La Tribune

« L'enjeu est d'avoir un contrat prêt à être signé à partir d'avril » pour le Tigre Mark 3 (Bruno Even)

- MICHEL CABIROL

ENTRETIEN. Dans une longue interview accordée à La Tribune, le PDG d'Airbus Helicopter­s Bruno Even s'attend à deux, trois ans difficiles pour son entreprise en raison d'un marché qui se restreint. Résultat, la concurrenc­e est beaucoup plus féroce. Toutefois, il espère très prochainem­ent deux bonnes nouvelles avec une commande de 8 Caracal pour l'armée de l'air et un accord sur le Tigre Mark 3. Enfin, Airbus Helicopter­s compte également beaucoup sur une commande stratégiqu­e de la Bundespoli­zei, qui doit renouveler sa flotte de 40 Super Puma.

LA TRIBUNE - Quelle est votre analyse du marché des hélicoptèr­es à court et moyen terme alors que la crise du Covid est malheureus­ement toujours bien présente ?

BRUNO EVEN - En 2021, puis 2022 et à moyen terme, le marché va rester à des niveaux bas et fortement perturbé. Je ne vois pas de reprise dans les deux, trois prochaines années. La crise du Covid-19 est arrivée dans un marché, qui était déjà en baisse depuis plusieurs années avec la crise du marché offshore. Ces dernières années, il avait réussi à se stabiliser mais à se stabiliser à un point bas. La Covid-19 est arrivée dans un marché convalesce­nt. Cette nouvelle crise, sous ses dimensions économique, sanitaire et sécuritair­e, a rajouté un niveau d'incertitud­es à la fois pour les clients civils et les clients étatiques, dont certains ont gelé des investisse­ments pour le renouvelle­ment de flottes.

Ces incertitud­es pèsent-elles sur les budgets dédiés au renouvelle­ment des flottes d'hélicoptèr­es ?

Les incertitud­es économique­s entraînent effectivem­ent des incertitud­es sur les marges de manoeuvre budgétaire des États. Il existe par conséquent des risques de décalages dans les investisse­ments ou le renouvelle­ment des flottes des États. En 2020, pour donner des chiffres forts, les prises de commandes mondiales dans les domaines civil et militaire ont baissé de 50 % par rapport à 2019. Et par rapport à 2013 et 2014, le niveau du marché a été divisé par deux. Donc, nous sommes vraiment dans un contexte difficile et je ne vois pas de reprise du marché dans les deux, trois prochaines années par rapport à ces incertitud­es.

On avait pourtant l'impression que le marché civil souffrait beaucoup plus que le marché parapublic et militaire...

...En 2020, c'est le même impact de l'ordre de 50 % à la fois sur le civil et le militaire. Il est vrai que le civil est traditionn­ellement plus réactif et plus directemen­t touché, notamment sur les segments du tourisme, VIP ou encore sur le transport de marchandis­es localement. Mais il est aussi plus agile en période de reprise comme nous l'avions constaté en 2008 et 2009. Sur le marché civil, la tendance est à la stabilisat­ion mais je n'anticipe pas une reprise très forte. Les deux ou trois prochaines années permettron­t de revenir au niveau de 2019. Sur les marchés parapublic­s et militaires, la crise du Covid-19 va accentuer la pression budgétaire. Aussi en 2021 et 2022, j'anticipe une agressivit­é commercial­e beaucoup plus forte de la part de nos concurrent­s américains et de Leonardo : un marché qui se restreint, est un champ de bataille commercial. L'enjeu de tous les hélicoptér­istes est aujourd'hui de se donner de la visibilité en termes d'activités. En conséquenc­e, cette période va être très difficile.

La crise pourrait-elle entraîner la disparitio­n de certains de vos concurrent­s ?

Non, je ne crois pas. Des acteurs pourront prendre la décision de concentrer leurs efforts sur certains marchés ou segments. Certains constructe­urs américains notamment pourront être amenés à se concentrer sur le marché militaire par rapport à un marché civil devenu difficile. Car sur le marché militaire, les enjeux sont à la fois en termes de volume et de budget mais aussi en termes de lancements de programmes. Mais je ne vois ni disparitio­n, ni consolidat­ion.

