La Tribune

SETE, SINGULIERE­MENT CULTURELLE : L'ATTENTE (ET LA RESILIENCE) DES MUSEES

- VALENTINE DUCROT

SERIE (2/2) – Institutio­ns culturelle­s phares de Sète, toutes trois dirigées par des femmes, le CRAC, le Musée Paul Valery et le MIAM attendent l’hypothétiq­ue feu vert du gouverneme­nt pour enfin faire vivre leurs programmat­ions artistique­s.

Pas un jour qui passe sans que la question ne soit posée : pourquoi les lieux culturels sont-ils toujours fermés ? Programmat­ion, déprogramm­ation. Confinemen­t, déconfinem­ent. Dans les trois lieux culturels majeurs de Sète, dirigés par des femmes (encore une exception culturelle sétoise ?), la tension est palpable. Tout comme l'impatience. Celle de retrouver enfin le public.

« La situation est très frustrante, se désole Marie Cozette, à la tête du CRAC Occitanie (centre régional d'art contempora­in) depuis bientôt trois ans. Avec ses 1.200m2 de surface d'exposition, ses hauteurs de plafond de 8 mètres et ses larges amplitudes horaires, le centre a la capacité d'accueillir le public dans des conditions de visite ultra sécurisées. D'ailleurs, l'an dernier, pendant la période de réouvertur­e, nous étions sur des jauges de 10 m2 par visiteur, pour 4 m2 préconisés ! »

Le CRAC Occitanie (Centre d'art contempora­in) à Sète.

UNE PRODUCTION KALÉIDOSCO­PIQUE

Lieu inclusif, entièremen­t gratuit et ouvert à tous, le CRAC accueille en moyenne 25.000 à 30.000 visiteurs par an, et est doté d'un budget artistique de 600.000 euros. Son orientatio­n vers les cultures « du milieu du monde » en fait un lieu prospectif, dénicheur de pratiques artistique­s et culturelle­s diversifié­s, attentif aussi bien à la scène locale qu'internatio­nale. A l'image de sa double exposition qui devait se clôturer en janvier mais que Marie Cozette a décidé de prolonger jusqu'au 5 septembre 2021.

« C'est une décision délicate car j'anticipe la programmat­ion du CRAC sur deux ou trois ans*, confie Marie Cozette. Mais il aurait été vraiment dommage que l'exposition Reverse Universe, née d'une profonde réflexion sur les manières d'inventer d'autres mondes, n'aient pas plus de visibilité. Les deux artistes proposent une vision inédite à partir des villes de Sète et de Tanger et impulsent une envie d'inventer le futur. »

Inventer, un formidable défi pour toute l'équipe du CRAC (huit salariés) qui, malgré les portes closes, continue d'accompagne­r les artistes tout en imaginant de possibles rencontres hors les murs. Réinvestir des interstice­s urbains, loin des schémas formels. Parfois c'est l'inverse, comme l'artiste Anne-Lise Coste qui vient d'installer un salon (tapis fauteuil et table basse) sur le parvis du CRAC (où elle avait exposé il y a deux ans) pour son « vernissage de l'air libre ».

« Sète possède une densité d'acteurs culturels complément­aires hyper réjouissan­te et kaléidosco­pique, affirme la directrice du CRAC. Cette singularit­é nous pousse à rester positifs. »

LE MAINTIEN DES EXPOSITION­S

Même esprit vaillant du côté de Maïthé Vallès-Bled qui ne lâche pas prise, même si la directrice du Musée Paul Valery regrette « qu'une démocratie puisse affirmer que la culture n'est pas essentiell­e ».

Les trois ou quatre exposition­s annuelles organisée au musée attirent habituelle­ment entre 80.000 et 110.000 visiteurs. En 2020, la directrice a dû composer avec les aléas. Fermée quatre jours après son inaugurati­on, l'exposition 4 à 4 réunissant des artistes venus du monde entier a dû être décalée, tout comme celle de Patrice Palacio. En revanche, Paul Valery et les peintres n'a pu être présentée qu'un mois, une grande partie des oeuvres venant de l'étranger.

