La Tribune

GEL DES VIGNES : EN AURA NON PLUS, LES BRASEROS N'AURONT PAS SUFFI

- ZOE FAVRE D'ANNE

Auvergne Rhône-Alpes n'aura pas été épargnée par les fortes gelées de la semaine dernière, causant de nombreux dégâts, notamment dans les vignes, où une nouvelle gelée se profile cette fin de semaine. L'heure est encore au chiffremen­t des dégâts, avec des pertes allant de 10... à 100% des récoltes pour certains Côtes-du-Rhône par exemple. A l'heure de la mobilisati­on générale des services de l'Etat, cet épisode pourrait également appeler à une réflexion à plus long terme afin de mieux se préparer aux aléas climatique­s.

C'est un coup de dur de plus pour les vignerons. Après la taxe Trump, le Brexit, la crise sanitaire, la fermeture des restaurant­s et des salons, un épisode de gel exceptionn­el est survenu en milieu de semaine dernière.

"La vigne ayant poussé suite aux fortes chaleurs de mars, c'est comme mettre une plante au congélateu­r. Les jeunes pousses ont été fortement touchées", illustre Sylvie Chevrol-Michelas, présidente de la Fédération des vignerons indépendan­ts de Rhône-Alpes.

Une "gelée noire", d'hiver, qui a duré longtemps et d'ampleur nationale.

"C'est une situation exceptionn­elle, du jamais vu de mémoire de vigneron", ajoute Denis Guthmuller, président du Syndicat des vignerons des Côtes-du-Rhône, représenta­nt d'un vignoble qui s'étend sur six départemen­ts.

Et d'ajouter : "Dans certaines communes, il n'a jamais gelé. A l'instant T, nous sommes coincés."

"Tous les vignobles ont été touchés en Auvergne Rhône-Alpes, à un degré plus ou moins important", constate Sandrine Roussin, responsabl­e de la commission viticultur­e à la FRSEA (Fédération régionale des syndicats d'exploitant­s agricoles).

"LE BILAN EST DIFFICILE À FAIRE"

Pour éviter que le gel ne brûle des vignes déjà bourgeonna­ntes, certains ont installés des brasiers, des bougies, de la paille mouillée, des tours anti-gel... Malgré tous les efforts des vignerons, le gel a frappé si fort (jusqu'à -7°C) que les dégâts étaient inévitable­s. Il est encore délicat de les chiffrer à ce jour. Tout dépend de l'état des bourgeons et de s'ils pourront repartir ou non au cours des prochains jours.

"La récolte ne nous appartient qu'une fois dans la cuve. Avant, elle appartient à la nature", tempère Daniel Bulliat, président de l'Inter Beaujolais.

La Fédération des vignerons indépendan­ts de Rhône-Alpes (Ardèche, Rhône, Savoie Bugey, Drôme) regroupe 475 vignerons indépendan­ts. Selon sa présidente, "le bilan est très mitigé. Il y a des secteurs fortement touchés, d'autres moins. Il encore à ce jour difficile d'avoir une vision globale".

D'autant plus qu'un autre épisode est attendu fin de cette semaine. Du côté des Côtes-duRhône, le syndicat annonce par exemple un niveau de pertes qui oscille de 10 % à... 100 % en fonction des endroits.

Selon les zones géographiq­ues, les coupes, l'état des vignes, les dégâts ne sont pas les même partout et atteindrai­ent, en moyenne, 40% des récoltes. Quoiqu'il en soit, certains vignerons vont connaître une baisse de chiffre d'affaire conséquent­e.

La FRSEA recense encore aujourd'hui les dégâts à l'échelle de la région, tandis que les préfecture­s concernées multiplien­t également les visites pour tenter de jauger l'ampleur des dégâts. Car il va y avoir désormais le bilan des pertes à dresser, mais aussi l'état mental des vignerons à surveiller. Les syndicats et fédération­s tentent d'accompagne­r leurs adhérents dans cette période difficile, en faisant remonter les différente­s problémati­ques rencontrée­s auprès des élus, tandis que la MSA a mis sur pied un service d'écoute pour soutenir les agriculteu­rs en détresse.

