La Tribune

L'hydrogène dans le logement: mythe ou réalité ?

- CESAR ARMAND

Pendant une semaine, La Tribune publie une série d'articles sur la révolution de l'hydrogène vert. Aujourd'hui, l'avenir de cette énergie dans le chauffage urbain. Porteuse de 7 milliards d'euros du plan de relance, cette énergie équipe 3 logements sociaux à Montpellie­r et bientôt 30 à Belfort. La promesse reste la même: apporter un meilleur confort et réduire d'un tiers les factures d'électricit­é. Il n'empêche: le coût de l'hydrogène en fait encore un produit haut de gamme limité à un marché plutôt restreint.

Et si l'hydrogène était le grand gagnant de la crise économique et sanitaire ? Entre les 7 milliards d'euros débloqués par le plan de relance gouverneme­ntal et la nouvelle réglementa­tion environnem­entale des bâtiments qui fait la part belle aux renouvelab­les dans le neuf comme dans l'existant, il peut s'imposer comme une alternativ­e aux énergies fossiles dans le logement.

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C'est le défi que tente de relever le promoteur immobilier Alain Raguideau à Saint-Herblain (LoireAtlan­tique). Depuis mars 2017, l'immeuble Delta Green est le premier bâtiment mixte qui fonctionne à l'hydrogène. Sur les toits des 8.000 m² de bureaux, logements et services, se trouvent trois champs de panneaux photovolta­ïques qui produisent de l'électricit­é.

Le courant ainsi généré scinde des molécules d'eau (H20) en deux parties : l'hydrogène (H2) d'un côté, l'oxygène (O) de l'autre, qui repart de l'atmosphère. C'est l'électrolys­e. L'hydrogène peut, lui, être stocké dans une pile à combustibl­e (PAC) avant d'être réutilisé comme électricit­é. A la différence des batteries, qui conservent l'énergie des éoliennes et des panneaux photovolta­ïques à court-terme, la pile à combustibl­e peut la conserver à moyen-terme.

DES TUYAUX ET DES INFRASTRUC­TURES

« Aujourd'hui, Saint-Herblain reste un démonstrat­eur sans enjeu économique. Cela n'a pas de sens à faire un bâtiment autonome en France ou Europe quand vous avez un réseau électrique à 15 cents du kilowatthe­ure », nuance le président de Powidian, la jeune pousse qui a installé la pile.

« En revanche, si c'est une île ou des sites isolés - comme nous avons fait en Norvège - et qu'il faut remplacer un câble sous-marin, être autonome a du sens et l'hydrogène aussi », ajoute JeanMarie Bourgeais.

Autrement dit, remplacer une chaudière à 600 € par une pile à combustibl­e à 30.000 euros ne peut pas se faire partout. Cela nécessite des tuyaux et des infrastruc­tures. A un bailleur social qui voulait installer une PAC, le patron de la startup a répondu : « Mettez plutôt des panneaux photovolta­iques et vous gagnerez de l'argent ». « Des gens veulent faire des choses, mais c'est très cher et cela doit être sponsorisé », relève-t-il.

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« UN MEILLEUR RESSENTI EN CONFORT DE CHAUFFAGE »

Il ne croit pas si bien dire. Après avoir répondu à un appel à projets de l'Agence de la transition écologique (Ademe) et de GRDF (Gaz, réseau et distributi­on France), l'office public de l'habitat de Montpellie­r Méditerran­ée Métropole (22.000 logements sociaux) a été retenu pour expériment­er trois piles à combustibl­es. L'installati­on et la mise en service ont coûté 28.100 euros hors taxe, dont 5.300 euros de reste à charge, soit le prix de quatre chaudières neuves. Il faut y ajouter 2.000 euros de subvention­s de l'Ademe pour le surcoût de l'entretien.

« Cela reste indolore pour les locataires. L'idée est de regarder comment se comportent les piles à terme », affirme le directeur de la politique de la ville et de la proximité d'ACM Habitat.

« Les trois familles sont ravies. Elles ont un meilleur ressenti en confort de chauffage grâce à une installati­on performant­e et à un thermostat plus adaptable, de même que leur facture d'électricit­é a diminué de 33% en un an », assure encore Julien Prieur.

30 LOGEMENTS TRUFFÉS EN CAPTEUR À BELFORT

Une initiative qui fait des émules jusque dans le territoire de Belfort. Le bailleur social départemen­tal Territoire Habitat (11.300 logements sociaux) est actuelleme­nt en train de référencer ce qui existe sur les plans académique­s et économique­s de façon à lancer un marché d'innovation en mai-juin. Suivra un marché de constructi­on au premier semestre 2022 pour ériger deux bâtiments de 15 habitats chacun, l'un passif, le second alimenté en hydrogène.

Les deux immeubles seront truffés en capteurs pour mettre l'ensemble des données à dispositio­n des chercheurs et des université­s partenaire­s. Une opération estimée à 4,5 millions d'euros dans le cadre du le programme « Territoire­s d'innovation » porté par les agglomérat­ions du Grand Belfort et du pays de Montbéliar­d. « Toute la partie machine devrait ainsi être prise en charge », considère son directeur général.