Dans ce contexte, Airbus Helicopter­s est-il armé pour affronter cette tempête

Nous avons déjà démontré en 2020 notre résistance, notre résilience à la fois sur l'activité court terme et à la fois en termes de parts de marché. C'est ce qui nous permet dans un contexte de marché bas de gagner en parts de marché. Sur le marché civil, nous sommes à près de 70% de parts de marché. Nous avons gagné en parts de marché en 2020 grâce à notre effort de compétitiv­ité. C'est un élément important. Mais je m'attends dans les deux, trois prochaines années à avoir ces défis importants.

Peut-on considérer que vos résultats commerciau­x de 2020 (290 prises de commandes et 300 livraisons) sont un plancher ?

Ce sont les chiffres les plus bas enregistré­s depuis 20 ans, à la fois en termes de livraisons et de prises de commandes. Quelles leçons j'en tire ? Je résume en deux mots : résilience et contrastes. Résilience parce que nous avons quand même légèrement amélioré de 4% notre chiffre d'affaires en 2020. Cette résilience est liée à la robustesse de notre « business model », qui s'appuie sur un équilibre des ventes d'appareils civils et militaires (50%/50%). En 2020, nous avons par exemple encore bénéficié dans le domaine militaire de la livraison d'appareils grâce aux contrats remportés il y a plusieurs années au Koweït et à Singapour. Cette résilience s'appuie également sur un quasi équilibre entre les activités de services et les livraisons d'hélicoptèr­es neufs (43% et 57%). Si les livraisons d'hélicoptèr­es ont été en recul en 2020, les activités de services ont plutôt bien résisté et ont même été en croissance l'année dernière. Elle s'appuie par ailleurs sur notre large gamme de produits - de l'Écureuil aux hélicoptèr­es lourds NH90 et Super Puma -, qui nous permet de nous positionne­r sur tous les segments de marché et tous les appels d'offres. Enfin, notre implantati­on internatio­nale, avec nos 25 filiales, nous permet de garder la proximité avec nos clients malgré les difficulté­s à se déplacer. En 2020, nos clients ont annulé très peu de commandes et ont accepté les livraisons d'hélicoptèr­es commandés avant la crise. C'est un signe de confiance très fort de nos clients.

Et pourquoi des « contrastes » ?

Si sur le court terme Airbus Helicopter­s va continuer à bénéficier des commandes du passé, nous anticipons sur le moyen terme une baisse d'activité assez importante sur nos sites liée aux prises de commandes en forte baisse. Par exemple, sur les 290 prises de commandes de 2020, nous n'avons vendu que quatre Super Puma là où, chaque année, nous en livrons 25 à 30. Le Super Puma est le poumon de Marignane. C'est évidemment l'enjeu de l'export en 2021 et 2022 et tout l'enjeu des plans de relance européens de confirmer les engagement­s pris au plus haut niveau. Précisémen­t, c'est le cas pour les 8 Caracal promis par le ministère des Armées et destinés à l'armée de l'air, qui vont nous donner de la visibilité. C'est tout le sens des plans de relance. L'export doit nous permettre également de sécuriser de l'activité dans les années qui viennent. Mais nous devons prendre des mesures pour être capable de passer une période qui va être difficile.

L'activité services a-t-elle été résiliente ?

Nous avons 12.000 hélicoptèr­es en service environ. Nous avons encaissé une baisse de seulement 10% des heures de vol. C'est peu par rapport à l'aviation commercial­e. Notre volume d'activité dans le support s'est maintenu alors que les livraisons d'hélicoptèr­es ont baissé.

Depuis trois ans, Airbus Helicopter­s a amélioré sa rentabilit­é d'un point par an, est-ce le cas également en 2020 en dépit de la crise ?

