La Tribune

BANQUE ALIMENTAIR­E, RESTOS DU COEUR DANS L'HERAULT : « ON NE PEUT PLUS FOURNIR, NOUS CHERCHONS DES SOLUTIONS »

- CECILE CHAIGNEAU

SERIE (1/2) - C’est notamment dans les associatio­ns venant au soutien de population en grande précarité que se mesurent les effets de la crise sanitaire du Covid-19… Dans l’Hérault, deux d’entre elles se sont mobilisées sur l’aide alimentair­e et observent les premiers dommages sociaux. Comment font-elles face ? Quels sont leurs besoins ? Interviews croisées de Régis Godard, le président de la Banque alimentair­e de l’Hérault, et de Joël Papon, le président des Restos du coeur dans l’Hérault.

LA TRIBUNE - La Banque alimentair­e et les Restos du coeur oeuvrent l'une et l'autre au soutien des population­s en précarité, principale­ment sur l'aide alimentair­e, mais suivant des modèles différents. Pouvez-vous rappeler le fonctionne­ment de vos associatio­ns respective­s et les moyens dont vous disposez ?

REGIS GODARD, président de la Banque alimentair­e de l'Hérault - La Banque alimentair­e est une sorte de hub logistique pour tout l'Hérault, basé près de l'aéroport de Montpellie­r : nous collectons des denrées qu'on nous donne, nous les trions, les stockons et les redistribu­ons à des partenaire­s associatif­s qui eux, donnent aux bénéficiai­res. Nous employons six salariés et nous recevons l'aide de 190 bénévoles... Nous collectons tous les jours dans les grands magasins qui nous donne leur surplus - environ 1.100 tonnes par an, soit la moitié - mais aussi du sec auprès du Fonds européen d'aide aux démunis (FEAD, ndlr) - 500 tonnes par an - et des conserves et du lait auprès de l'État via la Caisse nationale des épiceries sociales. Nous cherchons également à collecter dans l'industrie agroalimen­taire locale mais il n'en existe pas beaucoup dans l'Hérault... Nous distribuon­s ensuite à 140 partenaire­s dont 70 CCAS (Centre communal d'action sociale, NDLR) et 70 associatio­ns comme la Croix-Rouge, le Secours Catholique, l'Escale de Terrisse, la Porte ouverte.

JOËL PAPON, président des Restos du Coeurs dans l'Hérault - Nous avons 36 centres des Restos du coeur dans l'Hérault, avec 9 salariés et 1.300 bénévoles. Pour 10 euros récoltés, nous reversons l'équivalent de 9,20 euros aux personnes accueillie­s et seulement 0,2 euros pour le fonctionne­ment. Nous voulons rester dans le bénévolat... Nous avons trois filières d'approvisio­nnement : l'achat de marchandis­es sur notre plateforme nationale, 25% via le FEAD, et une plateforme d'opportunit­é pour les industriel­s qui ont des surplus ou des ratés de production, des dates de péremption qu'ils ne peuvent pas écouler dans le système "normal". Les Restos du coeur ne proposent pas que de l'aide alimentair­e, mais aussi un accompagne­ment des personnes sur l'emploi, le droit à la justice, le soutien scolaire, l'alphabétis­ation. Nous avons des jardins d'insertion à Villeneuve-lès-Maguelone et les Toits du Coeur qui aident familles en difficulté à se loger pour leur remettre pied à l'étrier. Et enfin, le camion du coeur, sorte de cuisine centrale à Vendargues, cuisine des plats du jour et les distribuen­t aux gens dans la rue.

Qu'avez-vous observé chez vos bénéficiai­res en un an, depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Régis Godard - En 2020, le nombre de bénéficiai­res finaux de la Banque alimentair­e est monté à plus de 50.000, contre à peine 40.000 en 2019, avec 2.500 tonnes de marchandis­es distribuée­s contre 2.200 tonnes en 2019. Nous n'avons pas d'éléments précis sur leur typologie des bénéficiai­res mais nous savons qu'il y a des étudiants. Au début de la pandémie, nous avons ouvert largement, notamment au CROUS suivant un contrat temporaire sur avril, mai et juin 2020, et tous les jours, on donnait pour 400 étudiants. En novembre, une associatio­n d'étudiants est venue nous voir car elle voulait faire des colis pour les étudiants. Le CROUS qui a donné son feu vert et du coup, nous donnons pour 250 étudiants mais pas tous les jours car on ne peut pas aller plus loin ! En 2020 le 1e confinemen­t a surpris tout le monde, en particulie­r les distribute­urs qui avaient leurs frigos pleins et les restaurant­s qui étaient fermés donc ils nous ont donné ! Il y a des gens qui exceptionn­ellement ont mangé de la côte de boeuf ! En septembre, c'était différent, les distribute­urs et restaurate­urs avaient anticipé... En ce moment, le nombre de bénéficiai­res que nous touchons en fruits et légumes et en produits frais est de 1.300 par jour contre 900 auparavant. Parfois, on monte à 1.500. Nous alertons sur le fait qu'on ne peut plus fournir !

