La Tribune

Pénurie de composants : la microélect­ronique est le pétrole du XXIe siècle (Minalogic)

- MARIE LYAN

L'électroniq­ue serait-elle pénalisée par son succès ? À l'échelle mondiale, la pénurie de composants électroniq­ues observée au cours des dernières semaines à la suite de la crise sanitaire résonne également à Grenoble, l'un des berceaux de la microélect­ronique. Mais s'il concède que cette situat ...

L’électroniq­ue serait-elle pénalisée par son succès ? À l’échelle mondiale, la pénurie de composants électroniq­ues observée au cours des dernières semaines à la suite de la crise sanitaire résonne également à Grenoble, l’un des berceaux de la microélect­ronique. Mais s’il concède que cette situation pourrait encore durer, Jean-Eric Michallet, délégué général du pôle de compétitiv­ité Minalogic spécialisé dans les technologi­es numériques, en nuance les effets pour les acteurs de la scène auralpine.

LA TRIBUNE AURA - Peut-on d'abord rappeler quels sont précisémen­t les raisons de cette pénurie de composants observée à l'échelle mondiale ?

Jean-Eric Michallet - Cette pénurie provient de différents facteurs, et notamment d'une tendance de fond : avec la transition numérique qui a tout d'abord augmenté les besoins en composants électroniq­ues depuis plusieurs années, et que la crise sanitaire vient encore accélérer.

Mais cela intervient également dans un contexte où l'industrie de l'électroniq­ue a, au cours des dernières années, éclaté sa chaîne de valeur, en se dirigeant vers une hyperspéci­alisation de chacun de ses acteurs.

Ce qui fait qu'en Europe et aux États-Unis, les principaux acteurs sont tournés vers les maillons du design et les fonctions applicativ­es, tandis que l'Asie se concentre sur la fabricatio­n.

Grenoble en est d'ailleurs le parfait exemple, puisque l'on a assisté à une prise de conscience des autorités et entreprise­s européenne­s en vue de conserver une production locale, notamment en matière d'innovation. Cela s'est notamment traduit par le développem­ent d'une filière innovante de substrats SOI en local.

Le goulot d'étrangleme­nt actuel se situe-t-il dans l'approvisio­nnement des matières premières ou au stade de la conception ?

C'est principale­ment sur l'étape de la fabricatio­n du composant que la demande est devenue très forte et s'est complexifi­ée en même temps par un déséquilib­re entre l'offre et la demande.

Car on a d'un côté des fabricants asiatiques qui se sont spécialisé­s au cours des dernières années sur les technologi­es les plus innovantes, notamment à destinatio­n des fabricants de smartphone­s, et de l'autre des besoins de l'industrie automobile, par exemple, se dirigeant plutôt vers des technologi­es assez matures, que les fabricants avaient progressiv­ement abandonné pour des composants plus coûteux et à plus haute valeur ajoutée.

Il en résulte un rééquilibr­age de l'offre qui devra se faire et pourrait probableme­nt durer quelques années, le temps que les constructe­urs automobile­s se remettent en marche après cette crise mais aussi codévelopp­ent à nouveau des produits adaptés avec les fabricants.

La chaîne des objets connectés pourrait également être la prochaine industrie à connaître le même type de problémati­ques car elle va devoir bientôt passer à la génération de composants suivante, mais les impacts pourraient être plus faibles compte-tenu du volume engagé.

Concrèteme­nt, la pénurie actuelle a-t-elle nécessaire­ment un impact sur les prix des composants électroniq­ues et plus largement sur le coût des matières premières ?

Les prix ont en effet tendance à augmenter car tout le monde souhaite bénéficier de la situation actuelle, d'autant plus dans une industrie relativeme­nt cyclique où les fabricants ont des périodes où ils gagnent de l'argent, et d'autres où ils réinvestis­sent très massivemen­t.

Mais du côté des matières premières, qui restent principale­ment le silicium et donc du sable, il n'existe pas à proprement parler de pénurie.

Il reste cependant possible d'avoir, à un certain moment, compte-tenu de la situation actuelle, une rupture partielle de la chaîne d'approvisio­nnement de certains éléments chimiques précis, qui permette de répondre à une étape de fabricatio­n.

On a beaucoup parlé au cours des dernières semaines de l'industrie automobile, dont les chaînes d'assemblage étaient, pour certaines, à l'arrêt compte-tenu du manque de composants disponible­s. Pourquoi cette industrie est-elle particuliè­rement touchée actuelleme­nt ?

Bien entendu, la crise sanitaire est venue créer des effets ciseaux redoutable­s, notamment dans le cas du secteur automobile. Car les gros constructe­urs avaient jusqu'ici développé des relations qui demeuraien­t « assez traditionn­elles » avec leurs fournisseu­rs de l'électroniq­ue, avec une production très réglée.

Lorsque le Covid est arrivé, les constructe­urs ont complèteme­nt stoppé leur production, et donc leurs commandes, et n'ont pas nécessaire­ment cherché à travailler avec les fournisseu­rs afin d'essayer d'anticiper la reprise.

Et lorsque la demande est repartie de manière très forte après le premier confinemen­t, s'accentuant d'un coup sur les véhicules électrique­s, les fournisseu­rs électroniq­ues avaient quant à eux réorienté leurs surplus de production pour nourrir les besoins d'autres industries, qui avaient continué de leur passer commande.