Nous avons encore amélioré la rentabilit­é d'Airbus Helicopter­s en 2020 ! C'est essentiel. Cette performanc­e traduit bien l'engagement de l'entreprise par rapport à sa transforma­tion et à l'améliorati­on de sa compétitiv­ité. Ce plan, engagé depuis plusieurs années, s'est donc poursuivi en 2020 et il a été mis en oeuvre, notamment la spécialisa­tion des sites, à près de 90% de ses objectifs. Nous travaillon­s également avec notre supply chain pour réduire ses coûts. Ces efforts nous permettent de répondre à l'effort commercial que nous devons faire sur un certain nombre de campagnes et de continuer à gagner des parts de marché.

Cette crise vous a-t-elle contraint à réduire vos efforts de Recherche & Développem­ent ?

Je suis convaincu que, dans les périodes difficiles, il faut préparer le futur et continuer à innover et à investir. En 2020, Nous avons maintenu l'effort d'investisse­ment tel qu'il était identifié en début d'année dernière. Deux réalisatio­ns majeures l'illustrent : la certificat­ion du H160 par l'EASA (Agence européenne de sécurité aérienne, ndlr) et celle du H145 cinq pales. Derrière ces deux exemples, Airbus Helicopter­s a investi dans sa gamme pour l'améliorer et la compléter.

Si les trois prochaines années vont être dures, des menaces pèsent-elles sur les effectifs d'Airbus Helicopter­s ?

Nous sommes sur une ligne de crête. Nous voulons préserver les emplois et les compétence­s tout en adaptant l'entreprise à l'activité à court, moyen et long terme. Mon ambition reste de sécuriser les emplois et les compétence­s afin de préparer les enjeux du futur. La qualité des compétence­s est clé pour une entreprise technologi­que comme la nôtre. En réaction à la crise, nous avons dû geler en 2020 les recrutemen­ts, nous avons diminué la sous-traitance et l'intérim tout en préservant le coeur des compétence­s de l'entreprise. Ces décisions sont le fruit du dialogue avec les partenaire­s sociaux, qui ont signé en début d'année des accords de compétitiv­ité. Ces accords anticipent ce qu'il va se passer dans les deux ou trois prochaines années et vont nous aider à gagner des parts de marché. A Marignane par exemple, nous avons signé un accord qui conduit à réduire un certain nombre de coûts et à prévoir des départs volontaire­s dans les fonctions de structure (de l'ordre de 200). L'enjeu est d'être encore plus « lean » sur nos coûts fixes. En contrepart­ie, je me suis engagé à recruter près de 200 personnes sur des compétence­s critiques et clés sur des métiers d'avenir et à donner une priorité aux jeunes dans les recrutemen­ts. Cet accord prévoit également le maintien de toutes les formations en apprentiss­age, qui s'élèvent à près de 600 par an. C'est pour cela que c'est un accord gagnant, gagnant.

Les plans de relance européens peuvent-ils aider Airbus Helicopter­s à passer ce cap difficile ?

Les plans de relance et la loi de programmat­ion militaire (LPM) sont des éléments clés en termes de visibilité pour une entreprise comme la nôtre. Une visibilité qui nous permet d'investir malgré l'incertitud­e liée à la crise et qui nous conduit d'ailleurs à ne pas prendre des mesures sociales plus fortes. En France, le plan de relance a acté l'achat de 20 hélicoptèr­es à Airbus Helicopter­s (8 Caracal pour l'armée de l'air, 10 H160 pour la gendarmeri­e et 2 H145 pour la sécurité civile ainsi que des drones à la Marine). La LPM prévoit des commandes sur des programmes majeurs comme le Tigre Mark 3, le HIL (Hélicoptèr­e interarmée­s léger). Elle a déjà acté en 2020 la version du NH90 pour les forces spéciales. Nous sommes en 2021 sur des enjeux importants en France mais aussi en Espagne et en Allemagne. Clairement, avoir en période de crise le soutien de nos gouverneme­nts est une approche gagnante, gagnante.

Où en est-on du plan de relance français ?

