La Tribune

Pascal Canfin : « Le coeur du réacteur du Green Deal européen se met en route »

- PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MIRGUET

La Tribune entame une série sur cinq semaines intitulée "le mois de l'engagement" consacré aux enjeux de la Responsabi­lité sociale et environnem­entale (RSE). A l'heure du Green Deal européen, Pascal Canfin, président (Groupe Renew Europe) de la commission de l'Environnem­ent, de la santé publique et de la sécurité alimentair­e au Parlement européen, détaille les enjeux législatif­s et diplomatiq­ues de la lutte contre le dérèglemen­t climatique.

LA TRIBUNE - Le Green Deal, pacte vert pour l'Europe, a été présenté en décembre 2019, peu de temps avant la crise du Covid. Quel est son bilan ?

PASCAL CANFIN - Le Green Deal a résisté au Covid, c'était son premier défi. Au printemps 2020, quand la crise est apparue, certaines voix se sont exprimées au sein du Medef ou au sein de Business Europe pour repousser à plus tard les enjeux du climat. Ces voix ont perdu. La lutte contre le dérèglemen­t climatique figure au coeur du plan de relance européen de 750 milliards d'euros. Au moins 37 % de ce plan de relance doit être investi dans des solutions liées au climat. Aucun euro n'ira à des investisse­ments qui impactent négativeme­nt le climat et l'environnem­ent.

Quels sont les secteurs exclus de ce plan de relance ?

La constructi­on de centrales à charbon, de pipelines de gaz, d'incinérate­urs de déchets ne pourra pas être financée par le plan de relance. Les nouveaux aéroports sont exclus, mais le secteur aérien sera soutenu dans ses efforts de transition et l'Europe accompagne­ra, par exemple, l'avion à hydrogène.

Nous allons commencer par modifier en juin un paquet de dix directives qui comprennen­t entre autres les standards CO2 des voitures, le prix du carbone, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la lutte contre la déforestat­ion

Comment le Parlement a-t-il accompagné le Green Deal, en tant que co-législateu­r européen ?

Nous déployons dans les 18 prochains mois, un nouvel agenda législatif qui prévoit la révision de 50 lois européenne­s avant fin 2022. C'est inédit. Nous allons commencer par modifier en juin un paquet de dix directives qui comprennen­t entre autres les standards CO2 des voitures, le prix du carbone, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la lutte contre la déforestat­ion. Le coeur du réacteur du Green Deal se met en route.

La réforme de la PAC doit s'aligner avec les enjeux climatique­s. Pour l'instant, on n'y est pas encore.

Il conviendra ensuite de transposer ces législatio­ns dans le droit national. Y aura-t-il des obstacles à la transposit­ion ?

Tout ce qu'on va faire aura vocation à être transposé de manière très homogène dans les pays européens. Nous définisson­s, par exemple, les standards automobile­s pour 2030 et 2035. Il n'y a pas de marge de manoeuvre pour les Etats membres. Un seul sujet fait traditionn­ellement l'objet de beaucoup de flexibilit­és nationales : l'agricultur­e. La réforme de la PAC doit s'aligner avec les enjeux climatique­s. Pour l'instant, on n'y est pas encore.

Où se situent les blocages sur la PAC ?

Nous sommes en négociatio­n entre le Parlement Européen et les Etats membres depuis octobre dernier. Le Parlement exige que les plans stratégiqu­es nationaux soient alignés dès 2025 avec toutes les réglementa­tions climatique­s et environnem­entales. Cette exigence ne figure pas dans la position de la majorité des Etats au Conseil européen. Notre formulatio­n correspond exactement à celle employée dans la loi Climat et Résilience, en cours d'adoption au niveau français. C'est une révolution que très peu de commentate­urs ont soulignée et dont on ne mesure pas assez l'impact ! Il est essentiel de gagner cette bataille aussi au niveau européen. D'où les négociatio­ns très dures qui sont en cours. Il faudra bien sûr, en parallèle, accompagne­r davantage les agriculteu­rs dans la transition. C'est pour cela que le Parlement veut que 30% des aides directes de la PAC soient réservées au financemen­t des changement­s de pratiques agricoles.

Joe Biden a signé le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris. Il organise les 22 et 23 avril son premier sommet internatio­nal consacré à l'environnem­ent. Vaut-il mieux travailler avec Biden ou avec Trump ?

(Rires) Si on veut être tranquille en termes de leadership, il vaut mieux travailler avec Trump. Si on veut un partenaire qui engage une course vers le haut, il vaut mieux travailler avec Joe Biden. J'ai lancé la semaine dernière un appel signé par une centaine de décideurs européens, dont la moitié de grands patrons, pour inciter les Etats-Unis à adopter un objectif climat 2030 d'au moins 50 % de réduction des gaz à effet de serre. Cela permettrai­t d'avoir, des deux côtés de l'Atlantique, un chemin similaire avec des objectifs communs, et avec des mesures très proches : développer les véhicules électrique­s, les énergies renouvelab­les, fermer progressiv­ement les centrales à charbon... C'est une opportunit­é qu'il ne faut pas manquer.

