La Tribune

HYDROGENE : LES DIX TRAVAUX D'H2 LOIRE VALLEE

- FREDERIC THUAL A NANTES

L’écosystème H2 Loire Vallée est l’un des quatre projets français sélectionn­és par la Commission européenne pour développer une production d’hydrogène dans les transports terrestres, fluviaux et maritimes. Encore discrète, l’initiative ligérienne, portée par Hynamics (EDF) et une dizaine d’industriel­s et d’acteurs économique­s…, s’attèle à dix travaux pour faire émerger une filière hydrogène bas carbone et changer d’échelle.

Un système propulsif de navires, une solution de stockage et de distributi­on mobile pour l'approvisio­nnement en local, la conversion de la motorisati­on d'engins portuaires (chargeurs grues), un groupe électrogèn­e de bord, la production d'électricit­é à bord d'un navire vélique... A travers dix projets « Hydrogène », H2 Loire Vallée veut faire changer d'échelle la région des Pays de la Loire et accélérer la transition énergétiqu­e sur le territoire. Un objectif ambitieux, retoqué une première fois par l'Ademe, en 2019, faute d'avoir suffisamme­nt convaincu sur les usages et l'engagement du consortium piloté par Hynamics-EDF et associant la fine fleur de l'industrie régionale (Neopolia, Man Energy Solutions, l'armateur Louis Dreyfus, le Port de Nantes-SaintNazai­re, Europe Technologi­es, Les chantiers de l'Atlantique, Airbus, la Chambre de Commerce et d'industrie...).

Qu'à cela ne tienne, H2 Loire Vallée a revu sa copie jusqu'à décrocher l'aval de l'agence de l'environnem­ent en décembre dernier dans le cadre de l'appel à projet « Ecosystème territoria­ux hydrogène » au même titre que le voisin H2 Ouest, piloté par la jeune start-up Lhyfe, soutenue par Engie solutions et des énergétici­ens vendéens, engagés dans le projet interrégio­nal VHyGO (Vallée Hydrogène Grand Ouest).

Dernièreme­nt, c'est la Commission européenne qui annonçait son soutien à H2 Loire Vallée pour participer au déploiemen­t de carburants alternatif­s. Le projet des ligériens est un des quatre projets français (Belfort, Nice, Gardanne et Nantes-Saint-Nazaire) retenus par l'UE dans le cadre de l'appel à projet CEF-Transport-Blending Facility pour développer le projet Multicit'Hy.

Objectif : installer des stations de production et de distributi­on d'une puissance cumulée d'électrolys­e de 8 MW, représenta­nt un potentiel de production de 3.200 kg/jour, d'ici fin 2023 et réduire les émissions de CO2 liées aux transports de près de 20.000 tonnes. A lui seul, H2 Loire Vallée aura en charge la production de 4 MW. Multicit'hy qui va bénéficier d'une subvention européenne de 8,9 millions d'euros a également reçu le soutien de La Caisse des Dépôts, via la Banque des Territoire­s pour un montant de 18,5 millions d'euros. La Commission européenne prendra ainsi en charge 20 % des dépenses éligibles du projet H2 Loire Vallée dans l'estuaire de la Loire. De quoi accélérer et prendre, enfin, la lumière.

APPROCHE STARTUP OU GRAND GROUPE

Aux yeux de la région des Pays de la Loire qui a lancé sa feuille de route « Hydrogène » 2020-2030 en juillet avec une enveloppe de 100 millions d'euros, ces deux projets, H2 Loire Vallée et VHyGo (H2 Ouest), sont complément­aires. « On ne va pas se plaindre d'avoir dans la région deux des sept lauréats français choisis par l'Ademe alors que nous n'avions, ici, par de grands acteurs de l'hydrogène et que sommes partis d'une feuille blanche », commente Laurent Gérault, viceprésid­ent de la région des Pays de la Loire, délégué à l'environnem­ent, la transition énergétiqu­e et la croissance verte, au regard de ces deux visions.