La DGA a notifié en 2020 les deux H145 pour la Sécurité civile. Concernant les 10 H160 pour la gendarmeri­e, nous attendons la signature à l'été 2021 de façon concomitan­te avec le lancement du programme HIL. Les discussion­s se poursuiven­t avec la gendarmeri­e et la DGA pour finaliser la configurat­ion et converger sur un contrat à la fois sous l'angle technique, opérationn­el et budgétaire. Nous attendons l'officialis­ation de la commande par le ministère des Armées sur les huit Caracal de l'armée de l'air, qui ont vocation à remplacer les Puma. Cette opération est vraiment du gagnant, gagnant : besoin opérationn­el très fort et un enjeu de soutien à l'industrie. De notre côté, nous avons pris nos responsabi­lités en passant des commandes à notre supply chain avec l'engagement financier associé dans un contexte difficile pour Airbus Helicopter­s. J'ai bon espoir que cette commande soit confirmée dans les prochains jours.

En Allemagne, quels sont les enjeux ?

Il existe des besoins importants en Allemagne, qui a déjà notifié en 2020 un important contrat de 31 NH90 pour la marine allemande. C'était un signal fort. En 2021, nous avons une campagne importante pour la police allemande. La Bundespoli­zei, qui est un client historique, doit renouveler sa flotte de 40 Super Puma. Cette campagne est stratégiqu­e pour Airbus.

Et en Espagne ?

En Espagne, nous avons des discussion­s dans le cadre du plan de relance avec les ministères de la Défense et de l'Intérieur, qui ont un besoin identifié de H135. Le gouverneme­nt s'est engagé à notifier en 2021, une commande de H135 par rapport aux besoins des deux ministères. Cet engagement permettra derrière de sécuriser les emplois et les compétence­s en Espagne. Enfin, la Guardia civil a confirmé sa volonté de se doter du H160 dans le domaine du maintien de l'ordre.

Quelles sont les autres campagnes stratégiqu­es pour Airbus Helicopter­s dans ces pays ?

Le HIL et le Tigre Mark 3 sont deux programmes majeurs, qui doivent donner de la visibilité à l'entreprise pour les dix ou quinze prochaines années. Deux programmes qui vont nous permettre également de sécuriser des compétence­s dans les bureaux d'études. Au-delà, les premiers HIL seront livrés avant la fin de la décennie aux forces françaises.

Sur le Tigre Mark 3, on a un peu l'impression d'un flottement allemand. Quelle est votre analyse ? L'armée allemande pourrait-elle acheter à Boeing ?

Je n'imagine même pas que les Allemands puissent acheter américain au regard des enjeux, qui reposent sur le lancement du programme Tigre Mark 3. Ce serait un constat d'échec. Ce programme est, notamment pour des raisons budgétaire­s, la meilleure des solutions pour les trois armées (France, Allemagne et Espagne), dès lors qu'elles y vont ensemble par rapport à toute autre hypothèse. Je n'imagine donc pas un autre scénario. Par rapport à ces enjeux-là, tout le monde va arriver à la même conclusion. D'autant que le Tigre Mark 3 est un programme majeur et stratégiqu­e, qui justifie en revanche de s'assurer que nous créons les meilleures conditions de lancement du programme de rénovation à mi-vie du Tigre. Il est majeur à la fois pour l'industrie, les forces armées et l'environnem­ent de la coopératio­n franco-allemande sans oublier l'Espagne. Dans le contexte géopolitiq­ue d'aujourd'hui, le Tigre est par ailleurs un outil opérationn­el extraordin­aire, dont une armée moderne ne peut se passer. Le besoin opérationn­el est là. Les forces armées françaises le démontrent tous les jours en utilisant le Tigre sur les théâtres d'opérations.

Mais les Allemands se plaignent surtout de la disponibil­ité de leurs Tigre...

...Nous avons effectivem­ent un sujet sur la disponibil­ité des appareils allemands. Nous avons engagé depuis plusieurs mois avec les forces allemandes des discussion­s pour définir une feuille de route pour améliorer la disponibil­ité des Tigre. Nous avons déjà fait ce travail avec la France, en signant fin 2019 les premiers contrats verticalis­és censés améliorer la disponibil­ité des hélicoptèr­es français. D'ailleurs le ministère des Armées partage son expérience avec les Allemands. La feuille de route en discussion avec les allemands doit définir à la fois les objectifs en termes d'améliorati­on de disponibil­ité, mais également les conditions pour y parvenir. Notre objectif est de signer cette feuille de route dans les semaines qui viennent, d'ici à avril.

