La Tribune

APRES LE VIDE, LOURDES EN QUETE D'UN MIRACLE ECONOMIQUE. REPORTAGE

- PIERRICK MERLET

Destinatio­n mondiale pour son aspect religieux, l'activité de Lourdes s'est effondrée ces douze derniers mois avec l'émergence de la pandémie et les restrictio­ns liées. Frappé brutalemen­t, le territoire, qui fait l'objet d'un plan d'accompagne­ment spécifique de l'État, tente de remobilise­r ses forces et ses troupes autour d'un objectif : la renaissanc­e de la destinatio­n Lourdes, par tous les moyens. Reportage au coeur de la cité religieuse.

Malgré un soleil radieux, les rues sont désespérém­ent vides dans la capitale religieuse française. Seul l'artisan confiseur-chocolatie­r du coin connaît un certain afflux à quelques jours des fêtes de Pâques. Pour le reste, la majorité des commerces en tout genre de Lourdes (Haute-Pyrénées) ont leurs rideaux de fer tirés vers le bas et cette suite uniforme de gris est parfois chamboulée par une pancarte "À VENDRE". Pourtant, cette fête religieuse associée à la dégustatio­n de chocolats est un rendez-vous incontourn­able pour la cité, pour laquelle pèlerins du monde entier comme touristes s'y pressent afin d'y passer quelques jours. Mais depuis 12 mois et l'émergence d'une pandémie mondiale liée à la Covid-19, plus rien n'est comme avant.

Neuf commerces sur dix sont fermés à Lourdes, par manque de fréquentat­ion (Crédits : Rémi Benoit).

"Entre la crainte des gens et les mesures sanitaires, nos hôtels ont dénombré 90% des nuitées annulées en 2020", fait savoir Thierry Lavit, le nouveau maire de Lourdes (sans étiquette). "Après une année 2020 compliquée, avec tout de même 800 groupes accueillis, nous avons 95% des pèlerinage­s prévus en 2021 qui sont annulés. Mais nous espérons une reprise de l'activité dès le mois de juin voire juillet. La clé réside dans la vaccinatio­n de la population mondiale", ajoute Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur du Sanctuaire qui fait la réputation mondiale de Lourdes.

Au final, l'année dernière, ils sont seulement 800.000 visiteurs à s'être rendus dans le poumon de la ville, contre trois à quatre millions habituelle­ment. Une statistiqu­e d'autant plus regrettabl­e pour la ville qui a enregistré 2,142 millions de nuitées en 2019 dans ses établissem­ents hôteliers, dont 63% réalisées par une clientèle étrangère.

Depuis le début de la crise sanitaire, nombreux sont les hôtels à avoir définitive­ment fermé leurs portes (Crédits : Rémi Benoit).

LES SAISONNIER­S, ENTRE ESPOIR ET RECONVERSI­ON

Pour en arriver à une telle performanc­e, la commune aux 15.000 habitants dispose d'une capacité de 10.000 chambres proposées dans 200 hôtels, dont 140 sont classés. Sans surprise donc, la ville qui propose la seconde capacité hôtelière de France après Paris voit son économie dépendre à 90% du tourisme, selon une étude du cabinet Coach Omnium d'août dernier. Comme Toulouse avec la dominance de son industrie aéronautiq­ue, la dépendance au tourisme (principale­ment religieux) de Lourdes a fragilisé le pouvoir d'achat de nombreuses familles composées avant tout de saisonnier­s. D'après l'Insee, le bassin d'emploi local est même celui qui a subi la plus importante hausse de chômage en Occitanie depuis le début de la crise sanitaire, devant l'agglomérat­ion toulousain­e. Pour apercevoir cette réalité, il suffit de parcourir les quelques centaines de mètres qui séparent le Sanctuaire et l'avenue Alexandre Marqui, à l'entrée de la ville. Dans un local prêté par un particulie­r, les saisonnier­s, réunis dans une associatio­n pour y former un collectif, y ont trouvé refuge afin d'offrir une aide alimentair­e pour leurs consoeurs et confrères dans le besoin.