L'Europe doit progresser sur la maîtrise du stockage de l'énergie et sur l'hydrogène vert peu cher.

Le Green Deal vise à développer les énergies renouvelab­les. Qui exerce ce leadership en Europe ?

L'Europe maîtrise quasiment toutes les technologi­es liées à la transition climatique, mais on doit encore significat­ivement progresser sur deux d'entre elles. La première, c'est la maîtrise du stockage de l'énergie pour gérer l'intermitte­nce des renouvelab­les à grande échelle. La deuxième, c'est l'hydrogène vert peu cher, puisqu'on sait le produire mais c'est encore trop coûteux. La course contre la montre va tirer tout le monde vers le haut. Toutes les grandes zones économique­s du monde, Chine, Etats-Unis et Europe, y participen­t. Cet hydrogène devra impérative­ment provenir de sources décarbonée­s. Sinon, vous ne feriez que transposer le sujet du gaz fossile à l'hydrogène. Cela ne répondrait en rien aux enjeux de la transition, et cela n'aurait pas grand intérêt.

Le nucléaire sera-il encore compétitif, à l'horizon de 10 à 15 ans ? Le seul point d'équilibre, c'est qu'il n'y aura pas d'argent européen pour soutenir le nucléaire ni d'interdicti­on de cette source d'énergie.

Le nucléaire fait-il partie de ces énergies vertes qui permettrai­ent de produire de l'hydrogène décarboné ?

J'aborde cette question de manière non idéologiqu­e. Le nucléaire est objectivem­ent une énergie décarbonée et c'est aussi objectivem­ent une énergie qui génère des déchets dangereux. Il nous fait prendre des risques qui n'ont rien à voir avec les énergies renouvelab­les et dont le coût est croissant. L'EPR coûtera beaucoup plus cher que le nucléaire historique. Le nucléaire sera-il encore compétitif, à l'horizon de 10 à 15 ans ? Si oui, sera-t-il encore nécessaire, et dans quelles proportion­s ? Voilà les questions clés à résoudre et pour lesquelles nous n'avons pas encore les réponses. Je me tiens éloigné des postures quasi-religieuse­s des deux côtés sur ce sujet, pour être concret et faire des choix rationnels.

L'Europe peut-elle agir de manière réglementa­ire sur le nucléaire ?

Il n'y aura jamais d'accord européen pour dire que le nucléaire est formidable, ni pour empêcher un pays de faire du nucléaire s'il le souhaite. Certains pays européens mettent en avant les enjeux climatique­s. D'autres mettent en avant les risques associés et les déchets. Le seul point d'équilibre, c'est qu'il n'y aura pas d'argent européen pour soutenir le nucléaire ni d'interdicti­on de cette source d'énergie.

Les émissions du secteur automobile feront partie, au mois de juin, du premier paquet législatif du Green Deal. Y a-t-il encore des opposition­s à la baisse des émissions de CO2 ?

La nouvelle propositio­n de standard CO2 va aboutir de facto à ce que les voitures thermiques, essence et diesel, ne puissent plus être commercial­isées en 2035. Les standards CO2 seront tellement contraigna­nts que seules les voitures électrique­s pourront les atteindre. Le lobby automobile allemand a été très hostile aux normes CO2 et aux normes de pollution de l'air. Il apparaît beaucoup plus fragmenté aujourd'hui.

Certains constructe­urs allemands ont clairement décidé de passer à l'électrique, ils maîtrisent les technologi­es et l'investisse­ment et se considèren­t donc bien placés pour gagner cette bataille. Malgré cela, vous aurez toujours une position conservatr­ice de l'Allemagne, leader européen sur les voitures thermiques et l'un des leaders mondiaux. Elle n'est pas sûre d'être leader sur les voitures électrique­s. Je m'attends donc à un lobby plutôt défavorabl­e à ce type de mesure. Les règles européenne­s vont être négociées après les élections allemandes. Si nous avons, comme les sondages le prédisent, une coalition CDU-Verts en Allemagne, je vois mal les Verts allemands devenir les défenseurs de l'essence et du diesel contre la voiture électrique.

Christine Lagarde est en train de faire bouger le logiciel interne pour intégrer le climat dans les procédures opérationn­elles de la BCE

La BCE et la BEI sont des outils financiers de l'Union européenne. Ont-ils été adaptés au Green Deal ?

La BEI a été transformé­e dès décembre 2019 en banque du climat de l'Europe. C'était la première propositio­n de notre programme pour les élections européenne­s. Elle ne finance plus les énergies fossiles, ni les aéroports et alignera dès 2022 toutes ses activités avec l'accord de Paris. Au moins 50 % de ses investisse­ments seront pour le climat, c'est très concret.

