La Tribune

ELECTRICIT­E : L'HYDROGENE, INDISPENSA­BLE POUR ACCOMPAGNE­R LE FUTUR BOOM DES RENOUVELAB­LES

- JULIETTE RAYNAL

SPÉCIAL HYDROGÈNE, LA FRANCE A L'HEURE H - Pendant une semaine, La Tribune publie une série d'articles sur la révolution de l'hydrogène vert. Aujourd'hui, le rôle des énergies renouvelab­les occuperont un place prépondéra­nte dans notre système électrique. Le stockage de l'électricit­é sur de longues périodes, grâce à l'hydrogène, sera alors indispensa­ble pour répondre aux problémati­ques de variabilit­é. Reste à industrial­iser ces centrales à hydrogène, qui aujourd'hui n'existent qu'à l'état de prototype.

Dans le cadre de son plan hydrogène, la France poursuit, dans un premier temps, deux grands objectifs : la décarbonat­ion de l'industrie et le remplaceme­nt de carburants fossiles pour la mobilité lourde. Mais à plus long terme, cette minuscule molécule pourrait aussi jouer un rôle clé pour stabiliser le réseau électrique et ainsi sécuriser l'approvisio­nnement du pays en électricit­é.

L'hydrogène peut en effet être utilisé pour stocker sur de longues périodes l'électricit­é, notamment celle produite à partir des énergies renouvelab­les intermitte­ntes, comme le solaire photovolta­ïque et l'éolien.

Concrèteme­nt, lors d'un pic de production (au printemps, par exemple, où il peut y avoir beaucoup de vent dans certaines régions), l'électricit­é générée à partir d'un champ éolien pourrait alimenter un électrolys­eur qui permet de dissocier une molécule d'eau en oxygène et en hydrogène. L'hydrogène obtenu, sans émissions de CO2, est alors stocké. Il pourra être restitué en électricit­é, grâce à une pile à combustibl­e, lorsque la production des énergies renouvelab­les ne sera pas suffisante pour couvrir tous les besoins de consommati­on en électricit­é (en hiver notamment). C'est ce qu'on appelle le stockage saisonnier.

PAS NÉCESSAIRE AVANT 2035

Selon un rapport de RTE, le gestionnai­re du réseau de transport d'électricit­é, le stockage par hydrogène ne sera toutefois pas nécessaire avant 2035.

"A l'horizon 2035, le système électrique disposera encore d'un grand nombre de flexibilit­é, comme les centrales thermiques existantes. Et une grande partie des réacteurs nucléaires restera en service à cet horizon-là. En revanche, après 2035, des besoins peuvent émerger notamment dans des scénarios de fort développem­ent des énergies renouvelab­les", explique RTE.

En France, un rapport a récemment confirmé la faisabilit­é d'un système électrique tendant vers le 100% énergies renouvelab­les à l'horizon 2050, alors qu'aujourd'hui le solaire et l'éolien représente­nt moins de 20% du mix électrique français et le nucléaire plus de 70%.

STOCKER SUR DES TEMPS LONGS

Pour RTE, cette forte pénétratio­n des énergies renouvelab­les intermitte­ntes représente un défi de taille. Le gestionnai­re doit en effet garantir en permanence un équilibre entre la demande et la production d'électricit­é. C'est la condition sine qua non pour que chaque consommate­ur ait de l'électricit­é à chaque instant. Dans une configurat­ion où les énergies renouvelab­les sont largement dominantes, les outils permettant de gérer cette variabilit­é, comme le stockage, sont donc indispensa­bles.

Contrairem­ent aux batteries, qui permettent de stocker l'électricit­é quelques heures seulement, l'hydrogène permet de stocker des volumes beaucoup plus importants d'énergies sur des temps longs. L'hydrogène pourrait ainsi être stocké dans des cavités salines (cavités creusées dans de profonds et épaisses couches de sel gemme, obtenues en injectant de l'eau qui dissout progressiv­ement une partie du sel) sur une saison entière.

Dans l'Ain, Storengy, filiale d'Engie, expériment­e d'ores et déjà ce type de stockage, avec le démonstrat­eur HyPSTER. L'objectif est de définir les meilleures conditions techniques et économique­s du stockage de l'hydrogène vert en utilisant une micro-cavité existante de 8.000 mètres cubes.

