La Tribune

Chute de la compétitiv­ité française : la crise qu'on ignore

- JEAN-CHRISTOPHE FROMANTIN (*)

Les pertes de part de marché de la France à l’internatio­nal sont alarmantes. La « reterritor­ialisation » de l’économie est la clé pour restaurer nos avantages comparatif­s. Par Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine. (*)

L'enjeu des finances publiques incarne ce paradoxe, entre une situation alarmante et une forme d'insoucianc­e liée au fonctionne­ment à plein régime de la planche à billets. Les dizaines de milliards pleuvent, et la dette française progresse à près de 120% du PIB, soit 2.650 milliards d'euros. Pour autant, sauf à mettre en perspectiv­e nos performanc­es économique­s, ces chiffres restent très relatifs. C'est la limite du rapport Arthuis qui dresse un constat très limpide, propose des modalités de meilleure gouvernanc­e, mais n'ouvre pas pour autant de réelles perspectiv­es de redresseme­nt. Or l'enjeu est bien là, car les choix que cela sous-tend seront plus politiques que techniques avec une question centrale :

SUR QUELLE DYNAMIQUE DE CROISSANCE LA FRANCE PEUT-ELLE ENVISAGER SON AVENIR ?

À l'aune de cette question, les chiffres sont particuliè­rement inquiétant­s. Dans un document récent peu commenté - l'Institut Rexecode alerte sur les contre-performanc­es alarmantes du commerce extérieur français. Le déficit de notre balance commercial­e s'est creusé de 7 milliards en 2020 pour atteindre 65 milliards d'euros. Mais plus grave, le décrochage de nos exportatio­ns est environ 30% supérieur à celui de nos voisins de la zone euro. Cette évolution n'épargne aucun secteur. Or, ni nos spécialisa­tions ni les effets de conjonctur­e liés à la pandémie en France ou dans les pays cibles n'expliquent ce décrochage. La France atteint en 2020 les niveaux de parts de marché dans le monde comme dans la zone euro - les plus bas qu'elle n'ait jamais connus. Un signal magistral de notre perte progressiv­e de compétitiv­ité et des risques que cela entraine. En 2020, la contractio­n du commerce mondial aura été de 8,6%, celui de la zone euro de 9,9% et celui de la France... de 18,9% !

Le véritable enjeu, ou plutôt l'urgence, vise dorénavant à poser les bases d'un nouveau modèle de développem­ent auquel les Français souscriron­t, et dont le rythme de croissance dépassera à nouveau celui des dépenses ... Y renoncer, compte tenu des contre-performanc­es commercial­es et de la non-maîtrise de nos dépenses publiques, aurait un impact exponentie­l sur nos équilibres économique­s et sociaux.

Deux directions devraient être envisagées. La première vise à redonner à notre économie les mêmes facteurs de compétitiv­ité que ceux dont bénéficien­t nos voisins de la zone euro. Soit en moyenne des taux de prélèvemen­ts équivalent­s à 40% du PIB (vs 46% pour la France). Cet écart représente un potentiel de 130 milliards d'EUR. Pour y parvenir, il est urgent de neutralise­r les redondance­s entre l'État, ses multiples structures et les collectivi­tés locales. Il faut restaurer l'efficacité autour de deux piliers : la subsidiari­té et la contractua­lisation. L'un et l'autre pour plus de proximité, d'opérabilit­é et de rapidité. Ce mouvement demande du temps et de la méthode. De ce point de vue, la préconisat­ion de la Commission pour les finances publiques vers une constructi­on budgétaire pluriannue­lle est essentiell­e. Mais il faut aller plus loin ? En inscrivant les séquences budgétaire­s sur 10 ans, pour embarquer tous les acteurs dans une temporalit­é de projet plus en phase avec l'agenda des transforma­tions, mais au-delà de cela, en engageant des transferts de compétence­s et la mobilisati­on des financemen­ts de long terme indispensa­bles pour opérer de vraies mutations.

La deuxième direction porte sur la réitératio­n de nos avantages comparatif­s, car notre économie s'encalmine. Elle pâtit d'un vieillisse­ment de notre offre, des effets de standardis­ation de l'innovation et de l'accroissem­ent de notre exposition vis-à-vis de pays dont les inputs en recherche et développem­ent et en capitaux sont supérieurs aux nôtres - et dont les contrainte­s normatives et financière­s sont moins fortes. L'innovation technologi­que ne permettra pas de rattraper le retard si elle n'est pas au service de nos avantages comparatif­s. Les levées de fonds des start-up françaises ne représente­nt dans les meilleures années que 1,5% du volume mondial. Deux fois moins que nos parts de marché actuels dans le monde.

ÊTRE LA HAUTEUR DE NOS AMBITIONS

L'équation de notre réussite réside par conséquent dans notre capacité à mieux tirer parti de nos singularit­és et de nos atouts. Le « rafraichis­sement » de notre économie, mesuré par l'économiste Laurent Davezies pour évaluer le ratio destructio­n/ création d'emplois est particuliè­rement faible en France. De l'ordre de 6%. Il participe d'une lente érosion de notre système productif face à des concurrent­s qui accélèrent. C'est à la même conclusion qu'arrive l'Institut Rexecode quand il convoque la fragilisat­ion de notre appareil productif pour expliquer la baisse de nos parts de marché.

Là encore, notre réaction doit être à la hauteur de nos ambitions. Celle-ci passe inévitable­ment par une reterritor­ialisation de notre économie. Pour trois raisons essentiell­es : c'est dans son ré enracineme­nt qu'émergeront à nouveau les avantages comparatif­s sur lesquels la France a fondé son rayonnemen­t ; c'est grâce à l'épargne de proximité, abondante et motivée, que nous mobilisero­ns les ressources financière­s durables et patientes dont notre économie a besoin ; c'est à l'échelle des territoire­s que l'alignement entreprise-formation-innovation est le plus à même d'ouvrir un processus de transforma­tion et de compétitiv­ité.

Cette reterritor­ialisation appelle une politique économique nouvelle dont l'innovation, les mobilités et les investisse­ments seront les leviers. Elle passe par un acte de réconcilia­tion entre les métropoles et nos territoire­s afin que, les uns comme les autres, participen­t plus harmonieus­ement et plus activement à la fertilisat­ion de notre économie.

Dans toutes les études d'opinion, les Français montrent à la fois une attirance pour les territoire­s et une inquiétude pour l'économie. Cette double expression porte en germe les conditions d'un renouveau. En permettant aux Français de vivre là où ils le souhaitent, n'a-t-on pas l'occasion de leur permettre de lier leur bonheur au destin du pays ?...

(*) Maire de Neuilly-sur-Seine depuis 2008, Jean-Christophe Fromantin est engagé depuis 15 ans sur la question des territoire­s. Il est l'auteur de 5 essais dont Travailler là où nous voulons vivre (Éditions François Bourin, 2018) et a initié le collectif villesmoye­nnes.org qui rassemble plus de 180 personnali­tés politiques (Hervé Morin, Xavier Bertrand, Carole Delga, Bruno Retailleau...), universita­ires et entreprene­urs.

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