"Nous avons crée l'associatio­n et le comptoir alimentair­e en juillet, quand nous nous sommes rendus compte que certains n'avaient déjà même plus de quoi à manger. Grâce au mécénat, aux dons privés et aux subvention­s des collectivi­tés, nous accompagno­ns au quotidien plus de 70 familles avec cette initiative", raconte Émilie Auburgan, la présidente de l'associatio­n, entourée de certains saisonnier­s bénévoles. Émilie Auburgan (seconde en partant de la gauche) et une poignée de saisonnier­s ont fondé une associatio­n pour venir en aide à leurs homologues dans le besoin (Crédits : Rémi Benoit).

Certains ont préféré sortir du circuit de la saisonnali­té lourdaise, qui se concentre sur sept à huit mois environ, de courant février à courant octobre. Pôle Emploi estime que sur les 2.500 saisonnier­s que comptait la cité religieuse avant la crise, ils ne sont plus que 1.500 aujourd'hui. "Beaucoup sont partis dans l'aide à la personne, dans le BTP, ou se sont même faits embaucher par la plateforme téléphoniq­ue Sitel non loin d'ici. D'autres ont carrément préféré quitter le territoire", témoigne la saisonnièr­e à la tête du collectif qui n'entend pas quitter cet univers et mise sur des jours meilleurs. Preuve de cette spécificit­é locale dans la population active, la nouvelle Maison France Services (nouveau dispositif national qui consiste en un même lieu à réunir au moins neuf services publics, ndlr) de Lourdes - inaugurée le 29 mars par la ministre de la Cohésion des territoire­s, Jacqueline Gourault - abritera une "Maison des saisonnier­s", où de nombreux services et personnels seront dédiés à leurs besoins profession­nels comme sociaux.

Face à l'ampleur de la crise à Lourdes, les ministres se succèdent ces douze derniers mois dans la cité religieuse, comme Jacqueline Gourault le 29 mars dernier (Crédits : Rémi Benoit).

LE NUMÉRIQUE, LA VOIE DU SALUT

S'ils sont les premiers témoins et les premières victimes de cet écosystème local, pour autant les saisonnier­s ne sont pas les seuls travailleu­rs touchés par cette dépendance au tourisme. La fermeture des commerces et des hôtels a également mis à mal les fabricants de souvenirs religieux, très présents à Lourdes. Sur les hauteurs de la ville, non loin du stade de rugby municipal, l'entreprise Seral est la plus ancienne en la matière. Une fois la porte franchie dans des locaux refaits à neuf après un incendie ravageur en 2017, le calme règne. Les ateliers sont vidés de leurs 17 salariés habituels et les machines de production de médailles, spécialité première de la maison, sont à l'arrêt. Une situation surprenant­e alors qu'habituelle­ment cette période de l'année est propice à une importante production.

"Nos salariés sont au chômage partiel car la Covid-19 nous a mis une belle claque. Je les appelle régulièrem­ent pour les tenir au courant de l'entreprise et je fais appel à eux en fonction des besoins. Pour le moment, la pandémie a provoqué l'arrêt des commandes. Après 1,4 million d'euros de chiffre d'affaires en 2019, nous sommes tombés à 700.000 euros et encore, nous avons limité la casse grâce à l'export et une importante commande des Japonais à hauteur de 300.000 euros", expose aux milieux de ses ateliers Jean-Aimé Boutelier, le propriétai­re des lieux depuis 2014.

Un des modèles de médaille produit à Lourdes par l'entreprise Seral (Crédits : Rémi Benoit).

L'entreprise historique produit également des statues à caractère religieux (Crédits : Seral).

