HYDROGENE : LES DIX TRAVAUX D'H2 LOIRE VALLEE
L’écosystème H2 Loire Vallée est l’un des quatre projets français sélectionnés par la Commission européenne pour développer une production d’hydrogène dans les transports terrestres, fluviaux et maritimes. Encore discrète, l’initiative ligérienne, portée par Hynamics (EDF) et une dizaine d’industriels et d’acteurs économiques…, s’attèle à dix travaux pour faire émerger une filière hydrogène bas carbone et changer d’échelle.
Un système propulsif de navires, une solution de stockage et de distribution mobile pour l'approvisionnement en local, la conversion de la motorisation d'engins portuaires (chargeurs grues), un groupe électrogène de bord, la production d'électricité à bord d'un navire vélique... A travers dix projets « Hydrogène », H2 Loire Vallée veut faire changer d'échelle la région des Pays de la Loire et accélérer la transition énergétique sur le territoire. Un objectif ambitieux, retoqué une première fois par l'Ademe, en 2019, faute d'avoir suffisamment convaincu sur les usages et l'engagement du consortium piloté par Hynamics-EDF et associant la fine fleur de l'industrie régionale (Neopolia, Man Energy Solutions, l'armateur Louis Dreyfus, le Port de Nantes-SaintNazaire, Europe Technologies, Les chantiers de l'Atlantique, Airbus, la Chambre de Commerce et d'industrie...).
Qu'à cela ne tienne, H2 Loire Vallée a revu sa copie jusqu'à décrocher l'aval de l'agence de l'environnement en décembre dernier dans le cadre de l'appel à projet « Ecosystème territoriaux hydrogène » au même titre que le voisin H2 Ouest, piloté par la jeune start-up Lhyfe, soutenue par Engie solutions et des énergéticiens vendéens, engagés dans le projet interrégional VHyGO (Vallée Hydrogène Grand Ouest).
Dernièrement, c'est la Commission européenne qui annonçait son soutien à H2 Loire Vallée pour participer au déploiement de carburants alternatifs. Le projet des ligériens est un des quatre projets français (Belfort, Nice, Gardanne et Nantes-Saint-Nazaire) retenus par l'UE dans le cadre de l'appel à projet CEF-Transport-Blending Facility pour développer le projet Multicit'Hy.
Objectif : installer des stations de production et de distribution d'une puissance cumulée d'électrolyse de 8 MW, représentant un potentiel de production de 3.200 kg/jour, d'ici fin 2023 et réduire les émissions de CO2 liées aux transports de près de 20.000 tonnes. A lui seul, H2 Loire Vallée aura en charge la production de 4 MW. Multicit'hy qui va bénéficier d'une subvention européenne de 8,9 millions d'euros a également reçu le soutien de La Caisse des Dépôts, via la Banque des Territoires pour un montant de 18,5 millions d'euros. La Commission européenne prendra ainsi en charge 20 % des dépenses éligibles du projet H2 Loire Vallée dans l'estuaire de la Loire. De quoi accélérer et prendre, enfin, la lumière.
APPROCHE STARTUP OU GRAND GROUPE
Aux yeux de la région des Pays de la Loire qui a lancé sa feuille de route « Hydrogène » 2020-2030 en juillet avec une enveloppe de 100 millions d'euros, ces deux projets, H2 Loire Vallée et VHyGo (H2 Ouest), sont complémentaires. « On ne va pas se plaindre d'avoir dans la région deux des sept lauréats français choisis par l'Ademe alors que nous n'avions, ici, par de grands acteurs de l'hydrogène et que sommes partis d'une feuille blanche », commente Laurent Gérault, viceprésident de la région des Pays de la Loire, délégué à l'environnement, la transition énergétique et la croissance verte, au regard de ces deux visions.
