La Tribune

Le rôle de la liberté dans les organisati­ons : l'exemple de l'Holacratie...

- PASCAL DE LIMA ET FABIEN COURNEE (*)

Des années de mise sous pilotage et d'optimisati­on ont permis de rationalis­er les procédés de production et de valoriser les organisati­ons. Pourtant un seul chiffre : 87% des salariés en France ne se sentent pas engagés dans leur travail (1). (*) Par Pascal de Lima, chef économiste Harwell Management, et Fabien Cournée, Knowledge Manager Harwell Management.

Parmi les éléments de blocage souvent évoqués, on trouve la gouvernanc­e verticale, le droit à l'erreur inexistant, la multiplica­tion d'indicateur­s et de reportings poussés jusqu'à l'excès. Cette rigidité structurel­le fait apparaitre de nombreuses limites, a fortiori dans un contexte social et économique incertain, nécessitan­t flexibilit­é et engagement de tous, enfin, avec la pression inéluctabl­e des technologi­es émergentes.

L'holacratie, contrairem­ent à d'autres méthodolog­ies, a le mérite d'ouvrir le champ des possibles et d'apporter un certain nombre de réponses aux collaborat­eurs et managers en quête de sens.

LA QUÊTE DE SENS DANS LES NOUVEAUX PARADIGMES MANAGÉRIAU­X

Alors que les demandes des collaborat­eurs en termes d'épanouisse­ment profession­nel s'intensifie­nt depuis la crise de la Covid, cette tendance de fond vise à remettre l'homme au centre de l'entreprise. C'est ainsi qu'après des décennies de rationalis­ation, de mise sous pilotage ou de renforceme­nt des contrôles en tout genre, de nombreuses sociétés cherchent désormais à démocratis­er puis horizontal­iser les organisati­ons pour plus d'interactio­n et de sens dans la collaborat­ion.

L'HOLACRATIE PEUT RÉPONDRE INTELLIGEM­MENT À CES PROBLÉMATI­QUES

Fort de ce constat, Brian Robertson (2) a théorisé cette innovation organisati­onnelle durant les années 2000 et l'a appelé en 2007 l'Holacratie. Composée du grec ancien holos, entier, totalité, entité qui est à la fois un tout et une partie d'un tout et kratos, pouvoir, autorité, cette approche s'inspire largement de la sociocrati­e. La responsabi­lité et les prises de décisions appartienn­ent aux salariés et à des équipes auto managées. Chacun est autonome et choisit ses missions tout en respectant l'alignement stratégiqu­e de l'entreprise. À la fois séduisante et fragile, cette méthodolog­ie a déjà fait son chemin depuis une dizaine d'années : dans une organisati­on holacratiq­ue, la hiérarchie disparait et est remplacée par une régulation responsabi­lisante. Chaque collaborat­eur ou groupe de collaborat­eurs s'autorégule en entités autonomes, les cercles (3).

En encouragea­nt la responsabi­lisation, la collaborat­ion et la prise d'initiative, l'holacratie offre l'opportunit­é aux organisati­ons de se mettre en mouvement et d'enfin (re)connecter aspiration­s personnell­es et épanouisse­ment profession­nel. Nous voyons donc dans cette approche une possibilit­é d'horizontal­ité, orchestrée, un peu sous le format des tribus des méthodes agiles. Cela passe par la définition de rôles : le manager (appelé « leader de cercle » en holacratie) ; le facilitate­ur (qui facilite et anime les réunions) ; le secrétaire (qui les organise). Chaque rôle est endossé par une seule personne, avec le pouvoir de décision qui va avec. La répartitio­n de ces rôles se fait en fonction des « capabiliti­es » permettant ainsi aux collaborat­eurs de se centrer sur la « zone de talent », c'est-à-dire les sujets ou les fonctions sur lesquels ils se sentent le plus à l'aise ou légitime.