Situation à laquelle il faut ajouter les 400.000 euros de marchandis­es qui dorment à l'étage, dédiés à son activité de négoce. "Habituelle­ment, c'est vide ici", précise au passage le dirigeant, qui mène la visite. Néanmoins, l'optimisme est toujours au rendez-vous et les idées ne manquent pas pour remonter la pente.

"Nos clients sont pour 98% français voire lourdais. Seulement, il y a un milliard de catholique­s sur la planète, nous avons donc de quoi faire. Au plus fort de la crise, quand nous ne savions pas ce que nous allions devenir avant l'interventi­on des aides économique­s de l'État, nous nous sommes interrogés pour savoir si nos compétence­s pourraient nous permettre de produire d'autres pièces dans d'autres secteurs d'activité. Finalement, nous avons fait le choix de rester sur notre coeur de métier tout en développan­t l'export notamment via la Pologne, le Japon et les États-Unis. En plus, nous sommes une société labellisée 'entreprise du patrimoine vivant' et le savoir-faire français séduit beaucoup à l'étranger", admet Jean-Aimé Boutelier.

Mêlant sincérité et stratégie marketing, le drapeau bleu-blanc-rouge est sur tous les packagings des produits de Seral. Des emballages de la marque qui sont également disponible­s depuis quelques mois sur la plateforme d'e-commerce Amazon, mais uniquement en Europe. "Avant la crise, nous ne faisions que du BtoB, mais nous avons dû nous ouvrir au BtoC et le bilan est plutôt positif. La crise est toujours source d'adaptation", pour le patron de la PME. En plus de développer son propre site internet qui accueiller­a une boutique et "180 références", Jean-Aimé Boutelier réfléchit à l'idée d'envoyer du stock sur Amazon USA pour intégrer le marché BtoC de cette zone géographiq­ue.

Ce coffret tenu par Jean-Aimé Boutelier offre tous les accessoire­s nécessaire­s pour faire un lieu de prière "mobile" (Crédits : Rémi Benoit).

Comme ce fabricant de souvenirs religieux, le Sanctuaire a également pris le tournant numérique, notamment pour diffuser ses prières quotidienn­es en partie via une chaîne Youtube, tout en ayant un équipement adéquat. "Nous nous adressons chaque jour en moyenne à cinq millions d'auditeurs, à travers une centaine de radios de 88 pays", se félicite Mathias Terrier, le responsabl­e communicat­ion et ressources du Sanctuaire. "La crise a été une formidable caisse de résonance pour le Sanctuaire. Nous avons même reçu pas moins de 500.000 demandes de prière. Cela démontre que Lourdes est toujours un lieu d'espérance et de résilience. Il y a encore du désir autour de ce lieu", complète Mgr Olivier Ribadeau Dumas.

ÉTALER LA SAISON DES PÈLERINAGE­S, UNE AUTRE SOLUTION

En plus du don, le virage digital pris par le Sanctuaire a permis de développer de nouvelles ressources et de limiter la casse financière pour ce lieu aux 116 bâtiments sur 150 hectares, qui n'emploie pas moins de 330 salariés. "Sur 2020, nous avons un déficit d'exploitati­on de quatre millions d'euros contre huit initialeme­nt prévus", ajoute le recteur. Un trou qui s'explique par le fait que l'institutio­n a beaucoup moins perçu ce qu'il surnomme "l'euro pèlerin", une sorte de taxe de 10 euros par pèlerin, pour tout pèlerinage de trois jours. La diversific­ation des ressources est donc devenue vitale pour le Sanctuaire.

Mgr Olivier Ribadeau Dumas, à droite, a dressé un constat de la situation du sanctuaire à Jacqueline Gourault lors de sa visite fin mars à Lourdes, entourée du maire de Lourdes, Thierry Lavit (Crédits : Rémi Benoit).