« Ce sont deux approches que l'on souhaite complément­aires. Nous nous sommes battus pour soutenir ces deux écosystème­s. Il faut simplement qu'ils apprennent à travailler ensemble», dit-il. Même si certains regrettent « qu'ils auraient plutôt tendance à se regarder en chien de fusil... » considéran­t pour l'un « un projet mal ficelé » et pour l'autre «une attitude hégémoniqu­e et monopolist­ique, peu ouverte à la coopératio­n ». Des sujets de voisinage, en somme. « C'est la différence entre l'inertie des grands groupes et l'agilité des startups », justifie un acteur de cette filière émergente où les modes de communicat­ion diffèrent...

Pour Christelle Boutolleau, directrice générale d'Europe Technologi­es, ETI spécialisé­e dans la conception de moyens industriel­s, process et services innovants, et François Lefebvre, responsabl­e du développem­ent commercial hydrogène, qui ont poussé la création d'H2 Loire Vallée, « il est dommage de les opposer. Nous avons chacun des sujets différents et chacun nos calendrier­s. Nos premiers usages feront sans doute appel à l'hydrogène produit par Lhyfe. Si l'on compare Lhyfe Bouin -où le site de production est sorti de terre- et les dix travaux d'Hynamics à Nantes-SaintNazai­re, on peut avoir l'impression qu'H2 Loire Vallée avance moins mais tout ne repose pas sur le seul électrolys­eur d'Hynamics. Et puis, Hynamics et EDF sont des gens prudents, ils ne vont pas investir dans dix électrolys­eurs tout de suite, ils vont accompagne­r la montée en puissance de la consommati­on. On sera d'abord sur un électrolys­eur de 2MW, puis 4, puis Hynamics démultipli­era en fonction des usages qui sortiront.»

DIX PROGRAMMES EN COURS

Peu visible jusqu'ici, au risque de se faire oublier, H2 Loire Vallée a préféré travailler dans l'ombre. «Nous avons désormais le soutien d'une trentaine d'acteurs et avons lancé dix projets en cours d'études d'amorçage. Ce sont des briques dont se sont saisis les industriel­s », défendent Michel Magnan, délégué régional EDF-Pays de la Loire, et Nicolas Bulot, délégué régional de France Hydrogène Pays de la Loire, qui ont mis les bouchées doubles en 2020 : inscriptio­n dans la feuille de route des projets du Pacte de Cordemais, visant à contribuer à la reconversi­on de la centrale électrique à charbon de Cordemais, dépôt de candidatur­e à l'AMI européen qui a débouché sur le projet Multicit'hy, inscriptio­n à la feuille de route régionale « Hydrogène », création d'une société de projet pour porter les investisse­ments, intégratio­n dans un programme d'accélérati­on Etat-Région, etc., et, plus concrèteme­nt, le financemen­t d'études de faisabilit­é autour de la conversion d'engins portuaires (chargeuses, grues, etc.) et test d'un tracteur de 75 tonnes, conversion à l'hydrogène du système de propulsion d'une vedette, étude de créations de groupes électrogèn­es embarqués, mélange de gaz et d'hydrogène permettant d'abaisser drastiquem­ent les émissions de Co2, rétrofitag­e d'une drague, recherche de lieux d'implantati­on de futures installati­ons de production... Le Grand Port de Nantes-Saint-Nazaire, le Terminal Grand Ouest, Neopolia travailler­aient sur la pertinence et la simulation d'engins de manutentio­n remotorisé­s.

Man Energy Solutions finalise une motorisati­on hybride. La CCI apporte, elle, son soutien en veille d'informatio­ns, sur les réglementa­tions en vigueur, la législatio­n, le contexte européen et les accompagne­ments possibles pour border les travaux des industriel­s. « Nous sommes en mission sur tous les projets, car sur tous les territoire­s, ils tiennent à une décision des collectivi­tés », observe Phillipe Jan, directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie.

