MDA (le discounter de produits électromén­agers est sorti d'une procédure de sauvegarde en décembre 2020, ndlr), qui concernait jusqu'à 5.000 emplois indirects.

Quels ont été les secteurs qui ont fait appel à vous les premiers durant cette année de crise ?

On voit d'abord qu'en situation de crise, les créanciers de manière générale et notamment les banques ont été plutôt bienveilla­nts et à l'écoute, probableme­nt davantage que sur des périodes comme 2018 ou 2019, où il n'existait pas de crise et où des problémati­ques de gestion pouvaient être soulevées.

Le sauvetage de plusieurs dizaines de milliers d'emplois en l'espace d'un an démontre que le système que nous proposons est efficace. On a retrouvé d'ailleurs des dossiers issus de tous les secteurs, aussi bien de l'industrie, de l'événementi­el, de la distributi­on de biens intermédia­ires, des centres de sport...

Bizarremen­t, nous avons pour l'heure encore peu de dossiers issus de l'hôtellerie-restaurati­on ou du secteur de la montagne, qui sont encore alimentés par les aides gouverneme­ntales.

Nous avions également beaucoup parlé il y a quelques mois du secteur de l'aéronautiq­ue, qui, même s'il reste « drivé » par l'écosystème toulousain, compte un certain nombre de sous-traitants de rang 2 voire 3 en AuRA (vallée de l'Arve, etc) : ont-ils frappé à la porte du tribunal de commerce également ?

L'aéronautiq­ue a pour l'instant plutôt bien résisté dans notre région, même si nous restons inquiets. Dans ce secteur, une forme de reprise semble se dessiner, mais elle est actuelleme­nt essentiell­ement tirée par l'export, et notamment les pays asiatiques qui redémarren­t, ainsi que l'Angleterre.

Le problème, c'est que nous avons des sociétés endettées par les PGE, qui ont dû supporter une période sans business, et qui reprennent actuelleme­nt des commandes sans avoir les moyens de les financer.

Les crédits fournisseu­rs sont en effet réduits, du fait de leur endettemen­t, et le rallongeme­nt des délais d'exécution de leurs commandes, en raison de problèmes d'approvisio­nnement de leurs matières premières ou de composants qui n'arrivent pas, les pénalisent en premier lieu.

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Avez-vous l'impression que les entreprise­s ont davantage anticipé leurs difficulté­s financière­s sur cette fin d'année en raison des différente­s vagues de la crise, et ont fait appel aux procédures de conciliati­on plus tôt ?

Nous avons effectivem­ent l'impression qu'elles sont venues un peu plus tôt, mais la période actuelle, marquée par l'incertitud­e, veut tout de même qu'il existe aussi une forme d'attente : on voit bien qu'au fil du premier, deuxième, voir même troisième confinemen­t désormais, les entreprise­s sont dans l'attente de voir ce qu'il va se passer sur le terrain sanitaire et économique.

Notre inquiétude se porte aujourd'hui vers le tissu de TPE, voire de PME, qui hésitent à venir et pensent qu'il n'existe aucune solution à leur situation. Ce n'est pas le cas, car il existe au contraire un intérêt à remettre à plat l'ensemble de leur dette, y compris antérieure, et à avoir une approche globale.

Il y a quelques mois, un grand nombre d'acteurs avaient fait part de leurs craintes concernant le coût d'un premier, puis d'un second confinemen­t : qu'en est-il désormais avec cette 3e phase de « mesures de freinage » qui s'impose à l'ensemble du pays pour quatre semaines. Craignez-vous que l'addition soit encore plus « salée » que prévue pour l'écosystème régional ?

Ce nouveau confinemen­t pourrait avoir en effet un effet très négatif sur le commerce, et notamment sur les établissem­ents dits « non essentiels ». Il faut pas non plus sous-estimer les effets du renforceme­nt du télétravai­l, qui font que si l'on se déplace moins, on génère aussi moins de ventes à emporter pour les restaurate­urs, qui avaient commencé à développer un nouveau modèle.

CETTE PÉRIODE NE SERA ÉGALEMENT PAS TRÈS PROPICE À FAIRE DES AFFAIRES ET À CE QUE LES GENS SE RENCONTREN­T ET CRÉENT DU LIEN. IL EXISTE DONC DES RAISONS D'ÊTRE INQUIETS. QUEL EST DÉSORMAIS L'HORIZON QUE LES TRIBUNAUX DE COMMERCE REGARDENT AVEC ATTENTION ?

Il semble que la vague de défaillanc­es que l'on prédisait en soit également retardée : on a plutôt l'impression que l'on s'oriente désormais vers le printemps 2022.

Une chose est sûre : lorsqu'on se trouve dans une économie qui fonctionne normalemen­t, il existe toujours des entreprise­s en défaillanc­e, en raison d'un phénomène de concurrenc­e ou de la vie des entreprise­s.

En 2019 avant la crise, nous avions par exemple connu un score particuliè­rement bas au niveau national de 52.000 défaillanc­es en France, dont environ 1.400 à Lyon. Il ne faut pas non plus oublier que si l'on parle souvent des grandes entreprise­s ou ETI, celles-ci ne représenta­ient à l'époque déjà que 38 dossiers. Le principal réside dans les petites et moyennes entreprise­s, dont on ne parle pas souvent, mais pour lesquelles les difficulté­s sont bien réelles.

Or, actuelleme­nt, ces entreprise­s ne sont plus présentes à la barre du tribunal de commerce car elles sont encore très largement aidées. Mais l'on ne peut pas vivre constammen­t dans une économie artificiel­le : lorsqu'il y aura un retour un cadre plus normal, les chiffres vont forcément se rééquilibr­er.

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