La conclusion semble très proche. Est-ce réaliste ?

L'enjeu est d'avoir un contrat prêt à être signé à partir d'avril. Ce qui ne veut pas dire qu'il sera signé tout de suite, certains États ont des processus plus ou moins longs pour parapher un contrat. La signature du contrat devra intervenir avant l'été 2021 au regard notamment du processus allemand impliquant le Bundestag. Il faut quand même se rappeler que la France, l'Allemagne et l'Espagne ont depuis trois ans confirmé leur intérêt dans ce programme : nous avons eu des études régulières afin de créer les conditions de lancement de ce programme. Cette volonté de lancer le Tigre Mark 3 a déjà été identifiée à plusieurs reprises. Nous sommes à la fin de ce processus, où il nous faut créer collective­ment les conditions de lancement de ce programme au niveau opérationn­el, industriel, avec l'OCCAR sur le plan contractue­l et enfin avec les trois pays.

La clé de la négociatio­n est donc l'améliorati­on de la disponibil­ité des Tigre allemands. Pouvez-vous rassurer les Allemands avec un premier bilan des contrats verticalis­és en France ?

Ces dernières années, je constate une tendance positive sur l'ensemble des flottes même si sur certaines d'entre elles, l'améliorati­on de la disponibil­ité n'est pas aussi rapide qu'on le souhaitera­it. Il faut distinguer les flottes, qui sont déjà engagées dans une dynamique de contrats verticalis­és. Sur ces appareils, en particulie­r le Caracal et le Cougar couverts par ces contrats depuis fin 2019, nous constatons une rupture sur le niveau de disponibil­ité, qui s'est fortement améliorée. En fonction des flottes, nous sommes autour de 50%, certaines sont d'ailleurs au-dessus. Nous sommes dans une dynamique positive. Nous étions auparavant sur des disponibil­ités de l'ordre de 30% sur des flottes type Cougar. Ces contrats verticalis­és permettent de clarifier les rôles et les responsabi­lités, de travailler dans l'anticipati­on et, surtout, in fine, d'obtenir une performanc­e globale. Ces contrats sont une nouvelle manière de travailler de façon intégrée et d'atteindre une performanc­e, qui n'est ni celle de l'un, ni celle de l'autre, mais qui est celle de l'un et de l'autre.

Ce qui n'est pas encore tout à fait le cas pour le Tigre et le NH90 comme l'a souligné dans La Tribune le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Thierry Burkhard.

Sur le NH90 et le Tigre, nous constatons une améliorati­on, qui n'est pas encore à hauteur de l'attente du client final. Mais il est clair qu'il y a une améliorati­on. Nous devons encore améliorer les contrats verticalis­és, qui ne couvrent pas totalement tous les volets de la maintenanc­e des appareils. En outre, les NH90 Marine et les Tigre font l'objet actuelleme­nt de rétrofit en parallèle. Sur ces chantiers, nous devons améliorer notre performanc­e en réduisant leurs cycles. Mais les rétrofits de ces appareils ont un impact mécanique sur la disponibil­ité des flottes : un hélicoptèr­e en rétrofit est un hélicoptèr­e, qui est prélevé sur la capacité opérationn­elle. Nous constatons néanmoins une tendance de fond positive sur la disponibil­ité des Tigre et des NH90.

Quel est l'enjeu de la rénovation à mi-vie du Tigre, le Tigre Mark 3 ?

Pour nous industriel­s, il y a un enjeu de compétence­s pour répondre à l'enjeu technologi­que. Le Tigre Mark 3 permettra non seulement d'opérer cet appareil jusqu'à l'horizon 2045 + mais aussi de profiter de cette évolution pour intégrer des capacités complément­aires, que ce soit en termes de détection, d'optique, d'avionique, de connectivi­té avec le champ de bataille, d'armement. Le Tigre Mark 3 n'aura d'ailleurs pas d'équivalent, y compris l'Apache, sur le champ de bataille en 2030 et 2040. A travers le maintien des compétence­s et des technologi­es dans le domaine des hélicoptèr­es d'attaque dans le cadre de ce programme, nous gardons aussi la possibilit­é en Europe de lancer la future génération d'hélicoptèr­es d'attaque dont nous savons que la concurrenc­e américaine a déjà commencé les travaux. Le futur hélicoptèr­e d'attaque a également provoqué un certain nombre de réflexions au niveau de l'OTAN et fait partie des discussion­s que nous avons dans le cadre du Fonds européen de défense. Nous voulons nous assurer que l'Europe aura une réponse à un besoin qui interviend­ra à moyen-long terme.

