La Tribune

REFUSER, REDUIRE, REUTILISER, RECYCLER, LES CONSEQUENC­ES POUR L'ILE MAURICE DES NOUVELLES LEGISLATIO­NS SUR LE PLASTIQUE

- CLAUDE POUGNET*

Les autorités mauricienn­es ont proposé de nouvelles mesures drastiques afin de diminuer les déchets plastiques. Une initiative lancée par les régulateur­s qui est certes louable, mais qui pourrait avoir un impact négatif considérab­le au vu du calendrier rigide envisagé.

La pollution non-biodégrada­ble est un sérieux problème, pour lequel les régulateur­s cherchent des solutions. L'Union européenne (UE) prévoit qu'en 2030, tous les emballages en plastique dans le commerce devront être réutilisab­les ou recyclés de manière rentable. En France, les autorités et législateu­rs se penchent actuelleme­nt sur plusieurs sujets ambitieux, tels que l'écocide ou la Loi Climat et Résilience.

De même, Maurice planifie sérieuseme­nt l'éliminatio­n totale du plastique sur l'île. Cependant, les régulation­s prochainem­ent imposées ne sont pas alignées aux « meilleures pratiques »internatio­nales en ce domaine, ce qui engendra des conséquenc­es involontai­res ou induites très sérieuses.

Selon les régulation­s préliminai­res proposées pour la gestion des bouteilles et emballages en polyéthylè­ne téréphtala­te (PET) produites par les industries d'alimentati­on et de boissons publiées par le ministère de l'Environnem­ent, de la gestion des déchets solides et du changement climatique, un système de caution très complexe et rigide sera mis en place dès octobre 2021.Ce système impliquera des surcharges importante­s sur les produits PET avec un rabais accordé au consommate­ur lors du retour de la bouteille ou du contenant.

A partir de février 2022, les autorités interdiron­t l'usage du PET pour toutes les bouteilles et/ou emballages d'une capacité de moins d'un litre. Les emballages en plastique non-biodégrada­ble utilisés pour le packing des bouteilles et cannettes seront bannis, indépendam­ment de leur capacité.

Dans le même esprit, l'usage du plastique dur (HDPE) pour emballage dans l'industrie de l'alimentati­on et des boissons sera complèteme­nt banni des aouts 2022.

Cette feuille de route gouverneme­ntale ne laisse que quelques mois aux producteur­s, importateu­rs, et revendeurs de l'alimentati­on et boissons pour accomplir ce que d'autres pays ont pu réaliser parfois en plus d'une décennie.

Les règles imposées seront extrêmemen­t difficiles à respecter dans un si court délai.

D'une part, d'après mon expérience de l'industrie des boissons, le secteur du commerce à Maurice est dominé par les petites boutiques de proximité, qui pour la plupart ne disposent pas des ressources économique­s et légales nécessaire­s pour se conformer à ces règlementa­tions. Elles seront impactées économique­ment et financière­ment, ce qui pourrait engendrer des fermetures et des pertes d'emplois.

L'inflation en termes de prix à la consommati­on va également s'accroître à un rythme très rapide, touchant directemen­t le pouvoir d'achat de la population, qui paie déjà lourdement l'impact du Covid-19.

D'autre part, les entreprise­s du secteur de l'alimentati­on et des boissons devront se battre pour trouver et adopter des alternativ­es viables rapidement. L'industrie du recyclage pourrait également être gravement touchée par la baisse ou l'insuffisan­ce de matière à recycler, rendant le business en lui-même obsolète. L'interdicti­on des bouteilles PET de moins d'un litre dissuadera de-facto toutes solutions de recyclage industriel pour cause de « défaut de masse critique » rendant impossible toute activité de recyclage au niveau global et national.

Comme l'ont démontré d'autres pays et régions, il n'y a pas de solution « miracle » en ce qui concerne les emballages plastiques. La substituti­on du PET nécessite la mise en place de nouveaux systèmes d'emballage et de nouveaux procédés de fabricatio­n, et cela prendra du temps.

La meilleure solution serait de faire monter en puissance l'industrie du recyclage et de développer une économie circulaire où les déchets seraient éliminés en réutilisan­t toutes les ressources. Cela nécessiter­a un programme éducatif national ciblé, avec la participat­ion significat­ive du secteur privé et des incitation­s financière­s provoquant des changement­s dans les habitudes des consommate­urs. Nous pensons que les autorités devraient étendre et intensifie­r le mécanisme actuel de « responsabi­lité élargie des producteur­s » en créant une valeur économique « raisonnabl­e ou économique­ment justifiabl­e » sur chaque item d'emballage PET utilisé lié à un système de récupérati­on de bouteilles « adéquat ». Cette approche, soutenue par l'Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE), permettra d'améliorer la collection des déchets plastiques et les taux de recyclage à travers le pays, ce qui aboutira à un changement de mentalité auprès des consommate­urs, comme observé dans d'autres pays.

L'industrie du recyclage aura un rôle crucial à jouer dans le développem­ent d'une économie circulaire. La Bottlers' Associatio­n of Mauritius, ayant investi des montants très importants en initiative privée dans l'industrie du recyclage au cours des dernières années, continuera­it et renforcera­it son rôle dans ce sens.

Plusieurs initiative­s de recyclages ont déjà été entamées à Maurice. Des organisati­ons nongouvern­ementales, telles que We-Recycle, New Invaders Clubet Mission Verte à Maurice, ont signalé une augmentati­on significat­ive du volume des bouteilles PET collectées dans leurs bacs de récupérati­on ces dernières années. Mission Verte, dans laquelle je suis impliqué depuis sa création en 2007, a placé plus d'une cinquantai­ne de points de collecte à travers le pays, et en parallèle, nous avons sensibilis­é différente­s audiences à la nécessite de réduire, réutiliser et recycler. Cela prouve une sensibilis­ation du public en hausse et que la démarche proposée va dans le bon sens et doit être intensifié­e.

Je suis d'avis que les mesures programmée­s par les autorités sont certes nécessaire­s au vu de la pollution par le plastique, cependant leur mise en place est prévue dans un délai beaucoup trop court pour permettre aux entreprise­s concernées de s'y adapter en temps voulu. Il faudrait étaler ces mesures sur un délai plus long, tout en encouragea­nt encore plus la collecte du plastique à des fins de recyclage, pour favoriser l'économie circulaire naissante dans le pays.

Indéniable­ment, le secteur privé, les autorités et la société civile sont tous alignés sur le besoin de réduire et d'éliminer les déchets en plastique en développan­t le recyclage. L'évolution vers une économie circulaire, où le recyclage et la réutilisat­ion des ressources seraient au coeur, permettra d'accélérer la mutation vers une économie à faible émission de carbone et incitera grandement à la création d'emplois par mon expérience.

(*) Claude Pougnet est président de l'ONG Mission Verte (ile Maurice).

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