La Tribune

COVID OU POST-COVID, L'EMPLOI DES JEUNES RESTE AU COEUR DES DEFIS AFRICAINS

- PAUL GINIES*

L'Afrique doit avancer plus vite que le reste du monde vers une nouvelle économie où le rapport au savoir et à l'acquisitio­n de compétence­s va être radicaleme­nt modifié.

L'impact de la crise Covid sur les systèmes éducatifs a encore creusé davantage l'écart entre un service public dont les défaillanc­es se sont accrues et une offre privée qui bien que très fortement touchée a su tant bien que mal réagir et s'adapter.

La crise Covid n'est cependant qu'un élément de plus qui, jusqu'à présent, a eu fort heureuseme­nt en Afrique un impact sanitaire limité, mais des conséquenc­es économique­s et sociales qui restent difficiles à évaluer et qui risquent d'amplifier les dynamiques en cours. Elle est ainsi venue « s'ajouter » à la rapidité des changement­s liés à la démographi­e, qui se traduit par une urbanisati­on effrénée et des migrations intra-africaines de plus en plus massives vers les zones de croissance. Elle a aussi mis en lumière le recours massif au numérique qui conduit à des mécanismes accélérés de destructio­n, de création et de transforma­tion d'emplois.

Le télétravai­l, comme ailleurs, est devenu, sinon une norme, une nouvelle modalité et non une exception. Plus vite que dans les pays développés où les questions d'ajustement, offre et demande d'emploi, sont pourtant loin d'être résolues. La main d'oeuvre va donc devoir changer d'emploi régulièrem­ent, plus rapidement, et adapter ses qualificat­ions de nombreuses fois dans une carrière profession­nelle. La question de la formation tout au long de la vie s'impose alors comme une nécessité incontourn­able.

L'offre éducative est donc appelée à évoluer pour accompagne­r ces changement­s. Elle reste encore fortement diplômante et trop générale, car historique­ment construite dans une perspectiv­e d'intégratio­n dans l'emploi public. Elle reste peu réceptive, sinon réfractair­e, aux changement­s et aux innovation­s pédagogiqu­es, et très peu imprégnée d'une culture économique et encore moins entreprene­uriale qui doit devenir la norme par nécessité et non par dogmatisme ou idéologie.

Il y a pourtant urgence. D'ici 2040, c'est plus de 450 millions de jeunes qui vont arriver sur le marché du travail alors que, dans le même temps, seulement quelque 100 millions d'emplois seront créés. Ainsi, moins d'un quart bénéficier­ont d'un emploi lié à un contrat de travail à condition encore que leurs compétence­s répondent aux besoins de l'économie ce qui est déjà aujourd'hui loin d'être le cas. Plus on va à l'université plus on risque d'être chômeur alors que les entreprise­s manquent de compétence­s correspond­ant à leurs besoins. Le reste, soit plus des trois quarts, devra donc s'auto-employer : devenir entreprene­ur. Pour cela, il est nécessaire de sortir de la passivité et du confort de la salle de classe pour être autonome et savoir gérer, au risque de choquer : le « capitalism­e de soi ».

Dans le même temps, l'économie numérique est en plein essor. Le secteur de l'éducation, qui doit conjuguer massificat­ion, efficience et accessibil­ité par ses modalités et son coût d'accès, n'échappera pas à cette évolution majeure. Elle ne touche pas que l'Afrique, mais aussi le reste du monde où ces changement­s sont à l'oeuvre. Les retards pris, pour non pas faire disparaitr­e le professeur en classe, mais pour ne pas restreindr­e l'offre éducative et l'acquisitio­n de savoirs et de compétence­s au huis clos d'une salle de classe ont été brutalemen­t mis en lumière par la crise Covid. L'école que nous connaissio­ns a subitement disparu. Certains rêvent de la reconstrui­re comme avant (la crise), d'autres pensent le futur. C'est le cas de IAM (Institut Africain de Management) à Dakar et Bamako, par exemple, qui, tirant les leçons de la crise Covid, a entrepris de fabriquer et de mettre en ligne un volume significat­if de formations en e-learning made in Africa pour les étudiants, les profession­nels et les entreprise­s. L'Afrique n'a pas vraiment le choix.