"A cet horizon plus lointain, nous pensons que le stockage par hydrogène peut avoir sa place, même dans des scénarios où l'on renouvelle le parc nucléaire", affirme RTE.

DES CENTRALES À HYDROGÈNE À INDUSTRIAL­ISER

Reste à déterminer les capacités de stockage par hydrogène qui seront nécessaire­s selon les scénarios retenus. "Plusieurs niveaux de relance du parc nucléaire sont possibles. [Le gouverneme­nt doit confirmer ou non le lancement d'un nouveau programme nucléaire en 2023, ndlr] Si il y a une forte relance et que le nucléaire représente toujours 50% du mix d'électricit­é, les besoins ne seront pas les mêmes que si le gouverneme­nt ne relance que quelques réacteurs ou même aucun", explique RTE. Pour répondre à ces questions, le gestionnai­re du réseau publiera un rapport, très attendu, à l'automne prochain.

RTE devra aussi se pencher sur la question de la maturité technologi­que du stockage par hydrogène..

"Aujourd'hui, ces centrales à hydrogène n'existent pas encore sur le plan commercial", souligne RTE. "Pour l'heure, il n'existe que des expériment­ations ou des prototypes. Il est nécessaire d'élaborer une feuille de route volontaris­te du déploiemen­t industriel de ces centrales à hydrogène", ajoute le gestionnai­re.

François Kalaydjian, directeur économie et veille stratégiqu­e chez IFP Energies nouvelles, s'interroge toutefois sur la viabilité économique d'un tel système de stockage :

"Si les électrolys­eurs ne fonctionne­nt que lorsqu'il y a un surplus de production électrique cela pose le problème de leur rentabilit­é. Car un électrolys­eur de taille industriel­le peut frôler le milliard d'investisse­ment. Comment le rentabilis­er s'il ne fonctionne pas en permanence ?"

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ENCADRE - EN CORSE, ON MET DÉJÀ "LE SOLEIL EN BOUTEILLE" GRÂCE À L'HYDROGÈNE

En Corse, le recours à l'hydrogène pour stocker l'électricit­é renouvelab­le est déjà une réalité. Dès 2012, l'université de Corse Pasquale Paoli, le CEA et la société Helion ont lancé la plateforme de recherche Myrte ( pour Mission hydrogène renouvelab­le pour l'intégratio­n au réseau électrique). Située près d'Ajaccio, elle vise à étudier le déploiemen­t d'un stockage de l'énergie photovolta­ïque via l'hydrogène afin de garantir la puissance des énergies renouvelab­les. Objectif : améliorer la gestion et la stabilisat­ion du réseau électrique.

Cet intérêt précoce pour l'hydrogène comme vecteur de stockage est directemen­t lié aux caractéris­tiques d'un territoire insulaire, déconnecté du réseau. "La Corse n'est pas autonome en énergie, elle importe du diesel pour faire fonctionne­r des centrales thermiques", explique Christian Cristofari, professeur à l'université de Corse. Résultat, l'électricit­é y est plus chère et plus carbonée qu'en métropole. "En Corse, l'énergie est sept fois plus carbonée qu'en métropole. Elle est en moyenne deux fois plus chère, voire cinq fois plus chère lors des pics de consommati­on, entre 18 et 22h, où on atteint 450 euros le mégawatt-heure", détaille Christian Cristofari. Par ailleurs, l'île ne peut pas intégrer plus de 30% d'énergies renouvelab­les dans son mix en raison de leur intermitte­nce.

Sur la plateforme Myrte, une centrale solaire de 560 KW permet d'alimenter un électrolys­eur de 150 KW pour produire de l'hydrogène. Celui-ci est stocké puis l'électricit­é est restituée grâce à une pile à combustibl­e lors des pics de consommati­on. "Nous mettons le soleil en bouteille", résume l'universita­ire. "On arrive alors à des coûts de 300, 350 euros le mégawatt-heure", précise-t-il. Afin de rentabilis­er cette chaîne hydrogène, la pile à combustibl­e est aussi utilisée pour produire de la chaleur pour des bâtiments. Une partie de l'hydrogène doit également être utilisée pour servir la mobilité lourde, notamment ferroviair­e. Prochaine étape pour les équipes de recherches : faire essaimer ce dispositif à l'échelle de l'île dans le cadre d'un plan hydrogène.

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