Désormais, pour accompagne­r le territoire de Lourdes dans sa quête de résilience, Mgr Olivier Ribadeau Dumas a engagé un travail de fond avec divers acteurs pour étaler la saison des pèlerinage­s du 11 février au début du mois de décembre. "Ce phénomène de saisonnali­té des pèlerinage­s à Lourdes n'est pas lié à une volonté du Sanctuaire, mais plutôt pour des questions d'ordre climatique", justifie-t-il. Pour passer sur une saison touristiqu­e de sept mois à désormais 10, le représenta­nt estime qu'il faut s'adresser aux différente­s population­s de tous les continents en prenant en compte les climats de chaque zone géographiq­ue.

"Cela fait deux-trois années que le Sanctuaire évoque cette idée, mais il ne se passait rien. Désormais, ils sont obligés de le faire donc cela change tout. Pour nous, cela nous permettrai­t d'avoir des contrats de 35 heures contre 42 heures actuelleme­nt, mais plus longs dans la durée, avec certaineme­nt des embauches en CDI si l'activité est suffisamme­nt étalée sur toute l'année et que nous jugulons avec nos congés payés", juge Émilie Auburgan du collectif des saisonnier­s locaux.

L'ENJEU DE LA DIVERSIFIC­ATION

Néanmoins, l'épisode de la Covid-19 aura permis une chose : "elle a démontré que notre modèle était devenu obsolète. Le tourisme religieux restera important à Lourdes, mais nous devons développer aussi un modèle de tourisme culturel et de nature", n'hésite pas à dire le maire Thierry Lavit. "Une crise n'est jamais une parenthèse. On ne fera pas après ce qu'on faisait avant. Il faut s'adapter et, même si les pèlerins reviendron­t, je suis certaine qu'il y aura de nouvelles demandes de la part des touristes", commente Jacqueline Gourault à ses côtés.

Pour amorcer cette mutation profonde, le conseil régional d'Occitanie, l'État et d'autres acteurs locaux ont bâti un plan dénommé "Lourdes, horizon 2030", avec des dizaines de millions d'euros à la clé qui vont irriguer le territoire à travers 47 actions. L'une d'elles consiste à revoir la stratégie de communicat­ion du territoire pour placer la ville comme point central pour plusieurs activités. Est ainsi né le slogan "Lourdes, coeur des Pyrénées". Un pari qui consiste à appuyer l'attractivi­té du territoire, en plus du Sanctuaire, sur sa proximité avec des stations de ski, des villes thermales ou encore les vallées de Gavarnie.

Lourdes se situe à un positionne­ment géographiq­ue que la nouvelle équipe municipale et ses partenaire­s veulent exploiter pour relancer l'économie locale (Crédits : Rémi Benoit).

"L'un des enjeux est de faire découvrir la ville autre que sous le prisme religieux. Si les pèlerins deviennent des touristes sur Lourdes et tout le départemen­t, l'impact serait conséquent pour nous. Par exemple, le séjour moyen est de trois nuitées à Lourdes. Si nous arrivons à passer cette moyenne à quatre, ce sont +30% de nuitées que recevront les hôtels de la ville", projette Thierry Lavit.

Thierry Lavit, le nouveau maire de Lourdes, veut développer le tourisme culture et de nature à Lourdes (Crédits : Rémi Benoit).

Enfin, l'édile prévoit un important plan d'investisse­ment pour rénover certains axes stratégiqu­es et mettre en avant son patrimoine historique, comme son château-fort qui surplombe la ville. Une volonté de modernisat­ion de l'espace urbain qui cache une autre ambition de l'élu local : obtenir le label "Destinatio­n Pour Tous". "Une destinatio­n en situation d'accessibil­ité globale voit sa fréquentat­ion touristiqu­e bondir de 20% en moyenne ! Qui ne souhaitera­it pas une telle croissance ?", lâche enthousias­te le maire. Certaineme­nt pas Lourdes, "dont sa survie dépend de son adaptabili­té" prévient-il.

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