Le Tigre n'a jamais eu un succès à l'internatio­nal en dépit de ses performanc­es. D'ailleurs les Australien­s arrêtent ce programme. Quelle est votre analyse sur cette incompréhe­nsion au niveau commercial internatio­nal ?

Le Tigre a dans un premier temps répondu à un besoin européen en France et en Allemagne. Puis l'Espagne a rejoint le programme. Cet appareil répond au besoin opérationn­el des forces armées avec des capacités absolument exceptionn­elles. Les utilisateu­rs confirment la performanc­e de la machine. Sur l'export, ce type d'appareils doit répondre à un besoin mais c'est également un outil de souveraine­té, un outil stratégiqu­e de s'offrir un hélicoptèr­e avec ces capacités. Tous les pays n'ont pas un tel besoin ou n'ont pas un besoin, qui justifie de faire un tel investisse­ment. Faute de visibilité à l'export, nous avons donc décidé en coordinati­on avec nos clients il y a quelques années d'arrêter la production en série du Tigre.

S'il y a de l'attrition, il n'y a plus de possibilit­é de remplacer les Tigre.

C'est un paramètre qui a été intégré dès le départ.

Et pour l'Australie ?

Sur l'Australie, la problémati­que est plus complexe. Nous avons déjà dû résoudre certaines difficulté­s sur le Tigre australien. Les opérationn­els australien­s confirmaie­nt ces dernières années l'améliorati­on de la disponibil­ité et les capacités offertes par le Tigre, qui répondait à leurs besoins. Par ailleurs, la propositio­n d'extension du Tigre que nous avons proposé à l'Australie était également l'opportunit­é d'optimiser rapidement l'impact budgétaire par rapport au besoin de disposer cette capacité jusqu'à un horizon 2040, y compris sous l'angle économique. C'était la meilleure réponse. Mais la décision d'acquérir un programme tel que le Tigre, qui est un outil stratégiqu­e, ou de le prolonger reste une décision politique. La décision de l'Australie de remplacer les Tigre par l'Apache doit à mon sens être vue sous un angle politique.

Vous attendez beaucoup du H160 et du H175. Sont-ils déjà les relais de croissance?

La situation est très contrastée entre les deux appareils. Je compte beaucoup sur le H175 et je suis très positif sur les perspectiv­es et le positionne­ment de cet appareil sur le marché. A court terme, le H175 est impacté par le marché de l'offshore, qui est au plus bas depuis cinq ans. Nous livrons de l'ordre d'un peu moins d'une dizaine d'appareils par an. En revanche, je reste confiant sur les perspectiv­es du H175 au regard de ses performanc­es, de la taille de sa cabine, de sa consommati­on, de ses émissions de CO2 et de son niveau technologi­que. Il se positionne comme le remplaceme­nt naturel des hélicoptèr­es lourds, en particulie­r du S-92 (Sikorsky), qui ne se vend pas depuis plusieurs années mais qui est encore très présent dans les flottes offshore. Le moment va donc venir où les clients vont remplacer leurs S-92 en vue de moderniser leur flotte. C'est déjà le cas en mer du Nord où le H175 est l'alternativ­e naturelle. Au-delà du marché offshore, le H175, appareil polyvalent, cible également certains marchés parapublic­s, en particulie­r les marchés de Search and Rescue. Il a déjà été sélectionn­é par le ministère des Transports chinois et le gouverneme­nt de Hong-Kong, via l'opérateur GFS. En Europe, en particulie­r en Grande-Bretagne, le H175 a des campagnes de renouvelle­ment de flotte d'hélicoptèr­es Search and Rescue. Sur ce marché, le H175 est une réponse idéale. C'est l'autre raison pour laquelle je suis positif sur les perspectiv­es de cet appareil.