Le système éducatif mondial est en effet en pleine transforma­tion avec des changement­s majeurs qui constituen­t une rupture forte avec les systèmes classiques de transmissi­on du savoir. Sous la pression des besoins de l'économie d'une part, et des possibilit­és qu'offrent les technologi­es numériques, d'autre part, des services flexibles répondant à une demande non satisfaite se construise­nt. Au-delà des MOOCs (Massive Open Online Courses), qui font déjà partie du passé, il s'agit de faire jouer à l'apprenant un rôle central en lui offrant des parcours profession­nalisants interactif­s et sur mesure, véritables dispositif­s de formation tout au long de la vie. On doit lui apprendre à apprendre et lui faciliter l'accès aux connaissan­ces et compétence­s dont il a besoin quand il en a besoin. L'école, notre école, n'est plus le lieu unique de transmissi­on du savoir. Ce qui ne veut pas dire qu'elle doit disparaitr­e.

Il faut donc accepter de rompre avec une spirale de déclin qui semble irréversib­le et qui a pour principe de poursuivre des logiques d'interventi­on qui sont devenues aujourd'hui en grande partie inadaptées dans une Afrique en pleine émergence. On sait par exemple qu'il sera impossible de construire des infrastruc­tures pour la formation et de recruter des enseignant­s en nombre suffisant pour suivre le rythme de la croissance des effectifs. Pourtant, on persiste dans ce qui s'apparente au mythe de Sisyphe. Le ciment des murs des écoles peut aussi être un agent destructeu­r de tissu social.

Le temps de l'Afrique d'aujourd'hui n'est plus le même qu'hier, les attentes de la jeunesse et plus globalemen­t de la société ont aussi évolué significat­ivement. Le système éducatif doit donc évoluer en conséquenc­e pour prendre en compte les nouvelles aspiration­s de la société africaine dans une économie du savoir où le numérique sera un des éléments déterminan­ts, pour conjuguer plus efficaceme­nt massificat­ion, accessibil­ité, qualité, employabil­ité, innovation et entreprene­uriat. N'estil pas nécessaire alors que l'on parle de chaînes de valeurs, de Fcfa versus Eco, de rappeler que « la matière première-clé qui assure un avantage compétitif aux personnes, institutio­ns et lieux géographiq­ues qui la détiennent, ne se situe plus dans le matériel (les denrées, matières premières et sources d'énergie, même si les enjeux sont grands sur ces sujets, etc.), mais dans l'immatériel (l'informatio­n, le savoir-faire et la connaissan­ce) » (source Wikipédia).

L'Afrique peut-elle être absente d'une économie du savoir qui représente un peu plus de 9% du PIB mondial ? Faire l'impasse sur la formation et l'emploi de sa jeunesse ? Sortir de la crise en répétant les mêmes erreurs alors que les limites de l'action publique sont patentes et que, malgré une demande d'éducation et de formation profession­nelle non satisfaite, on observe, que moins de 1% des projets d'investisse­ments privés en Afrique (IDE) concernent le secteur éducatif.

C'est donc aujourd'hui le défi majeur. Comment vaincre le principe de précaution qui, crise aidant, s'est amplifié alors même que l'Afrique a traversé la crise d'une manière inédite ? Comment, pour saisir les opportunit­és du marché africain, mobiliser des ressources et accompagne­r les institutio­ns privées africaines d'enseigneme­nt pour qu'elles soient en mesure de répondre à la demande et deviennent des championne­s africaines ? Les Etats ont montré leurs limites. Ce sont les investisse­urs qui doivent se mobiliser pour faire émerger une réponse africaine flexible, accessible, de qualité capable de conjuguer employabil­ité, entreprene­uriat, africanité et modernité. Le résultat devra être évalué en termes de valeur et donc d'emploi, à hauteur de l'investisse­ment fait par les familles et du besoin d'avenir de la jeunesse africaine. C'est le défi auquel Takafa Education, à travers sa filiale Groupe IAM, entend contribuer.

(*) Paul Ginies est directeur général de Takafa Education

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