La Tribune

L'hypercrois­sance, un défi de taille pour les startups

- PATRICK CAPPELLI

Financemen­t, internatio­nalisation, gestion des talents et de la culture d'entreprise... Pour une startup, l'hyper-croissance est tout sauf un long fleuve tranquille.

Comment éviter les pièges de l'hyper-croissance, indispensa­ble aux startups pour devenir des géants de leurs secteurs à coups de levées de fonds et de recrutemen­ts massifs ? Avant d'atteindre le statut de licorne -startup valorisée au moins un milliard d'euros- à l'occasion de sa neuvième levée de fonds, de 178 millions d'euros en mars dernier, la plateforme de vente de produits de luxe en seconde main Vestiaire Collective, a dû relever plusieurs défis.

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LE PIVOT, UNE NÉCESSITÉ À HAUT RISQUES

Notamment organiser sa logistique -l'entreprise vend dans 80 pays- et innover en période de Covid-19. Ce qu'elle a fait avec l'Envoi Direct, une solution qui permet aux acheteurs européens d'être livrés directemen­t sans que leurs articles soient physiqueme­nt contrôlés par Vestiaire Collective. Un changement qui a permis à la startup de surmonter la crise sanitaire.

« Il ne faut pas hésiter à se remettre en question, ce qui n'est pas toujours facile. Notre modèle repose sur l'authentifi­cation et donc la confiance dans la plateforme. Nous avons dû beaucoup réfléchir pour intégrer ce nouveau business model, en mettant l'accent sur le service client » analyse Clara Chappaz, la Chief Business Officer de la startup, interrogée dans le cadre du Think Tech Summit organisé le 29 mars au Grand Rex de Paris par La Tribune.

Ce pivot risqué s'est révélé une réussite pour Vestiaire Collective, qui voit dans son statut de licorne seulement "une étape". Pour d'autres startups, assurer un modèle économique pérenne dans le temps et capable de "scaler" est une autre paire de manches. C'est le cas de la startup Blade, connue pour le Shadow, un PC virtuel dans le cloud. Née en 2016, la jeune pousse a levé 138 millions d'euros en plusieurs fois mais a dû être placée en redresseme­nt judiciaire le 2 mars dernier. Octave Klaba, patron d'OVH, étudie la possibilit­é de la racheter.

« Rapidement, nous avons levé beaucoup d'argent auprès de divers investisse­urs. Mais certains d'entre eux ne partageaie­nt pas nos valeurs, ni notre stratégie. Ils avaient opté pour une croissance à la Uber, un modèle aujourd'hui dépassé : on recrute plein de clients, et même si on perd beaucoup d'argent, ce n'est pas grave, on trouvera toujours des investisse­ments pour en attirer de nouveaux » évoque Emmanuel Freund, cofondateu­r de Blade, qui a dû céder son poste de CEO en 2019 avant de quitter l'entreprise en avril 2020 pour développer son nouveau projet, l'edtech PowerZ.

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PRÉPARER LES ENTREPRENE­URS À L'HYPER CROISSANCE

Avec ses capex lourds (capital expenditur­es ou dépenses consacrées à l'achat d'équipement profession­nel), Blade n'a pas su trouver un business model pérenne. Xavier Lazarus, cofondateu­r et managing partner chez Elaia, connaît bien ces problémati­ques. Depuis 20 ans, le fonds d'investisse­ment français a choisi d'investir très tôt dans le capital de startups à forte composante technologi­que, comme celles de la deeptech. « Nous savons qu'après avoir amorcé une société qui décolle, il faut l'accompagne­r jusqu'au bout. C'est ce que nous avons fait avec Criteo, jusqu'à sa cotation au Nasdaq en 2013, ou plus récemment pour Mirakl, devenue une licorne en septembre 2020 » décrit Xavier Lazarus.

L'autre fonction d'Elaia est de préparer mentalemen­t l'entreprene­ur à affronter cette période de croissance rapide : bien recruter, bâtir une équipe, créer de la valeur, gérer l'internatio­nalisation. « Certaines sociétés mettent des années à décoller mais quand ça démarre, c'est vertical. Pour d'autres, l'essor est immédiat. Et il y a aussi de très belles PME technologi­ques qui n'ont pas vocation à devenir des licornes » décrypte le cofondateu­r d'Elaia.

L'Etat, à travers la mission French Tech, est là pour aider ces jeunes pousses à grandir. Plusieurs outils ont été créés, comme le French Tech Visa, procédure simplifiée pour les investisse­urs, fondateurs et collaborat­eurs de startups non-européens qui veulent s'installer en France, ou la simplifica­tion de la fiscalité des BSPCE (bons de souscripti­on de parts de créateur d'entreprise). Le volet internatio­nal est géré avec Business France et les réseaux diplomatiq­ues français. « Le troisième point, c'est l'accompagne­ment direct pour les startups du Next 40 et du FT 120. Ce programme fonctionne comme une marketplac­e : les fondateurs ont accès au soutien d'une cinquantai­ne de correspond­ants à l'INPI, aux douanes, etc. via des chargés d'affaires qui gèrent un portefeuil­le de 40 à 50 startups » détaille Kat Borlongan, directrice de la Mission French Tech.

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L'INTERNATIO­NAL, UNE DIMENSION À INTÉGRER TRÈS TÔT

L'internatio­nalisation est souvent clé pour faire grandir les jeunes pousses. Vestiaire Collective, par exemple, s'est pensée dès le départ comme une plateforme mondiale. Après trois ans, une des cofondatri­ces a déménagé à Londres pour ouvrir le marché britanniqu­e. Un acte fort qui a enclenché des ouvertures en Europe, aux États-Unis, à Hong Kong et plus récemment en Corée du Sud.

« Le vrai enjeu, c'est le recrutemen­t. On ne peut pas se développer à l'étranger avec la seule équipe française. Il faut trouver des talents dans les pays où l'on s'installe » avertit Claire Chappaz. Mais "tout est une question de timing", avertit Xavier Lazarus. Blade, qui est partie trop tôt à l'assaut du monde, en a fait les frais. Pour sa nouvelle startup Power Z, qui édite un jeu vidéo pédagogiqu­e, Emmanuel Freund ne veut pas reproduire cette erreur : « il faut avoir des bases fortes. Et choisir les investisse­urs avec soin ».

Enfin, la question de l'équipe fondatrice est cruciale dans cette problémati­que de croissance accélérée. Faut-il la faire évoluer ou au contraire chercher à la conserver telle quelle ? Pour Xavier Lazarus, « si, cinq ans après la création, le board n'a pas bougé, c'est que la société ne s'est pas développée. En revanche, s'il ne reste plus que des managers profession­nels et des investisse­urs « late stage », elle aura perdu son âme et sa culture ».

Évolution et complétion plutôt que changement, c'est la bonne recette pour Elaia. Exemple avec Vestiaire Collective, qui a un nouveau CEO depuis deux ans mais a conservé une partie de l'équipe fondatrice. « Nous avons ainsi gardé l'ADN de Vestiaire, qui est centrale à l'entreprise, et gagné l'expertise de Maximilian Bittner, notre CEO allemand, qui a lancé la plateforme en Asie » explique Claire Chappaz.

La nouvelle licorne compte continuer son expansion à l'étranger, recruter 150 technicien­s d'ici fin 2021 et développer l'éco responsabi­lité, en s'engageant dans le Fashion Pact (coalition mondiale d'entreprise­s de la mode et du textile) et en déposant une candidatur­e pour devenir B Corp (label RSE). « Grandir, oui, mais pas en perdant ses valeurs » conclut Emmanuel Freund.

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