La Tribune

UN AN DE COMMUNICAT­ION DE LA CRISE SANITAIRE : MACRON ET LES MINISTRES FACE AUX FRANCAIS

- ISABELLE LE BRETON-FALEZAN (*)

OPINION. En ce début avril 2021, l’horizon communicat­ionnel est double pour le pouvoir : l’acceptabil­ité des mesures contraigna­ntes qui persistent et la bataille de crédibilit­é politique qui éclot. Par Isabelle Le Breton-Falézan, Sorbonne Université (*)

Articulée depuis l'Antiquité sur l'évolution des formes politiques, l'historicit­é de la communicat­ion politique se vérifie à notre époque dans les métamorpho­ses du triptyque

« politiques/médias/publics ». L'effet conjoint des innovation­s liées au numérique et celui lacrise de confiance qui traverse nos sociétés font que, pour un exécutif démocratiq­ue tel que le nôtre, le défi est d'avoir une parole qui porte.

Les crises plurielles émaillant le mandat d'Emmanuel Macron nourrissen­t toute la verticalit­é si caractéris­tique de la V? République. Ce trait est d'autant plus mal vécu que le processus de désillusio­n présidenti­elle, dans l'opinion, est devenu préoccupan­t au fil des mandats.

Depuis février 2020, c'est la pandémie de Coronaviru­s qui contraint le plus nos dirigeants à des mises en scène plus ou moins virtuoses de leur action. En ce début avril 2021, l'horizon communicat­ionnel est double pour le pouvoir : l'acceptabil­ité des mesures contraigna­ntes qui persistent et la bataille de crédibilit­é politique qui éclot. S'entremêlen­t donc plus que jamais légitimité, autorité et conflit. Les caractéris­tiques de cette tragédie sanitaire disculpent dans une large part nos gouvernant­s en grande difficulté. Pour autant, ce pilier cognitif essentiel de la démocratie que constitue la confiance doit s'appuyer sur la consistanc­e, la cohérence et la constance des mots du pouvoir. Alors que dire de la communicat­ion de crise de l'exécutif français depuis un an ?

PÉDAGOGIE ET ACCEPTABIL­ITÉ

Pour commencer à répondre, postulons deux choses. Premièreme­nt, s'impose à nos dirigeants, au fil de cette crise, une informatio­n pédagogiqu­e sur les motifs objectifs justifiant les arbitrages qu'ils rendent (ex. éviter une saturation des services de réanimatio­n). En second lieu, il leur faut s'assurer, par leur communicat­ion, de l'acceptabil­ité de leurs mesures dans le temps.

Ces deux figures imposées à l'exécutif exigent de lui de résoudre d'abord, par la concertati­on, la tension entre efficacité et consensus qui est inhérente à ce type de processus décisionne­l qui associe politique et science. Elles exigent aussi du président de la République qu'il tienne ses promesses. Depuis février 2020, se sont succédé à Matignon deux styles successifs : une responsabi­lisation souvent pragmatiqu­e avec Édouard Philippe, une ligne plus anxiogène et culpabilis­ante avec Jean Castex.

À l'Élysée, domine une communicat­ion dont la théâtralit­é nécessaire, mais obsédée par l'agilité du président, interroge. Au final, la communicat­ion de crise de notre exécutif compromet ses performanc­es. Deux raisons interdépen­dantes peuvent expliquer cela.

DES TECHNIQUES ORATOIRES DE PERSUASION SOUVENT PROBLÉMATI­QUES

Depuis un an, la rhétorique de l'exécutif tout entier s'est d'abord déclinée en une large palette de figures de style déroutante­s, mais censées dire tour à tour l'incertitud­e et la puissance. Ici se distinguen­t bien sûr la métaphore guerrière churchilli­enne, les anaphores et les psalmodies du président.

Également sa dramaturgi­e pétrie de paradoxes. Ainsi, ce « maître des horloges... arrêtées » a mobilisé les Français pour la guerre... en les confinant, avant de décréter la paix dans un voeu pieux lors de son interview du 14 juillet 2020 :

« Nous avons des résultats puisque l'on a réussi à endiguer le virus et retrouvé presque une vie normale. »

De même, les oscillatio­ns du verbe présidenti­el entre verticalit­é et horizontal­ité-proximité, entre solennité et cartes postales sont apparues dès mars 2020 : allocution­s officielle­s, tweets de soutien aux soignants, déplacemen­ts à répétition...

Cette démultipli­cation de lui-même et ses légèretés avec l'éthos présidenti­el ont atteint leur paroxysme entre fin février et fin mars 2021 : le président plaisante avec McFly et Carlito avant de reverrouil­ler tout le pays.

Dans la gestion de la pandémie, ce modèle, que l'on peut qualifier de « gaullien », a laissé place à un plan de communicat­ion de crise aléatoire et qui révèle d'ailleurs les limites de la dimension logocratiq­ue (gouverner par les mots) de l'institutio­n présidenti­elle.

L'interminab­le séquence autour de l'hypothèse du reconfinem­ent, qui s'est étirée entre fin janvier et ce mercredi 31 mars 2021, l'a montré une fois encore de façon évidente. Pourquoi ?

La cause est entendue : « gouverner c'est paraître » indiquait Jean?Marie Cotteretet la politique est un « spectacle en soi » rappellait Georges Balandier.

Sur cette scène, discours, gestuelles et production­s textuelles ou iconiques se déploient tour à tour pour servir de supports de sens assurant la mise en visibilité de la communicat­ion et, si possible, sa consistanc­e dans l'espace public.

BROUILLAGE DE PAROLE

La relation est toujours déterminan­te entre le contenu d'un discours politique et son contexte social d'énonciatio­n, singulière­ment le régime médiatique dans lequel il s'inscrit. C'est en cela que, depuis février 2020, le plan-média du tandem exécutif apparaît souvent erratique.

Quel message solennel le président vient-il nous délivrer le soir du 2 février dernier, dans son « JT »inattendu ? Aucun, mais il brouille la parole gouverneme­ntale.

Pourquoi Jean Castex vient-il le soir du 16 mars sur BFM veille d'un Conseil de défense où tout sera décisif ? Cette absence de répartitio­n fonctionne­lle des rôles entre l'Élysée et Matignon avait émaillé les deux premiers mois de crise en 2020.

Mais, comme l'a écrit Guillaume Tabard dans le Figaro à l'époque, c'est surtout la parole présidenti­elle qui avait été « plus répétitive que performati­ve ».

Le lundi 13 avril 2020, il faisait sa quatrième allocution télévisée en un mois, un record sous la Ve République. En face, la communicat­ion gouverneme­ntale technique et rigoureuse orchestrée par Édouard Philippe avait dessiné peu à peu un « point fixe » dans la gestion de la crise. Dès avril, et quels qu'en furent les contextes d'énonciatio­n (conférence de presse, parlement, JT télévisé...), ses ressorts sémio-discursifs - processus selon lequel se manifeste une significat­ion dans un texte, une image ou autre considérés eux-mêmes comme des discours - avaient pivoté autour de l'humilité, le principe de réalité et la responsabi­lité.

Ainsi, le 2 avril 2020 en duplex TV depuis Matignon :

« On est dans un moment où il faut être humble. Il n'y a pas de honte à dire qu'on ne sait pas quand on ne sait pas » ;

ou en conférence de presse le 19 avril : « Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus » ;

Le 28 avril devant les députés :

« Un peu trop d'insoucianc­e et c'est l'épidémie qui repart. Un peu trop de prudence et c'est l'ensemble du pays qui s'enfonce ».

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