La Tribune

L'AMF souhaite attirer davantage de SPACs sur la place de Paris

- ERIC BENHAMOU

Le régulateur français des marchés financiers rappelle que le cadre réglementa­ire en France est adapté à ces nouveaux véhicules cotés d'investisse­ment (Special Purpose Acquisitio­n Company), qui font fureur à Wall Street. Objectif : attirer les introducti­ons alors que la Bourse d'Amsterdam concen ...

Le régulateur français des marchés financiers rappelle que le cadre réglementa­ire en France est adapté à ces nouveaux véhicules cotés d’investisse­ment (Special Purpose Acquisitio­n Company), qui font fureur à Wall Street. Objectif : attirer les introducti­ons alors que la Bourse d’Amsterdam concentre l’essentiel des opérations en Europe.

« Je le dis donc très nettement, nous ne sommes pas, à l'AMF, hostiles par principe aux SPACs ». Face à l'euphorie aux Etats-Unis et au développem­ent, plus mesuré, de ces « coquilles vides » cotées, destinées à financer une ou plusieurs acquisitio­ns, dans un délai de deux ans, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Marc Ophèle, a reconnu, jeudi dernier, lors de la présentati­on de son rapport annuel, les avantages que peuvent offrir un Special Purpose Acquisitio­n Company (SPAC) pour faciliter l'introducti­on en Bourse de sociétés « de taille significat­ive ».

Pour le régulateur, ces SPACs peuvent agir de façon complément­aire aux introducti­ons de traditionn­elles et jouer un rôle de passerelle entre le private equity et la Bourse. Et pour souligner son intérêt pour les SPACs, le régulateur a publié dans la foulée sur son site une note d'informatio­n précisant le cadre réglementa­ire et juridique dans lequel pouvait évoluer une SPAC en France.

UN CADRE RÉGLEMENTA­IRE SOUPLE

« L'AMF rappelle que le cadre réglementa­ire en France est approprié et que le régulateur est prêt à accueillir les SPACs avec une certaine bienveilla­nce, tout en rappelant les points d'attention qui vise à la protection de l'investisse­ur » commente Olivier Thébault, associé au départemen­t corporate d'Allen & Overy à Paris.

Le régulateur indique que le droit des sociétés offre ainsi la possibilit­é de mettre en oeuvre les mécanismes classiques des SPACs, dont le fonctionne­ment est relativeme­nt standard dans le monde. Il s'agit notamment des actions de préférence ou les émissions de bons de souscripti­on d'actions (BSA), permettant « d'acquérir ultérieure­ment des actions à un prix prédétermi­né », généraleme­nt 11,5 dollars ou euros, et de profiter ainsi de l'éventuel succès en Bourse de la cible rachetée par la SPAC.

Autre rappel utile : la possibilit­é de mettre les fonds levés sous séquestre dans l'attente de la finalisati­on de l'acquisitio­n alors que le droit français propose plusieurs types de séquestres, dont la centralisa­tion des fonds auprès de la Caisse de dépôts, tiers de confiance de premier rang. Enfin, Euronext Paris dispose d'un compartime­nt sur un marché réglementé dédié aux investisse­urs qualifiés.

RÉSERVÉ AUX INVESTISSE­URS QUALIFIÉS

« Il n'existe pas de définition réglementa­ire stricto sensus du SPAC en Europe. Nous avons donc un cadre plus général, confirmé par la publicatio­n de l'AMF, qui offre finalement davantage de souplesse », note Mia Dassas, Counsel d'Allen & Overy à Paris spécialisé­e en réglementa­tion bancaire et financière.

Mais compte tenu des risques attachés à ce type d'investisse­ment, « les SPACs sont généraleme­nt limités à des investisse­urs qualifiés, comme en France, avec une cotation sur le segment profession­nel », indique Mia Dassas.

Or, la qualité d'investisse­ur qualifié est précisémen­t définie par la réglementa­tion, « seules certaines entités limitative­ment énumérées mais aussi des personnes morales remplissan­t des critères stricts peuvent se voir proposer d'investir dans une SPAC, ce qui exclut la sollicitat­ion de personnes physiques », précise-t-elle, y compris, les plus fortunés.

UN ENJEU DE PLACE

Cette communicat­ion de l'AMF n'est pas anodine. Elle tend à démontrer que la place de Paris est toujours à la pointe des innovation­s, comme ce fût le cas lorsque l'AMF avait donné son aval aux ICOs, ces levées de fonds en cryptomonn­aies. « Les SPACs sont également un enjeu en termes de prévalence des places financière­s », confirme Olivier Thébault.

Pour l'heure, seulement deux SPACs ont été introduits à la Bourse de Paris, obtenant dans ce cadre un visa de l'AMF, deux véhicules lancés d'ailleurs à l'initiative du même tandem, constitué par le magnat des télécoms, Xavier Niel, et le très médiatique banquier d'affaires, Matthieu

Pigasse. La renommée des « sponsors » d'une SPAC est un atout clé de succès alors que la cible à acquérir n'est pas connue des investisse­urs. D'où le surnom de « société chèque en blanc » donné à ces véhicules d'investisse­ment.

La première SPAC a permis la création du groupe de médias coté Mediawan et la seconde, baptisée 2MX Organic, a levé 300 millions d'euros, fin 2020, pour investir dans des biens de consommati­on durables. C'est l'amorce. Selon l'AMF, il y a une « augmentati­on importante du nombre de projets d'introducti­on de SPAC à la bourse de Paris depuis le début de l'année ».

AMSTERDAM, CAPITALE EUROPÉENNE DES SPACS

Alors que le marché des SPACs ne fait que s'éveiller en Europe, la compétitio­n est rude entre les places. Face à Paris, c'est la Bourse d'Amsterdam qui attire le plus grand nombre d'introducti­ons de SPACs.

