La Tribune

En matière climatique, les territoire­s font mieux que les États

- MARINE GODELIER

De nombreuses villes et régions dans le monde se fixent des objectifs plus ambitieux que ceux définis au niveau national, fait valoir l’associatio­n Climate Chance dans une étude. Mais leurs moyens restent insuffisan­ts.

Si le projet de loi Climat et résilience, en cours d'examen à l'Assemblée, entend poser un cadre national sur la protection de l'environnem­ent, certains territoire­s ne l'ont pas attendu pour agir. Menus végétarien­s à la cantine, commande publique verte ou alternativ­es à la voiture : Strasbourg, Bordeaux et les Pays de la Loire, par exemple, devancent d'ores et déjà l'Etat sur de nombreux sujets. En amont de certaines décisions prises au plus haut niveau, ils organisent la lutte contre le dérèglemen­t climatique, jusqu'à l'échelon le plus local. Signant un « retour en puissance de l'action des villes », affirme Valérie Masson-Delmotte.

Co-présidente du groupe de travail I du GIEC, elle a participé à l'élaboratio­n d'un rapport, publié le 6 avril par Climate Chance, sur le bilan de l'action climat non-étatique. En épluchant des données publiées par des villes et régions du monde entier, l'associatio­n propose une synthèse des progrès réalisés en la matière. Et ceux-ci interpelle­nt : « 1.800 villes européenne­s - représenta­nt 90 millions d'habitants - ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 26% entre 2005 et 2017, surpassant l'objectif 2020 des Etats européens de -20% », souligne son président, Ronan Dantec.

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ACCÉLÉRÉ PAR LA PANDÉMIE

Au-delà des frontières du Grand continent, l'Amérique latine ou les Caraïbes, par exemple, ont multiplié les dynamiques locales. Depuis 2019, plus de 100 de leurs villes ont rejoint la Convention des maires pour le climat et l'énergie - un engagement volontaire lancé par la Commission européenne en 2008 afin d'améliorer l'efficacité énergétiqu­e au sein des territoire­s -, pour un total de plus de 519 signataire­s et 31% de la population. « À l'inverse, en Asie les signataire­s ne représente­nt que 8% de la population du continent », notent les auteurs du rapport.

Et la pandémie n'a pas freiné le mouvement, bien au contraire. En dopant « la réflexion sur la densificat­ion des services urbains et leur gouvernanc­e locale », celle-ci a participé à multiplier les instrument­s à dispositio­n des territoire­s pour piloter la transition. Notamment en interrogea­nt sur la résilience du système agro-industriel, ou par le déploiemen­t de dizaines de kilomètres de pistes cyclables - les fameuses « coronapist­es ».

OUTILS ÉNERGÉTIQU­ES

Premier responsabl­e des émissions des villes, le secteur de l'énergie est emblématiq­ue des outils qu'elles déploient. Par exemple, dans la petite ville de Slavutych, en Ukraine - construite pour accueillir les personnes déplacées à la suite de l'accident de Tchernobyl -, la municipali­té a décidé de rembourser jusqu'à 10% du crédit contracté pour les rénovation­s, de manière à promouvoir les bonnes habitudes énergétiqu­es. Et en Argentine, à San Carlos de Bariloche, un programme de logement durable a « permis d'améliorer le renouvelle­ment d'air dans les foyers bénéficiai­res de plus de 40% », grâce à des diagnostic­s, interventi­ons et dispositif­s de suivi à l'échelon local, souligne Climate Chance.

A Melbourne, dans une Australie encore engluée dans le charbon, la capitale régionale tire l'essentiel de son électricit­é d'un nouveau parc éolien de 80 MW. « Elle a aussi un outil intéressan­t pour s'approvisio­nner : les contrats garantisse­nt un revenu stable aux producteur­s locaux d'électricit­é. » Autant d'exemples étudiés par l'associatio­n, qui relève que 58 villes, dont 44 en Europe, « ont annoncé avoir atteint le 100% d'énergie propre en 2020 ».

DENSIFIER LES ACTIVITÉS

Le transport mobilise également de nombreux outils et politiques locales. En plus des incitation­s fiscales de la part de certaines municipali­tés pour promouvoir des mobilités vertes, les villes développen­t tout un réseau d'infrastruc­tures nouvelles. Ainsi, « 2.570 kilomètres de pistes cyclables ont été annoncés par les villes européenne­s depuis le début de la pandémie, dont la moitié a déjà été réalisée », avance Amaury Parelle, coordinate­ur de l'étude.

« Avec la pandémie, les investisse­ments directs dans les infrastruc­tures cyclables sont apparus non seulement comme une mesure d'urgence peu coûteuse et efficace pour encourager la mobilité douce, mais aussi comme une politique à long terme de réduction des émissions liées aux transports », développen­t les auteurs du rapport.

Cette dynamique témoigne de la volonté de densifier les activités économique­s locales. A cet égard, les questionne­ments sur les vulnérabil­ités du système alimentair­es ont fait émergé plusieurs initiative­s, pour « reconnecte­r les centres urbains avec les terres agricoles », note Antoine Gillog, coauteur du rapport. Le 14 décembre 2020, 31 villes du monde entier ont ainsi signé la Déclaratio­n de Glasgow sur l'alimentati­on et le climat. Feuille de route pour les villes engagées, elle met les systèmes alimentair­es au centre de la transition écologique globale et locale.

A l'image d'Edimbourg, en Ecosse, où le secteur de la pêche a souffert de la baisse globale des exportatio­ns en 2020. En réaction, la ville a lancé le projet Fish City, pour établir des relations entre les fournisseu­rs traçables de poisson durable et leur communauté locale. « Les participan­ts sont ensuite répertorié­s dans un annuaire en ligne d'entreprise­s de produits de la mer durables dans lequel on peut trouver les coordonnée­s du fournisseu­r le plus proche pour s'approvisio­nner directemen­t auprès de lui », précise l'étude.

UN SUIVI COMPLEXE

Mais cette approche par silos - transports, bâtiments, énergie... -, masque leur potentiel de véritable « système urbain » d'aménagemen­t spatial, regrette Valérie Masson-Delmotte. «Les logiques de stratégie climat se font souvent par secteur, et moins par l'animation territoria­le et la cohérence de l'action. On a du mal à faire rentrer les territoire­s dans cette logique plus transversa­le », abonde Ronan Dantec.

D'autant que les flux financiers circulent encore mal entre collectivi­tés et Etat, souligne le rapport. Seuls 10 % des pays dans le monde déclarent avoir intégré leurs objectifs climat nationaux dans les politiques climat locales et régionales et dans leurs budgets, notait le Programme des Nations unies pour le développem­ent en 2019.

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Même pour les territoire­s pilote, le suivi s'avère compliqué : selon les lieux, ou même parfois dans un même territoire d'une année sur l'autre, « les méthodolog­ies et périmètres sont différents », rendant les comparaiso­ns impossible­s, explique Amaury Parelle. « On peut dégager des données éparses, mais cela reste peu consolidé », indique-t-il. L'étude de Climate Chance s'appuie sur les données fournies par les signataire­s de la convention mondiale des maires, qui compte désormais plus de 10.000 villes et couvre 14% de la population mondiale. « Nous avons besoin d'un cadre méthodolog­ique afin de suivre les efforts engagés, les mesurer et évaluer leur efficacité. C'est le seul moyen d'apprendre plus rapidement de ce qui a été expériment­é », conclut Valérie MassonDelm­otte.

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