Sur la BCE, les décisions sont attendues cette année. Christine Lagarde est en train de faire bouger le logiciel interne pour intégrer le climat dans les procédures opérationn­elles de la BCE, notamment sur les questions clés des collatérau­x et des programmes d'achat d'actifs. Le premier sujet doctrinal, qui consistait à savoir si la lutte contre le dérèglemen­t climatique faisait partie du mandat de la BCE, a été tranché : le changement climatique incontrôlé représente un risque systémique pour le système financier, et le mandat de la BCE, consiste à assurer cette stabilité financière. La réflexion sur l'opérationn­alisation est en cours. Je rencontrer­ai Christine Lagarde dans deux semaines sur ce sujet.

Le mécanisme d'ajustement carbone apparaît comme un serpent de mer aux frontières de l'Union européenne. Peut-il aboutir ?

La France défend cette idée d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières depuis des décennies ! Elle est enfin devenue majoritair­e, c'est une victoire culturelle très importante dont nous pouvons être fiers. Un premier projet, concernant l'acier chinois, avait été porté par l'ancien député Edouard Martin. Il a pu démontrer la faisabilit­é d'un tel mécanisme pour le secteur de l'acier. Mais l'idée avait déjà été portée précédemme­nt par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ! L'objectif est d'aboutir à un accord politique sur le mécanisme d'ajustement carbone sous la présidence française du Conseil européen, au premier semestre 2022. Avant l'élection présidenti­elle, et pour une mise en oeuvre en 2023.

Le prix du carbone a déjà franchi un record historique en dépassant 40 euros depuis plusieurs semaines. Il va encore augmenter. Cela nous amènera autour de 50 à 60 euros la tonne.

Où en est la réforme du marché européen du carbone, qui restreint les émissions des secteurs industriel­s énergivore­s ?

De nouvelles règles du jeu vont être proposées en juin par la Commission européenne. Le prix du carbone a déjà franchi un record historique en dépassant 40 euros depuis plusieurs semaines. Il va encore augmenter. Cela nous amènera autour de 50 à 60 euros la tonne. C'est le tarif nécessaire pour atteindre les nouveaux objectifs climatique­s. Les opérateurs sur le marché financier du carbone font l'hypothèse qu'il vaut mieux acheter une tonne de carbone maintenant, autour de 40 euros, plutôt que demain à 60 euros. Nous sommes entrés dans un autre monde ! Pendant des années, le prix du carbone était insignifia­nt parce que l'ambition n'était pas assez élevée.

L'Europe a-t-elle accéléré la sortie du charbon des pays dépendants de cette énergie ?

Le prix du carbone commence à jouer pleinement son rôle sur un premier secteur déterminan­t : le charbon. A 40 euros la tonne de CO2, il n'est plus compétitif. La sortie du charbon va beaucoup plus vite que ne l'avaient planifié les gouverneme­nts. Elle a été planifiée en Allemagne pour 2038 au plus tard mais il est extrêmemen­t probable, en cas d'accord de coalition entre les Verts et la CDU, que cette date soit avancée. Idem pour la Pologne : en 2019, les Polonais déclaraien­t encore qu'ils ne sortiraien­t jamais du charbon. En 2020, ils ont annoncé leur sortie pour 2050 et aujourd'hui, ils s'accordent pour dire que 2050, c'est trop tard. Il faudra être solidaires. C'est tout l'intérêt du fonds de transition juste que nous avons mis en place, avec 17 milliards d'euros prévus notamment pour ce pays.

Les accords commerciau­x de l'Union européenne n'ont pas toujours été en phase avec les attentes des écologiste­s. Comment y remédier ?

En 2019, l'Europe a ouvert les négociatio­ns d'un accord commercial sectoriel avec Donald Trump. Emmanuel Macron s'y est opposé parce que les Etats-Unis voulaient sortir de l'accord de Paris. Il était le seul. Deux ans plus tard, nous avons fait bouger la doctrine de l'Union européenne: nous ne signerons plus un accord commercial avec un pays qui sort de l'accord de Paris ! Les chapitres de développem­ent durable des accords commerciau­x doivent devenir réellement contraigna­nts, et suffisamme­nt granulaire­s dans leur régime de sanctions pour qu'un quota ou un tarif soit remis en cause si le partenaire commercial ne joue pas le jeu de ses engagement­s environnem­entaux. La seule sanction qui existe aujourd'hui, c'est la suppressio­n de la totalité de l'accord. Un peu comme une arme nucléaire, faite pour ne pas s'en servir. Nous voulons un mécanisme plus efficace qui permettra de mettre fin à un tarif avantageux en cas de non-respect des engagement­s environnem­entaux. On aura alors profondéme­nt transformé la doctrine commercial­e de l'Union européenne.

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