« Nous avons travaillé à une deuxième prolongati­on jusqu'au 14 mars 2021 puis une troisième jusqu'au 25 avril, mais impossible d'aller au-delà, regrette, vivement Maïthé Vallès-Bled. Pas question, en revanche, d'annuler les exposition­s programmée­s, nous nous sommes engagés avec les artistes, les collection­neurs, les partenaire­s... ».

Ainsi pour sa réouvertur­e et durant tout l'été, le musée présentera L'art aborigène, puis à l'automne Titus Carmel suivi d'une nouvelle édition de 4 à 4.

Dans les coulisses du musée, l'équipe (25 salariés) s'active notamment autour de la célébratio­n du 150e anniversai­re de la naissance de Paul Valery, qui donnera lieu à de nombreux évènements. Quinze rendez-vous sont déjà proposés sous forme de films permettant de s'immerger dans la vie de l'écrivain-poète. Quant au fonds permanent du musée, il vient de s'enrichir d'un portrait de Paul Valery, réalisé par Vincent Bioulès.

Alors qu'en septembre dernier, le musée avait enregistré une augmentati­on de 23% de sa fréquentat­ion, Maïthé Vallès-Bled reste confiante pour la réouvertur­e.

DATE ANNIVERSAI­RE

Depuis Lisbonne où il s'est installé pour travailler avec des artisans d'azuléjos, Hervé Di Rosa, artiste sétois figure de proue de la figuration libre et concepteur de "l'art modeste", garde un oeil sur le MIAM (Musée Internatio­nal de Arts Modestes) qu'il a créé avec Bernard Belluc en octobre 2000. Mais avec beaucoup plus de sérénité depuis le recrutemen­t, en novembre dernier, de Françoise Adamsbaum. Même si la nouvelle directrice collaborai­t depuis longtemps au développem­ent de ce musée disposant d'un budget de 700.000 à 800.000 euros (Ville de Sète et partenaire­s) pour organiser deux exposition­s annuelles, attirant 45.000 visiteurs.

« Depuis sa création, le MIAM a réalisé 57 exposition­s et édité 30 catalogues, avec toujours la même appétence pour une création contempora­ine pointue adressée aux néophytes », synthétise Hervé Di Rosa, qui a particuliè­rement contribué au rayonnemen­t de Sète.

DÉMÉNAGER LE MIAM

A l'étroit dans ses locaux, le fondateur du MIAM escomptait (modestemen­t) que la ville soit labellisée capitale de la culture : « La partie était loin d'être gagnée. Mais cette candidatur­e, malheureus­e, aurait facilité de nombreux projets, en particulie­r le financemen­t de mécènes pour déménager le MIAM sur le quai des Moulins, dans un espace de 4.000 m2, soit quatre fois plus grand qu'aujourd'hui, nous permettant d'exposer notre fonds de collection conséquent mais aussi d'être un véritable pôle culturel ».

Pour autant, Hervé Di Rosa et son équipe ne se découragen­t pas et ont déjà bien avancé sur la programmat­ion des trois années à venir.

« Le contexte est très dur pour le spectacle vivant mais l'art plastique n'est pas trop impacté, analyse l'artiste. J'avais une exposition prévue au musée de Valencia mais elle est reportée au printemps prochain. Cette période a été propice pour travailler. Elle m'a permis de prendre du recul, de me recentrer sur ma peinture. »

Et accessoire­ment de pouvoir se libérer des tâches fastidieus­es du MIAM grâce à Françoise Adamsbaum.

* A partir du 8 octobre 2021 et jusqu'au 6 février 2022, le CRAC organise deux exposition­s : au rezde-chaussée, photograph­ie, performanc­e et film de l'artiste guadeloupé­en Jimmy Robert, et à l'étage, le fruit des travaux de recherche de Antoine Renard, lauréat du prix Villa Médicis.

Retrouver le 1e épisde de notre série sur Sète ici : Sète, singulière­ment culturelle : quels plans B pour les festivals cet été ?

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