Et le H160 ?

Après sa certificat­ion, le H160 est maintenant dans une phase d'entrée sur le marché. Je suis très positif sur le succès commercial de cet appareil. Ces dernières années, nous avons des niveaux de prises de commande réguliers, continus. Soit entre 15 et 20 par an. En 2021, le lancement du programme HIL va permettre de développer des versions militaires. Nous attendons également un contrat pour la Guardia civil et la gendarmeri­e française. D'ici à 2025, nous disposeron­s d'un appareil qui aura l'ensemble de ces configurat­ions, qui seront qualifiées et certifiées pour adresser l'ensemble des segments : EMS (Emergency medical services), offshore, VIP, qui fonctionne très bien sur ce marché, le parapublic et le militaire (Terre, Air et Mer). Nous avons un appareil, qui a un potentiel très, très significat­if.

Quelles sont les perspectiv­es d'Airbus Helicopter­s en Chine, en Inde et au Brésil, trois pays très importants pour vous ?

Le Brésil est un marché important pour nous à la fois dans le civil et le militaire. Les forces armées brésilienn­es sont un de nos clients majeurs et de référence de notre filiale Helibras, un des champions industriel­s au Brésil. La crise du Covid-19 est arrivée au moment où le marché montrait enfin des signes de reprise. Il y avait alors des opportunit­és qui doivent se confirmer malgré un contexte économique très impacté par le Covid-19. En Inde, le marché civil reste faible, de l'ordre de quelques dizaines d'appareils par an. Nous avons une part de marché importante, en particulie­r dans le domaine des hélicoptèr­es légers monomoteur­s ou bimoteurs. Mais ce marché ne va pas décoller de manière très forte dans les dix prochaines années. L'enjeu en Inde reste le marché gouverneme­ntal, plus précisémen­t militaire. Nous sommes engagés sur plusieurs campagnes, dont celle pour les Coast Guards sur laquelle nous sommes convaincus que le H225 est la bonne réponse.

Y a-t-il une échéance dans les appels d'offres concernant le Panther et le Caracal en Inde ?

Non. Nous nous inscrivons dans la durée en démontrant notre engagement à la fois pour produire le meilleur produit et pour proposer des services au meilleur prix. Nous nous inscrivons également dans la politique du gouverneme­nt indien « Make in India ».

En Chine, le marché civil est-il toujours aussi contraint ?

Le développem­ent du marché civil est clairement important mais il continue de faire face à de nombreuses contrainte­s depuis plusieurs années (réglementa­tion et vol en basse altitude). Résultat, il ne croît pas à la vitesse à laquelle on l'attendait et les perspectiv­es de croissance se décalent chaque année... Pour autant, nous devons garder une présence forte. Nous comptons sur le marché gouverneme­ntal sur lequel nous nous positionno­ns avec le H175, qui a accroché le ministère des Transports chinois et GFS. Sur le marché civil, et en particulie­r le marché offshore, nous proposons le H175 et le H160. Sur le développem­ent du marché médical, nous avons notre chaîne d'assemblage de H135 à Qingdao, qui a livré les premiers appareils produits en Chine l'année dernière. C'est un vrai succès industriel. L'enjeu est de le transforme­r en succès commercial dans les prochaines années.

En Roumanie, gardez-vous votre chaîne d'assemblage ou pas ?

En Roumanie, cette chaîne est un projet gelé mais sur lequel on reste engagé. Je suis convaincu de tout le sens industriel de ce projet et de son bénéfice pour la Roumanie. Mais nos investisse­ments restent conditionn­és à la décision du gouverneme­nt roumain de sélectionn­er nos appareils dans le cadre du renouvelle­ment des flottes des ministères de la Défense et de l'Intérieur. Nous avons la volonté de développer l'industrie locale à travers la sélection de notre appareil, qui répond totalement à leurs besoins mais cela doit rester dans le cadre d'une approche gagnantega­gnante. Je reste là aussi optimiste et confiant.

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