« Ce sont deux approches que l'on souhaite complémentaires. Nous nous sommes battus pour soutenir ces deux écosystèmes. Il faut simplement qu'ils apprennent à travailler ensemble», dit-il. Même si certains regrettent « qu'ils auraient plutôt tendance à se regarder en chien de fusil... » considérant pour l'un « un projet mal ficelé » et pour l'autre «une attitude hégémonique et monopolistique, peu ouverte à la coopération ». Des sujets de voisinage, en somme. « C'est la différence entre l'inertie des grands groupes et l'agilité des startups », justifie un acteur de cette filière émergente où les modes de communication diffèrent...
Pour Christelle Boutolleau, directrice générale d'Europe Technologies, ETI spécialisée dans la conception de moyens industriels, process et services innovants, et François Lefebvre, responsable du développement commercial hydrogène, qui ont poussé la création d'H2 Loire Vallée, « il est dommage de les opposer. Nous avons chacun des sujets différents et chacun nos calendriers. Nos premiers usages feront sans doute appel à l'hydrogène produit par Lhyfe. Si l'on compare Lhyfe Bouin -où le site de production est sorti de terre- et les dix travaux d'Hynamics à Nantes-SaintNazaire, on peut avoir l'impression qu'H2 Loire Vallée avance moins mais tout ne repose pas sur le seul électrolyseur d'Hynamics. Et puis, Hynamics et EDF sont des gens prudents, ils ne vont pas investir dans dix électrolyseurs tout de suite, ils vont accompagner la montée en puissance de la consommation. On sera d'abord sur un électrolyseur de 2MW, puis 4, puis Hynamics démultipliera en fonction des usages qui sortiront.»
DIX PROGRAMMES EN COURS
Peu visible jusqu'ici, au risque de se faire oublier, H2 Loire Vallée a préféré travailler dans l'ombre. «Nous avons désormais le soutien d'une trentaine d'acteurs et avons lancé dix projets en cours d'études d'amorçage. Ce sont des briques dont se sont saisis les industriels », défendent Michel Magnan, délégué régional EDF-Pays de la Loire, et Nicolas Bulot, délégué régional de France Hydrogène Pays de la Loire, qui ont mis les bouchées doubles en 2020 : inscription dans la feuille de route des projets du Pacte de Cordemais, visant à contribuer à la reconversion de la centrale électrique à charbon de Cordemais, dépôt de candidature à l'AMI européen qui a débouché sur le projet Multicit'hy, inscription à la feuille de route régionale « Hydrogène », création d'une société de projet pour porter les investissements, intégration dans un programme d'accélération Etat-Région, etc., et, plus concrètement, le financement d'études de faisabilité autour de la conversion d'engins portuaires (chargeuses, grues, etc.) et test d'un tracteur de 75 tonnes, conversion à l'hydrogène du système de propulsion d'une vedette, étude de créations de groupes électrogènes embarqués, mélange de gaz et d'hydrogène permettant d'abaisser drastiquement les émissions de Co2, rétrofitage d'une drague, recherche de lieux d'implantation de futures installations de production... Le Grand Port de Nantes-Saint-Nazaire, le Terminal Grand Ouest, Neopolia travailleraient sur la pertinence et la simulation d'engins de manutention remotorisés.
Man Energy Solutions finalise une motorisation hybride. La CCI apporte, elle, son soutien en veille d'informations, sur les réglementations en vigueur, la législation, le contexte européen et les accompagnements possibles pour border les travaux des industriels. « Nous sommes en mission sur tous les projets, car sur tous les territoires, ils tiennent à une décision des collectivités », observe Phillipe Jan, directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie.