Car ce gel brutal intervient également comme un coup de grâce pour les viticulteu­rs; après toutes les difficulté­s rencontrée­s en 2020, ainsi que l'épisode de grêle précédent, en 2019.

"NOUS SOMMES DANS L'ATTENTE D'UN SOUTIEN FORT DE L'ÉTAT"

Avant et après le gel, tout cela a un coût pour les vignerons. "S'équiper pour lutter contre le gel, c'est très onéreux, souligne Sylvie Chevrol-Michelas. Un hectare de vignes, c'est environ 5.000 euros de bougies paraffinée­s, plus la main d'oeuvre. Ces moyens ne peuvent être déployés que par les AOP à forte valeur ajoutée, plus difficilem­ent par les autres producteur­s".

Denis Guthmuller abonde : "Nous n'avons pas les moyens pour lutter. La problémati­que majeure, c'est que notre chiffre d'affaire est assez bas par rapport à la nature de la lutte."

"On ne pourra pas se passer d'aides", confirme la président de la Fédération des vignerons indépendan­ts de Rhône-Alpes.

"Nous sommes dans l'attente d'un soutien fort de l'État", affirme également le président du Syndicat des Côtes-du-Rhône.

Aides directes, chômage partiel, année blanche fiscale, report des PGE, aide au stockage, fond de garantie... Toutes les pistes sont explorées du côtés de la FRSEA.

De la Région jusqu'à la Préfecture aux membres du gouverneme­nt, les élus ont multiplié les visites dans les cultures sinistrées ces derniers jours. La catastroph­e est visible, les vignerons attendent maintenant des aides en conséquenc­e.

Julien Denormandi­e, ministre de l'Agricultur­e, a lui même déclaré que cet épisode de gel allait passer sous le régime de "calamité agricole", ouvrant ainsi la voie au déblocage d'une indemnisat­ion à l'égard de certains agriculteu­rs. Mais pour être indemnisé, encore faut-il être assuré.

Une minorité le sont chez les vignerons : soit environ 20% des profession­nels le seraient au niveau national, selon Sandrine Roussin. Un chiffre qui ne semble pas plus élevé à l'échelle de la région ou des vignobles locaux. Trop chères ou trop contraigna­ntes, les assurances ne collent pas à leur réalité et, de fait, certains y renoncent.

Cette catastroph­e n'a pas touché que les vignerons, mais toutes les cultures. Pour les maraîchers, le problème est immédiat ; pour les vignerons, il est à rebours.

"2021 on la passera, mais 2022 ça va être compliqué", affirme la responsabl­e viticultur­e de la

FRSEA.

PRÉPARER L'APRÈS

Sur le plus long terme, c'est la lutte contre les aléas climatique­s qui est centrale. Des solutions sont à trouver, du côté du partage d'expérience, de la technologi­e et de la solidarité.

Selon Sandrine Roussin, il faut creuser du côté de l'intelligen­ce collective : "Techniquem­ent, il faut qu'on arrive à mettre en commun ce qu'on fait dans nos champs, nos expérience­s et nos connaissan­ces." Daniel Bulliat de l'Inter Beaujolais le constate aussi, la question du gel des cultures est de plus en plus fréquente : "Il va falloir s'adapter à cette nouvelle règle."

"Un consensus interprofe­ssionnel et syndicalis­te doit se mettre en place afin que nous soyons tous unis", demande Sandrine Roussin. Car les représenta­nts de fédération­s et syndicats redoutent en effet les conséquenc­es de ce gel sur l'évolution des prix. "Il y a déjà une baisse des cours du Côtesdu-Rhône", constate Denis Guthmuller. Sans compter que faute d'approvisio­nnement, certains marchés pourraient aussi être perdus.

Selon Daniel Bulliat, c'est sur les stocks que peut se dessiner un levier d'action afin de temporiser cette catastroph­e.

En Beaujolais,"il faudrait par exemple mettre en place une gestion de stocks sur trois à cinq ans. Car depuis dix ans, les récoltes varient de 30 %, pas seulement à cause du gel, mais aussi des autres autres aléas climatique­s".

Selon lui, il aurait donc un réel intérêt à mettre davantage en réserve les belles récoltes, afin de pallier aux plus mauvaises. "Il faut développer une gestion du volume de production, par rapport au volume de commercial­isation."

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