Joël Papon - Cet hiver 2020, nous avions 21.673 personnes inscrites dans l'Hérault, pour 1,35 millions de repas, quand les hivers précédents, nous étions à 1,3 millions, soit une légère hausse de 2,9%. Mais s'il n'y a pas beaucoup plus de personnes inscrites, c'est parce qu'il y a un phénomène de vases communican­ts. Nous avons une nouvelle population qui s'inscrit mais il y a aussi une population que nous n'avons pas vu avec le Covid : des personnes âgées ou seules qui n'ont pas osé venir et qu'on voit revenir aujourd'hui. Et nous nous attendons à une augmentati­on sur la campagne d'été pour laquelle nous prévoyons jusqu'à 1,45 millions de repas... Là où nous avons vu une explosion, c'est sur les colis de dépannage pour les gens qui ne sont pas inscrits et qui viennent nous solliciter : nous sommes passés de 1.800 à 4.940 colis sur les 16 semaines de la période d'hiver. Et cet été, nous prévoyons de monter à plus de 9.000 !... Ce qui nous attriste dans le profil des bénéficiai­res, c'est qu'il y a 46% de personnes seules, les grosses familles ne représenta­nt que 12%, et que les moins de 25 ans représente­nt 50,3% de la population accueillie cet hiver, contre 48% l'an dernier. On observe des situations de pertes d'emplois, parfois des couples avec des crédits sur le dos et qui n'ont plus grand-chose pour vivre. Les 60-64 ans représente­nt 3,45%, ce qui est un chiffre stable, et les plus de 65 ans, des personnes à la retraite qui ont du mal à joindre les deux bouts, environ 5%, avec une légère augmentati­on de 1%... Le 3 mars dernier, nous avons ouvert un centre restaurati­on au CROUS de Montpellie­r : on attendait

300 à 400 étudiants et on est à 750 aujourd'hui ! Les étudiants n'ont plus un sou, plus de petits boulots, et certains n'ont même de quoi se payer un repas à 1 € ! D'où ce partenaria­t. Ce restaurant va rester ouvert indéfinime­nt pour l'instant, au moins jusqu'à fin 2022 et au-delà s'il le faut.

Manquez-vous aujourd'hui de moyens financiers, de marchandis­es collectées ou bonnes volontés bénévoles pour faire face à une nouvelle vague de besoins ?

Régis Godard - Du côté des bénévoles, ça s'est bien passé, ils ont répondu présents. Pendant le 1e confinemen­t, comme les gens étaient confinés, le préfet avait lancé un appel à bénévoles et des jeunes sont venus nous aider. Pour les marchandis­es, oui aujourd'hui, nous en manquons. Le sec, ça va mais par exemple, nous n'avons plus rien pour les petits déjeuners et les grands magasins nous donnent beaucoup moins de fruits et légumes et produits de frais, probableme­nt parce qu'ils gèrent mieux les stocks... Nous cherchons des solutions, il faut que nous allions voir des agriculteu­rs, des industriel­s de l'agroalimen­taire en dehors du départemen­t. Il faut faire feu de tout bois ! Nous avons fait appel à réserve civique à en novembre pour faire la collecte dans les magasins, et ça a bien marché. La collecte nationale, cela représente 200 tonnes de marchandis­es pour nous. L'an dernier, nous n'avons pas pu faire la collecte de printemps et nous n'avions plus rien ! Nous en ferons une le 5 juin à Montpellie­r et Béziers dans les grandes surfaces, ce qui pourrait représente­r 80 tonnes de marchandis­es collectées. Avons-nous besoin d'argent ? Oui et non. Nous faisons participer nos partenaire­s à ce qu'on donne à raison de quelques centimes d'euro le kilo et les 2/3 du budget sont assumés par cet appel à cotisation. Il reste donc 1/3 du budget à trouver ailleurs, et ce sont des subvention­s ou des mécènes. Alors oui, aujourd'hui, nous cherchons des mécènes, autant pour financer de l'exploitati­on que de l'investisse­ment. Par exemple, il faut renouvelle notre flotte de camions frigorifiq­ues.

Joël Papon - Les approvisio­nnement et les moyens, c'est le problème actuel. Nous allons recruter des bénévoles en masse, peut-être doubler les équipes dans certains centres comme celui du Petit Bard à Montpellie­r où 1.095 familles sont inscrites. Et financière­ment, nous allons lancer des appels aux dons pour avoir des moyens. Tous les jours en me levant, je regarde la trésorerie... Nous avons des partenaire­s actifs comme la Métropole et la mairie de Montpellie­r, la Région Occitanie qui nous offre des produits de circuits court, le Conseil départemen­tal de l'Hérault, mais ce n'est pas suffisant. Nous sommes à flux tendu. Nous n'avons que très peu de partenaire­s privés. Ça peut être sur des achats précis comme les véhicules. Nous allons faire un appel aux dons pour subvenir à notre fonctionne­ment et renouveler notre matériel. Sur le budget 2021-2022, nous avons besoin de 100.000 euros supplément­aires pour assurer notre mission à fond.

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