LE TEMPS LONG DE L'INDUSTRIE
«Il faut avoir conscience qu'entre le démarrage et la livraison d'une opération, le delta temps avoisine les 36 mois. Ce sont des solutions innovantes. Le maritime et le fluvial de l'hydrogène n'existent pas. Ce qui veut dire, aussi, que l'on a, à peu près, une année d'études, bordée par des analyses de risques, des questions réglementaires, des certifications avec les sociétés de classification, l'analyse des dépenses d'investissement (Capex, Opex) pour l'exploitation avant de passer dans des phases de construction et de mise en service, et là vous en reprenez facilement pour vingt-quatre mois », détaille François Lefebvre, à l'origine de la création du département Hydrogène chez Europe Technologies, il y a trois ans, avec la création de la marque CIAM (Collaborative Intégration for Alternative Motorization), fabricant et intégrateur de motorisations alternatives à bord de navires, devenu un acteur du maritime et du fluvial, en s'appuyant sur les expertises d'AlcaTorda et d'AMO Facily. La structure intervient à la fois sur la propulsion, l'énergie à bord et la mise à disposition de solutions mobiles ou embarquées sur une barge, permettant de venir à couple des navires pour les alimenter quand ils sont à quai et éviter les rejets «hors normes ».
1,5 KILO POUR UNE VOITURE, 200 KILOS POUR UN BATEAU
« Nous intervenons sur cinq études de faisabilité, dont deux sont au stade d'avant-projet, proches de passer du démonstrateur au premier de série », affirme Christelle Boutolleau. Parmi eux, Hylias, premier navire de cette puissance (deux moteurs électriques de 250 kW et système de pile à combustible complet alimenté par 350 à 400 kilos d'hydrogène) à propulsion hydrogène électrique en France. Long de 24 mètres, d'une capacité de 150 à 200 passagers, il a vocation à naviguer entre le continent et les iles du golfe du Morbihan, aujourd'hui desservis par des bateaux à propulsion classique, au fioul, en bordure de parcs naturels. Sa mise à l'eau est prévue pour 2023. Autre chantier : un projet de distribution d'hydrogène dans l'estuaire de la Loire pour ceux qui ne peuvent se déplacer dans une station-service.
CIAM a ainsi élaboré un système mobile de la taille d'un conteneur de 20 pieds permettant d'alimenter par exemple des grues ou des chargeurs dans l'estuaire de la Loire. « Il faut avoir conscience qu'un véhicule léger va consommer 1,5 kilo d'hydrogène par jour, un bus ou un engin de chantier 30 à 35 kilos, quand un navire c'est 200 kilos. L'impact est immédiat, et ça donne tout de suite du sens à une installation », répond François Lefebvre à ceux qui s'impatientent. « Pour que l'hydrogène soit une réussite, il faut qu'il y ait un maillage territorial. Lhyfe a le mérite d'exister, H2 Ouest aussi, et nous aussi. Ce qui est génial , c'est que l'on va commencer à tisser une toile d'araignée de stations de distribution pour éviter le problème du chat qui se mord la queue », expliquent les représentants H2 Loire Vallée, positionné, comme VHyGO, sur le projet de renouvellement d'une flotte d'une trentaine de bus où l'agglomération nazairienne doit prochainement choisir son mode d'énergie et par ricochet l'écosystème avec qui elle entend travailler. Un risque ?
« A l'instant où nous avons déposé le dossier, nous avons répertorié plus d'une cinquantaine d'usages différents. Ne pas avoir la Carène serait dommage, mais ça ne mettra pas un coup d'arrêt ou un coup de frein à H2 Loire Vallée », estime Christelle Boutolleau, habituée à ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Et puis, dit-elle, « que ce soit l'un ou l'autre, on l'évoque avec
Lhyfe, on peut aussi s'entraider, parce que malheureusement, un problème de production, ça peut arriver à l'un comme à l'autre. » La complémentarité ligérienne se dessine. « Beaucoup de projets ont muri et les planètes s'alignent, mais il est essentiel aussi que, comme pour les EMR, le sujet de l'hydrogène et du stockage fassent émerger des startups», observe Laurent Gérault, au conseil régional où la présidente Christelle Morançais a récemment promis qu'une quinzaine de TER à l'hydrogène circuleront en Pays de la Loire sur l'axe Caen-Alençon-Le Mans-Tours avant le la fin du prochain mandat en 2027. D'ici-là, la collectivité a lancé le recrutement d'un délégué régional, attendu en avril-mai, pour accompagner et accélérer l'émergence de la filière hydrogène sur le territoire ligérien où l'on aimerait aussi y découvrir des pépites...