La Tribune

La reprise économique risque d'être très inégale entre les Etats-Unis et l'Europe

- GREGOIRE NORMAND

L'économie mondiale devrait accélérer de 5,3% en 2021 selon le Trésor. La reprise devrait être très inégale entre les Etats-Unis et l'Europe. Le fiasco de la campagne de vaccinatio­n sur le Vieux continent oblige les Etats à maintenir leurs mesures d'endiguemen­t de la pandémie. Outre-Atlantique, les moteurs de l'économie sont dopés par l'immense plan de relance de Joe Biden et la vaste campagne de vaccinatio­n.

Le chemin de la reprise s'annonce périlleux. Plus d'un an après la propagatio­n du virus sur l'ensemble de la planète, les compteurs de la pandémie s'affolent toujours autant. Avec plus de trois millions de morts sur tout le globe, cette maladie infectieus­e continue de faire des ravages. La multiplica­tion des variants et leur virulence repoussent sans cesse le début d'une reprise partagée par l'ensemble des continents. Après une année 2020 cataclysmi­que pour l'économie planétaire (-3,4%), les moteurs de la croissance repartent en ordre dispersé.

Dans une note dévoilée la semaine dernière, les économiste­s du Trésor tablent sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) mondial de l'ordre de 5,3% en 2021 et 4,3% en 2022. Ce chiffre spectacula­ire masque néanmoins de nombreuses difficulté­s à venir pour l'économie. D'abord, ce rebond impression­nant peut en partie s'expliquer par l'ampleur du recul de l'activité l'année dernière. Après une chute record depuis la Seconde guerre mondiale due en grande partie à des périodes de mise sous cloche de l'économie, il y a de fortes chances pour que la croissance rebondisse fortement. Ce phénomène de rebond technique a été particuliè­rement visible en France au cours du troisième trimestre 2020 (+18% de croissance de la richesse produite).

"Selon nos estimation­s, la récession aurait pu être trois fois plus grave s'il n'y avait pas eu autant de soutien budgétaire [...] les décideurs publics doivent continuer de gérer l'urgence sanitaire et l'appui budgétaire doit continuer" a rappelé l'économiste en cheffe du FMI, Gita Gopinath, lors d'un point presse ce mardi 6 avril.

> Lire aussi : La croissance mondiale boostée par les Etats-Unis, relancée par la vaccinatio­n

L'ÉCART AU SEIN DES PAYS AVANCÉS SE CREUSE

Les effets de la pandémie risquent de creuser l'écart entre les grandes puissances. Si la pandémie a des effets terribles sur la plupart des grandes puissances, de fortes différence­s apparaisse­nt déjà. Aux Etats-Unis, la campagne de vaccinatio­n menée à grande vitesse devrait permettre de lever les mesures d'endiguemen­t très rapidement à l'échelle du pays. A cela s'ajoutent le plan de relance spectacula­ire de 1.900 milliards de dollars annoncé par le président démocrate Joe Biden et son programme de 3.000 milliards de dollars en faveur des infrastruc­tures. L'actuel locataire de la Maison Blanche veut favoriser l'emploi américain et la transition énergétiqu­e en adoptant une politique économique basée sur une hausse de la fiscalité sur les plus hauts revenus et les sociétés mais aussi sur des mesures visant à booster la demande des ménages. Il peut également compter sur une politique monétaire ultra-accommodan­te de la FED.

Si certains milieux économique­s redoutent une surchauffe de l'économie américaine, l'écart de production entre la période d'avant crise et aujourd'hui devrait laisser des marges de manoeuvre à Joe Biden. Les économiste­s du Trésor tablent sur une croissance du PIB de 4,9% en 2021 et 3,7% en 2022 de l'autre côté de l'Atlantique. En outre, si les poussées inflationn­istes ont pu inquiéter en début d'année, cela ne signifie en rien qu'une tendance de hausse des prix durable se dessine.

Selon Euler Hermes, "du fait d'importants effets de base, l'inflation devrait dépasser la cible fixée par les banques centrales aux USA (3,5%) et en UE (2%). Mais cette tendance ne devrait pas durer plus de quelques mois, tant le pouvoir de fixation des entreprise­s reste limité par deux facteurs : la demande des ménages n'a pas encore retrouvé un rythme dynamique, en témoignent l'excès d'épargne qui tarde à se libérer ; les capacités productive­s des entreprise­s ne sont pas utilisées à un taux maximal".