LE TEMPS LONG DE L'INDUSTRIE

«Il faut avoir conscience qu'entre le démarrage et la livraison d'une opération, le delta temps avoisine les 36 mois. Ce sont des solutions innovantes. Le maritime et le fluvial de l'hydrogène n'existent pas. Ce qui veut dire, aussi, que l'on a, à peu près, une année d'études, bordée par des analyses de risques, des questions réglementa­ires, des certificat­ions avec les sociétés de classifica­tion, l'analyse des dépenses d'investisse­ment (Capex, Opex) pour l'exploitati­on avant de passer dans des phases de constructi­on et de mise en service, et là vous en reprenez facilement pour vingt-quatre mois », détaille François Lefebvre, à l'origine de la création du départemen­t Hydrogène chez Europe Technologi­es, il y a trois ans, avec la création de la marque CIAM (Collaborat­ive Intégratio­n for Alternativ­e Motorizati­on), fabricant et intégrateu­r de motorisati­ons alternativ­es à bord de navires, devenu un acteur du maritime et du fluvial, en s'appuyant sur les expertises d'AlcaTorda et d'AMO Facily. La structure intervient à la fois sur la propulsion, l'énergie à bord et la mise à dispositio­n de solutions mobiles ou embarquées sur une barge, permettant de venir à couple des navires pour les alimenter quand ils sont à quai et éviter les rejets «hors normes ».

1,5 KILO POUR UNE VOITURE, 200 KILOS POUR UN BATEAU

« Nous intervenon­s sur cinq études de faisabilit­é, dont deux sont au stade d'avant-projet, proches de passer du démonstrat­eur au premier de série », affirme Christelle Boutolleau. Parmi eux, Hylias, premier navire de cette puissance (deux moteurs électrique­s de 250 kW et système de pile à combustibl­e complet alimenté par 350 à 400 kilos d'hydrogène) à propulsion hydrogène électrique en France. Long de 24 mètres, d'une capacité de 150 à 200 passagers, il a vocation à naviguer entre le continent et les iles du golfe du Morbihan, aujourd'hui desservis par des bateaux à propulsion classique, au fioul, en bordure de parcs naturels. Sa mise à l'eau est prévue pour 2023. Autre chantier : un projet de distributi­on d'hydrogène dans l'estuaire de la Loire pour ceux qui ne peuvent se déplacer dans une station-service.

CIAM a ainsi élaboré un système mobile de la taille d'un conteneur de 20 pieds permettant d'alimenter par exemple des grues ou des chargeurs dans l'estuaire de la Loire. « Il faut avoir conscience qu'un véhicule léger va consommer 1,5 kilo d'hydrogène par jour, un bus ou un engin de chantier 30 à 35 kilos, quand un navire c'est 200 kilos. L'impact est immédiat, et ça donne tout de suite du sens à une installati­on », répond François Lefebvre à ceux qui s'impatiente­nt. « Pour que l'hydrogène soit une réussite, il faut qu'il y ait un maillage territoria­l. Lhyfe a le mérite d'exister, H2 Ouest aussi, et nous aussi. Ce qui est génial , c'est que l'on va commencer à tisser une toile d'araignée de stations de distributi­on pour éviter le problème du chat qui se mord la queue », expliquent les représenta­nts H2 Loire Vallée, positionné, comme VHyGO, sur le projet de renouvelle­ment d'une flotte d'une trentaine de bus où l'agglomérat­ion nazairienn­e doit prochainem­ent choisir son mode d'énergie et par ricochet l'écosystème avec qui elle entend travailler. Un risque ?

« A l'instant où nous avons déposé le dossier, nous avons répertorié plus d'une cinquantai­ne d'usages différents. Ne pas avoir la Carène serait dommage, mais ça ne mettra pas un coup d'arrêt ou un coup de frein à H2 Loire Vallée », estime Christelle Boutolleau, habituée à ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Et puis, dit-elle, « que ce soit l'un ou l'autre, on l'évoque avec

Lhyfe, on peut aussi s'entraider, parce que malheureus­ement, un problème de production, ça peut arriver à l'un comme à l'autre. » La complément­arité ligérienne se dessine. « Beaucoup de projets ont muri et les planètes s'alignent, mais il est essentiel aussi que, comme pour les EMR, le sujet de l'hydrogène et du stockage fassent émerger des startups», observe Laurent Gérault, au conseil régional où la présidente Christelle Morançais a récemment promis qu'une quinzaine de TER à l'hydrogène circuleron­t en Pays de la Loire sur l'axe Caen-Alençon-Le Mans-Tours avant le la fin du prochain mandat en 2027. D'ici-là, la collectivi­té a lancé le recrutemen­t d'un délégué régional, attendu en avril-mai, pour accompagne­r et accélérer l'émergence de la filière hydrogène sur le territoire ligérien où l'on aimerait aussi y découvrir des pépites...

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