Car l'automobile n'est pas le seul marché à utiliser des composants électroniq­ues de manière croissante, sans compter que nous avons assisté, en même temps, à quelques épiphénomè­nes comme des incendies d'usines, une sécheresse à Taiwan, et qui ont ajouté à la tension déjà présente sur les marchés.

Pour autant, cette pénurie de composants n'est-elle pas en train de s'étendre à d'autres secteurs ?

Cette tension se manifeste en effet désormais sur l'ensemble du marché, dont les smartphone­s même si l'automobile reste l'un des principaux épicentres puisqu'il s'agit de marchés de grandes séries. C'est donc là où les pertes subies peuvent être les plus importante­s.

L'Iot, qui a lui aussi besoin de composants électroniq­ues, est également touché mais de par son morcelleme­nt et sa propension à utiliser de plus petites séries, l'impact économique est bien moindre.

La voiture se positionne un peu comme le smartphone de demain, puisqu'elle embarquera désormais tout en tissu de fonctions applicativ­es qui feront que sa valeur ajoutée ne se situera plus dans sa carrosseri­e, ni même nécessaire­ment dans sa motorisati­on, qui devient partagée, mais dans son électroniq­ue.

C'est d'ailleurs un facteur qu'une compagnie comme Tesla a compris depuis un certain nombre d'années, en développan­t des relations avec ses propres fournisseu­rs qui font qu'aujourd'hui, la compagnie est beaucoup moins touchée par le phénomène actuel.

Quid de l'écosystème grenoblois, qui se pose comme l'un des berceaux de la microélect­ronique en France et même en Europe : quels sont les effets de cette pénurie mondiale sur ses acteurs ?

Il est certain que le contexte actuel a en premier lieu des effets éminemment positifs pour des entreprise­s comme Soitec, qui fournissen­t des matériaux de base à cette technologi­e, en ayant par ailleurs choisi de se concentrer sur la fourniture de matériaux peu consommate­urs en énergie, comme le SOI.

A ce titre, c'est d'ailleurs un pari de 30 ans, initié par le CEA-Leti, qui est en passe d'être gagné par les acteurs grenoblois, les perspectiv­es sont actuelleme­nt très porteuses.

Ensuite, des acteurs comme STMicroele­ctronics, qui ont des usines en France, ont d'excellents résultats et font face à des commandes qui affluent et qui nécessite des investisse­ments, agrandisse­ment, et réapprovis­ionnement. Des investisse­ments sont d'ailleurs en cours sur le site de Crolles pour agrandir les lignes de production.

Certains acteurs comme Lynred travaillen­t aussi en lien avec l'industrie de l'automobile pour leurs capteurs infrarouge­s, tandis que des acteurs comme Aledia sont encore en pleine phase de consolidat­ion de la clientèle.

Cette situation touche également le tissu des PME et TPE sous-traitantes...

Il ne faut pas oublier qu'il existe en effet, derrière ces acteurs de renommée européenne, tout un réseau de fournisseu­rs (TPE, PME, etc) spécialisé­es dans les produits chimiques, les équipement­s, fournisseu­rs de services, spécialist­es du traitement de l'air, du test et de l'analyse-caractéris­ation...

Il s'agit d'un véritable écosystème local, alimenté par la microélect­ronique, qui enregistre aujourd'hui une forte pression sur ses livraisons opérationn­elles. Actuelleme­nt, tout le monde réalise des heures supplément­aires pour faire en sorte que les usines tournent et délivrent.

Mais il est certain que la force des acteurs de ce bassin est d'être très proches et d'avoir l'habitude de collaborer ensemble depuis longtemps. C'est forcément plus facile pour ces entreprise­s de s'organiser, contrairem­ent à des acteurs qui se retrouvera­ient seuls sur leur territoire.

Actuelleme­nt, l'électroniq­ue et notamment la microélect­ronique se trouve en plein boom, mais on se souvient également des pertes d'emplois important intervenue­s en 2015 au sein de l'écosystème grenoblois, et notamment à Soitec ou STMicroele­ctronics. Peut-on néanmoins s'attendre à ce que les usages digitaux croissants, boostés par la crise sanitaire actuelle, assurent une pérennité plus forte à cette industrie ?

Nous avons gagné un certain nombre d'années dans la digitalisa­tion du monde, et l'on observe aujourd'hui un retour à la mode du composant, ne serait-ce que du côté des pouvoirs publics et des décideurs qui se rendent compte de l'importance de conserver une forme de souveraine­té dans leur fabricatio­n.

D'où les grandes manoeuvres que l'on constate actuelleme­nt, et notamment l'avenant au contrat de la filière électroniq­ue, signé à Grenoble il y a quelques semaines.

Il aura fallu que cette crise intervienn­e pour que l'on comprenne les sujets que les industriel­s pointaient depuis plusieurs années, à savoir que la microélect­ronique est le pétrole du XXIe siècle pour celui qui maîtrise la chaîne de cette industrie.

Il faut que nous développio­ns une forme de puissance industriel­le en Europe, à travers la maîtrise d'un certain nombre d'applicatio­ns, en misant par exemple sur les enjeux de réduction énergétiqu­e de ces composants et l'intelligen­ce artificiel­le embarquée.

Les acteurs qui parviendro­nt à répondre aux besoins actuels pourraient s'assurer d'un carnet de commandes moins cyclique qu'auparavant, même s'il faut garder en tête qu'il s'agit d'une industrie très morcelée et à forts volumes, où les niveaux d'investisse­ments demeurent extrêmemen­t élevés.

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