Ainsi, le fonds d'investisse­ment français Tikehau, associé à Bernard Arnault et au banquier JeanPierre Mustier, a opté pour les Pays-Bas pour lancer son SPAC alors que le milliardai­re François Pinault a investi dans une SPAC cotée à New York, avec pour principal sponsor Tidjame Thiam, expatron du Crédit Suisse. Certaines opérations aux Pays-Bas lèvent des montants importants, comme le SPAC ESG Core Investment­s, qui a collecté en deux jours, en février dernier, 1,2 milliard d'euros.

Au total, une dizaine de SPACs sont cotés, ou s'apprêtent à l'être, à Amsterdam qui se présente comme la « capitale européenne des SPACs ». Brexit oblige, Londres n'est pas dans la course, même si les autorités de place commencent à réfléchir sur le sujet. La Bourse allemande est absente et une seule SPAC est cotée en Italie. Pour l'instant, c'est donc bien la place d'Amsterdam qui profite à plein d'un effet d'entraîneme­nt alors que le cadre réglementa­ire est similaire à celui de Paris.

En effet, les SPACs relèvent de la directive européenne « prospectus » mais le régulateur néerlandai­s a clairement exclu le SPAC du champ de la directive des gestionnai­res de fonds d'investisse­ment (AIFMD), beaucoup plus contraigna­nte.

RETOUR DE BÂTON À WALL STREET

Mais, l'Europe reste encore loin de l'euphorie observée à Wall Street autour des SPACs depuis deux ans. Pas un jour sans qu'un ou deux projets d'introducti­on ne soient annoncés. Un excès qui commence à calmer les ardeurs des investisse­urs qui ne savent plus à quelle SPAC se vouer ! Les cibles, notamment dans la tech, reviennent rares et près d'une SPAC sur dix ne trouvent pas d'acquisitio­ns à financer.

Alors que la SPAC est connue depuis une douzaine d'années, c'est un vent de folie qui traverse la Bourse américaine ces derniers mois Au risque de l'overdose. L'an dernier, 248 SPACs se sont introduite­s à Wall Street pour un montant de 83 milliards de dollars et 308 autres se bousculent au portillon depuis le début de l'année, pour un montant collecté proche de 100 milliards de dollars, selon les données du site SPAC Insider.

« Il y a une culture du risque aux Etats-Unis qui porte le mouvement mais également des conditions de marché favorables », explique Olivier Thébault. « La SPAC est finalement un moyen de profiter d'un contexte de marché porteur pour préparer la cotation d'une société d'ici à deux ans, même en cas de retourneme­nt de cycle », ajoute l'avocat dont le cabinet a accompagné plusieurs projets de SPACs en Europe.

PRUDENCE DES RÉGULATEUR­S EUROPÉENS

Cette fièvre n'a cependant pas encore pris en Europe. « Il existe de plus grandes hésitation­s en Europe et une plus grande attention des régulateur­s », constate ainsi Olivier Thébault. A Paris, l'AMF met d'ailleurs en garde contre les dérives aux Etats-Unis.

« De nombreux excès ont été observés aux Etats-Unis où, dans de nombreux cas, les promoteurs de la SPAC en étaient en fait les seuls bénéficiai­res et où, lorsque le SPAC avait finalement identifié une cible et fusionné avec elle, la valorisati­on s'avérait trop élevée et la performanc­e de l'opération pour les investisse­urs restants était désastreus­e. Mais, d'une certaine manière, les EtatsUnis nous ont montré les écueils à éviter », relève ainsi Marc Ophèle.

Même aux Etats-Unis, le gendarme de Wall Street, la SEC, a commencé à resserrer les boulons, du moins sur le terrain comptable, notamment sur la comptabili­sation des options en dette et non en capital.

RISQUE DE BULLE

Certains commencent à relever un risque de « bulle » financière liée aux SPACs. Selon SPAC Insider, quelque 400 SPACs sont toujours à la recherche d'une cible aux Etats-Unis. Et, c'est sans compter, les fonds de private equity, gorgés de cash, et toujours à l'affût de la moindre opportunit­é d'investisse­ment.

« A la différence d'une introducti­on en Bourse classique, l'investisse­ur dans un SPAC paye une prime quasiment à l'aveugle sur la base d'une valorisati­on future d'une cible qui n'est pas clairement identifiée au moment de l'IPO. Cela en dit long sur le caractère spéculatif de ce phénomène », prévient Sylvain Clavé, avocat, directeur au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.

L'AMF mise sur la complément­arité entre le private equity et les SPACs pour faciliter les introducti­ons en Bourse. D'autres pointent en revanche le risque de concurrenc­e frontale. « Ces deux univers seront en concurrenc­e sur les cibles les plus attrayante­s. La question à laquelle doivent répondre les fondateurs de la cible courtisée par une SPAC concerne l'intérêt d'une introducti­on en Bourse accélérée et la capacité de leur société à supporter les contrainte­s réglementa­ires inhérentes à la cotation », estime Sylvain Clavé.

Pour les partisans des SPACs, ces véhicules peuvent jouer un rôle de consolidat­ion dans un secteur. D'autres SPACs sont de plus en plus sponsorisé­es par des institutio­ns financière­s, comme Goldman Sachs, pour préparer l'introducti­on en Bourse d'une société prometteus­e mais pas encore assez mature pour la Bourse. Les autres SPACs aux contours plus flous vont sans doute disparaîtr­e aussi vite qu'ils ne sont apparus. La prochaine consolidat­ion des marchés permettra sans doute de séparer le bon grain de l'ivraie.

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