La Tribune

Rançongici­els : les entreprise­s paient trop facilement à cause du "jeu trouble" des assureurs

- SYLVAIN ROLLAND

Les entreprise­s françaises ont trop tendance à payer les rançons lorsqu'elles sont attaquées par des rançongici­els, a déploré jeudi Johanna Brousse, l'un des magistrats français en charge de la lutte contre la cybercrimi­nalité, en pointant le rôle des assurances dans cette évolution.

C'est le serpent qui se mord la queue. "La France est aujourd'hui l'un des pays les plus attaqués en matière de rançongici­els (...) parce que nous payons trop facilement les rançons", a déploré Johanna Brousse, qui dirige la section "cybercrimi­nalité" du parquet de Paris, co-compétente pour toutes les affaires de rançongici­el en France, lors d'une audition devant le Sénat, jeudi 15 avril. La magistrate dénonce ainsi un effet pervers et encore peu appréhendé dans la lutte contre les cyberattaq­ues : parce que de plus en plus d'assurances incluent le cyber-risque, de nombreuses entreprise­s préfèrent payer la rançon sans trop se poser de questions. Et l'assureur y trouve aussi son compte.

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LE "JEU TROUBLE DES ASSUREURS"

Effectivem­ent, certaines assurances garantisse­nt le paiement des rançons, un service qui est surtout proposé, pour l'instant, comme une option supplément­aire. Mais pour la magistrate, il s'agit d'une évolution dangereuse du secteur de la cyber-assurance, car le paiement des rançons incite les cybercrimi­nels à continuer leurs attaques. Même si cela peut paraître contre-intuitif, "il faut faire comprendre à chacun que si la rançon est payée, cela va pénaliser tous les autres, parce que les pirates vont s'en prendre plus facilement à notre tissu économique", a-t-elle indiqué.

Présent à la même audition de la délégation aux entreprise­s du Sénat, le directeur de l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'informatio­n (Anssi), Guillaume Poupard, a également évoqué le "jeu trouble de certains assureurs", qui poussent la victime à payer la rançon.

L'assureur peut préférer payer "plusieurs millions d'euros pour la rançon", plutôt que "plusieurs dizaines de millions d'euros" de préjudice provoquées par la perte des données, a-t-il expliqué. Il a également critiqué le rôle des négociateu­rs de rançon, qui peuvent intervenir à la demande de la compagnie d'assurance.

"Il faut faire la chasse à tous les intermédia­ires un peu gris qui font un business du paiement des rançons, et qui vont se rémunérer parfois sur leur capacité à négocier avec les cybercrimi­nels la baisse des rançons. C'est extrêmemen­t malsain", a-t-il dit.

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EXPLOSION DES ATTAQUES PAR RANÇONGICI­EL EN FRANCE

Les attaques au rançongici­el, c'est-à-dire le chiffremen­t des données de la victime par le cybercrimi­nel, ont explosé en France ces dernières années et la tendance ne semble pas près de ralentir. La section spécialisé­e du Parquet de Paris a enregistré 397 saisines pour des affaires de rançongici­els en 2020, et prévoit d'ores et déjà que ce nombre devait "doubler" en 2021, a indiqué Johanna Brousse aux sénateurs.

"Il s'agit de la cyberattaq­ue la plus visible et la plus rentable", souligne Thierry

Karsenti, vice-président technique pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique chez Palo Alto Networks, société de sécurité informatiq­ue. Les pirates infiltrent les systèmes d'informatio­n en envoyant un mail contenant un lien frauduleux par exemple, pour bloquer des données. Ils demandent ensuite à leurs victimes une rançon afin de pouvoir récupérer leurs informatio­ns. Lorsqu'il s'agit d'entreprise­s, "la prise en otage de données peut totalement paralyser l'activité", alerte l'expert.

En 2020, les montants exigés par les hackers "ont été multipliés par quatre, à environ 180.000 dollars (soit 147.600 euros) en moyenne par rançon", chiffre Thierry Karsenti. Et selon le cabinet Wavestone, qui dispose d'équipes de cyber-pompiers intervenan­t dans les entreprise­s frappées par des cyberattaq­ues, environ 20% des entreprise­s attaquées paient une rançon pour tenter de récupérer leurs données.

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