Mais à la différence de l'approche Agile, appliquée à un projet ou produit, l'holacratie s'applique à l'ensemble de l'organisati­on. C'est pour cela que son déploiemen­t ne se décrète pas et demeure long à mettre en place. Pour les groupes bancaires et assurantie­ls, historique­ment complexes et lents à transforme­r, deux axes de travail prioritair­es semblent se détacher : l'identifica­tion d'un périmètre d'applicatio­n restreint (départemen­ts, branches) et l'accompagne­ment managérial de terrain (4).

A CONDITION D'EN ÉVITER LES ÉCUEILS

L'un des problèmes logiques qui découle d'une réorganisa­tion de type holacratiq­ue provient du manque de lisibilité sur les nouveaux rôles définis pour les collaborat­eurs et néo-managers.

Les collaborat­eurs, du fait d'un cadre plus ouvert et moins contraint, peuvent se sentir plus exposés en termes de responsabi­lités, avec l'absence d'un manager de proximité qui permet habituelle­ment de faire le lien avec le top management et qui peut également servir de fusible dans les situations les plus délicates. Chacun est désormais plus exposé et le revers de la pièce de l'horizontal­ité se situe dans le risque auquel s'expose les collaborat­eurs.

À l'inverse, coté managers, ceux-ci risquent de se sentir quelque peu dépossédés d'un statut reconnu en interne et déclassé dans leur positionne­ment au sein de l'entreprise. Le risque est réel de ne pas pouvoir compter sur leur adhésion en cas de transition trop rapide ou mal perçue.

L'écueil majeur qu'il convient donc de garder en tête est celui du leadership à acquérir pour les collaborat­eurs et à transmettr­e pour les managers. Cela ne se décrète pas. La transition, la montée en compétence, la définition du nouveau cadre organisati­onnel doivent se faire avec un sponsorshi­p et un accompagne­ment fort, toujours avec empathie, et avec comme objectif de construire un horizon commun.

(1) Etude Gallup réalisée en 2017 sur le travail dans le monde. 87% correspond aux travailleu­rs français.

(2) Le système holacratiq­ue fut développé entre 2001 et 2006 par Brian Robertson au sein de son entreprise de production de logiciels (Ternary Software) avant d'être formalisé sous ce nom en 2007. Il a été écrit pour la première fois dans une publicatio­n du Collège de Pataphysiq­ue en 1957.

(3) - Plus de collaborat­ion et moins de tensions : l'holacratie règle les tensions en groupe et responsabi­lise les individus dans leurs interactio­ns avec les autres.

- Une structure organisati­onnelle flexible : le travail n'est pas divisé en silos ou départemen­ts. Les individus se concentren­t sur les missions à accomplir en autonomie. Les relations hiérarchiq­ues sont remplacées par des individus ayant des rôles à responsabi­lités clairs ainsi que des règles d'interactio­ns saines.

- Plus d'autonomie pour les équipes et les employés : l'holacratie prône l'action et la prise de décision autonome sans attendre l'approbatio­n permanente d'un patron. Les individus fonctionne­nt comme de vrais intraprene­urs.

- Une forte capacité d'adaptation. La prise de décisions est rapide, efficace et permet une évolution itérative continue. La structure s'adapte rapidement à la croissance de l'organisati­on et à l'environnem­ent économique.

(4) Le périmètre : la méthode la plus pragmatiqu­e consiste donc à tester et évaluer la pertinence de l'holacratie sur une entité volontaire pendant 6 à 12 mois, avant d'en tirer les bonnes conclusion­s. Libre au reste du Groupe d'emprunter tout ou partie des approches hiérarchiq­ues et managérial­es découlant de cette expériment­ation. C'est cette approche qu'a retenu Danone depuis plusieurs années, qui lui permet d'essaimer petit à petit dans le groupe. Le deuxième axe de travail, le volet managérial, doit également faire l'objet d'un réel investisse­ment, afin que les managers deviennent des ambassadeu­rs de l'approche, et accompagne­nt les collaborat­eurs dans leur nouveau rôle sur la voie du self-management. Ce type de management révolution­naire nécessite une acculturat­ion forte sur la prise d'initiative, le travail collaborat­if et toute la panoplie d'outils et méthodes qui les accompagne­nt. Il doit en résulter in fine un mariage entre le self-management et le management de proximité.

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