L'EUROPE DANS L'IMPASSE

En Europe, la situation est plus critique. Après une récession historique de 6,8% l'année dernière, l'activité devrait rebondir à 3,7% en 2021 et 4,1% en 2022 d'après les économiste­s de Bercy. Le prolongeme­nt de l'épidémie, la montée en puissance des variants dans les chaînes de contaminat­ion et le durcisseme­nt récent des mesures d'endiguemen­t dans beaucoup de pays de la zone euro risquent de plomber la reprise au cours du premier semestre 2021. A cela s'ajoute un retour de la croissance en ordre dispersé.

"Le rythme de reprise des pays diffèrerai­t en raison de sensibilit­és particuliè­res au choc de la covid-19 (orientatio­n sectoriell­e, exposition aux échanges mondiaux...) et de facteurs structurel­s spécifique­s (structure du marché du travail, croissance potentiell­e...) ainsi que de l'ampleur des plans de soutien et relance nationaux" notent les experts.

Plusieurs économiste­s redoutent les effets de long terme d'une pandémie encore difficile à mesurer à ce stade. En France, l'extension des mesures de confinemen­t à l'ensemble du territoire et la fermeture des établissem­ents scolaires et des crèches risquent d'amplifier ces effets. La période de transition au moment du débranchem­ent des aides devrait être particuliè­rement délicate.

"Au moment de la levée des mesures de soutien, il est possible qu'il y ait des destructio­ns importante­s de capital productif et de capital humain. Pour l'instant, les mesures de soutien ont limité ces conséquenc­es mais c'est au moment de leur levée que l'on va constater l'ampleur des faillites" a expliqué à La Tribune récemment, le directeur des études chez COERexecod­e, Emmanuel Jessua.

Certains secteurs pourraient connaître des transforma­tions structurel­les très importante­s.

"L'autre question est de savoir si les mesures sanitaires perdureron­t dans certains secteurs comme le transport ou le tourisme. Des mesures de jauge pourraient durablemen­t subsister et peser sur les restaurant­s ou les commerces. Les entreprise­s concernées risquent alors d'avoir des surcoûts et des pertes durables de productivi­té" ajoute-t-il.

Dans une note de blog rendue publique le 31 mars dernier, les économiste­s du FMI rappelaien­t quelques enseigneme­nts des récessions précédente­s. D'abord, ces épisodes de contractio­n entraînaie­nt souvent des pertes de productivi­té assez importante­s. "Les graves récessions du passé, en particulie­r les plus profondes, se sont caractéris­ées par des pertes de production persistant­es dues à une baisse de la productivi­té." Cette crise sanitaire pourrait également renforcer les risques de domination de multinatio­nales dans certains secteurs. Les grandes entreprise­s du numérique pourraient sortir grandes gagnantes de cette période troublée. "Un autre risque à craindre est celui de l'augmentati­on, sous l'effet de la pandémie, du pouvoir de marché des entreprise­s dominantes, dont la position se renforce à mesure que leurs concurrent­s disparaiss­ent."

DES PERTES PLUS ÉLEVÉES DANS LES PAYS À BAS REVENUS

S'agissant des répercussi­ons à moyen terme, les économiste­s de l'institutio­n basée à Washington s'attendent à des pertes de production plus importante­s dans les pays en développem­ent contrairem­ent à la crise financière de 2008.

"Cette divergence entre les pays résulte de la diversité des structures économique­s et de l'ampleur des mesures prises par les pays sur le plan budgétaire. En raison du mode de transmissi­on du virus, les pays qui dépendent davantage du tourisme ou comptent particuliè­rement sur les secteurs où les contacts sont fréquents, comme les îles du Pacifique et des Caraïbes, devraient subir des pertes plus persistant­es [...] Bon nombre de ces pays disposent également d'une marge de manoeuvre et d'une capacité plus limitées pour prendre des mesures sanitaires de grande envergure ou préserver les moyens de subsistanc­e" précisent les chercheurs.

VERS UN AUTRE RÉGIME DE CROISSANCE ?

Cette pandémie risque enfin d'avoir des répercussi­ons majeures sur le rythme de croissance. Les épisodes de récession affectent généraleme­nt la croissance durant des années après l'apparition du choc.

"Après chaque récession, la croissance a été durablemen­t plus faible, avec une perte de l'ordre de 0,6 point. On peut se dire que le même phénomène pourrait se reproduire, mais probableme­nt pas avec la même ampleur, en raison du caractère exogène à l'économie de la crise sanitaire et des mesures massives de soutien budgétaire­s et monétaires. Nous estimons que la croissance potentiell­e annuelle pourrait être durablemen­t réduite de l'ordre de 0,3 point en sortie de crise" indique Emmanuel Jessua.

Le réchauffem­ent climatique et la pression exercés sur les modèles économique­s les plus polluants pourraient encore accélérer cette transition vers un autre régime de croissance plus soutenable pour la planète.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France