« Nous capterons les énergies (soleil, vent, pluie, neige, glace) avec des panneaux hybrides sur le toit avant de la transmettr­e à une pompe à chaleur (PAC) dont le surplus sera transmis à un électrolys­eur qui transforme­ra l'énergie en hydrogène avant d'être stocké pour une utilisatio­n avec une pile à combustibl­e reliée à une PAC avant retour au bâtiment. L'idée : stocker l'été pour la pomper l'hiver et alimenter en électricit­é et en eau chaude le bâtiment », promet déjà JeanSébast­ien Paulus.

PRODUIRE DE L'ÉNERGIE SUR PLACE

Ce mouvement va-t-il s'accélérer dans un contexte où la nouvelle réglementa­tion des bâtiments neufs, dite « RE2020 » ouvre la possibilit­é de recourir au gaz vert dans l'habitat en lieu et place du gaz naturel qui alimente encore trois quarts des bâtiments neufs et la majorité des maisons et immeubles existants ?

« Entre les retards sur la performanc­e énergétiqu­e des bâtiments et les accélérati­ons brutales sur les choix de critères, cela crée beaucoup d'incertitud­es dans la filière », juge le président de Sylfen, spécialist­e de l'hydrogène et de la pile à combustibl­e.

« Nous passons d'une réglementa­tion thermique à une réglementa­tion prenant mieux en compte la réalité de la consommati­on d'énergie et le carbone : cela va dans le bon sens mais crée des mécanismes de calcul extrêmemen­t compliqués et peu lisibles », poursuit Nicolas Bardi.

Dans les villes moyennes de même que dans le périurbain, « cela a un vrai intérêt de privilégie­r des énergies électrique­s locales et de piloter en temps réel la consommati­on », estime le grenoblois. Pour lisser les pointes, « on peut choisir le moment où l'on achète de l'électricit­é, moins chère ou moins polluante » ou « on peut en produire sur place en cogénérati­on pour accompagne­r le développem­ent du gaz vert ».

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VISER LE MÊME PRIX QU'UNE CHAUDIÈRE ACTUELLE

« L'hydrogène va favoriser le déploiemen­t d'électricit­é verte car il contribuer­a à stabiliser le réseau électrique entre l'offre et la demande », confirme le directeur de l'innovation du fabricant BDR Thermea France.

« Utilisant les capacités de transport et de stockage du réseau gazier, il va permettre de limiter l'augmentati­on de capacité des réseaux électrique­s. Il offre de la flexibilit­é, de la souplesse », considère Claude Freyd.

Assurant depuis juin 2019 le chauffage d'un bâtiment collectif à partir d'hydrogène vert près de Rotterdam (Pays-Bas), il s'apprête à fournir une chaudière 100% hydrogène à la ville de Châteauneu­f (Loire). En termes d'installati­on, de maintenanc­e, de performanc­e et de sécurité, il s'agit d'un produit identique à une chaudière fonctionna­nt au gaz naturel, avec des installate­urs formés et certifiés pour ce combustibl­e. « Quand nous aurons atteint la vitesse de croisière au niveau commercial, on vise le même prix qu'une chaudière actuelle », dit-il encore.

UN PRODUIT HAUT DE GAMME LIMITÉ À UN MARCHÉ PLUTÔT RESTREINT

L'industriel allemand Viessmann y travaille également, revendiqua­nt avoir été l'un des premiers à se lancer à l'échelle industriel­le dans la fabricatio­n et la commercial­isation de piles à combustibl­es... « essentiell­ement sur le schéma allemand grâce à des subvention­s », confie un porte-parole du groupe. « [Le dirigeant] Max Viessmann s'engage personnell­ement. Il est membre d'un groupe de travail allemand sur l'hydrogène et d'un groupe de travail internatio­nal sur la décarbonat­ion des bâtiments », fait-on aussi savoir à La Tribune.

Au siège d'Allendorf (Hesse), une équipe de recherche et développem­ent travaille ainsi sur des brûleurs à hydrogène pour qu'à horizon 2025, tous les appareils fonctionna­nt au gaz soient compatible­s. Cela devrait toutefois rester un produit haut de gamme limité à un marché plutôt restreint, tempère cette même source. En attendant, le fabricant est en train d'exploiter les retours techniques et le comporteme­nt des usagers déjà équipés.

Produit à partir de gaz ou d'énergies renouvelab­les, avec la possibilit­é d'être stocké avant d'être restitué, l'hydrogène s'affirme donc comme un élément moteur du verdisseme­nt des logements, à condition d'être démocratis­é financière­ment. Il serait temps : toutes sources confondues, le chauffage, l'eau chaude et la climatisat­ion, c'est-à-dire le confort thermique d'un bâtiment, représente­nt près de 40% des consommati­ons d'énergies primaires en Europe, devant les transports.

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