Urbanisme : comment rendre la densité « heureuse »
La semaine dernière, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, s’est faite l’avocate d’une modèle de ville « plus intense qui ne transige pas avec la qualité et qui tient sa promesse en matière de services ». Il devra « être accessible à tous les Français et préserver un idéal de mixité sociale » sinon il serait pas « souhaitable » car conduisant à créer des « ghettos de riches ou de pauvres ». Explications.
Dans le langage courant, la densité renvoie à « la qualité de ce qui est dense, ce qui est fait d’éléments nombreux et serrés et qui contient beaucoup de matière par rapport à l’espace occupé », dixit le Centre national de ressources textuelles et lexicales. En démographie, cela réfère au nombre d’habitants par unité de surface, généralement par kilomètre carré. Le terme revient dans le débat public depuis que le projet de loi « Climat et résilience » promulgué fin août impose de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols dans les dix ans.
« C’est ce que j’appelle l’intensité ‘’heureuse’’ »
Dans son discours de clôture de restitution de la concertation « Habiter la ville de demain », le 14 septembre dernier, la ministre du Logement s’est faite l’avocate d’une ville « plus intense qui ne transige pas avec la qualité et qui tient sa promesse en matière de services ». « L’intensité, c’est bien sûr la densité urbaine, d’habitat, d’activités, de services », a déclaré Emmanuelle Wargon.
« Celle qui est la condition de la sobriété foncière bien sûr et qui permet de continuer à construire en considérant la terre comme une ressource précieuse et rare.
C’est aussi celle qui permet d’avoir la taille critique suffisante pour organiser à proximité de l’habitat, les services publics, l’emploi, le commerce, les transports.
Urbanisme : comment rendre la densité « heureuse »
C’est enfin celle qui permet de rompre avec l’isolement, de créer des rencontres et du lien social », a-t-elle ajouté.
« C’est ce que j’appelle l’intensité ‘’heureuse’’ : une densité d’habitat qui crée des quartiers dynamiques, vivants et chaleureux », a encore défini la ministre du Logement. Pourtant, dans l’opinion, le mot « densité » fait encore peur, « perçu comme la hauteur, la concentration, l’insécurité et l’absence de calme et d’espace », estime la présidente du conseil national de l’ordre des architectes. « Nous devons déconstruire ce modèle et objectiver la notion », poursuit Christine Leconte.
« Il faut à mon sens distinguer la densité réelle de la densité perçue par les habitants. A titre d’exemple, les quartiers les plus denses sont notamment les immeubles haussmanniens, et non pas les grands ensembles, de faible densité, mais non perçus comme tels du fait de leur mono-fonctionnalisme et leur monolithisme architectural », appuie Anne-Sophie, présidente du directoire de CDC Habitat, la filiale logement de la Caisse des Dépôts.
Des contreparties pour construire cet idéal
D’autant qu’Emmanuelle Wargon elle-même a prévenu qu’il fallait assortir ce cadre de vie de « contreparties pour construire ce nouvel idéal », à commencer par la qualité, une « clé pour réconcilier enjeux économiques, sociaux, écologiques et aspirations des Français ». « On construira plus parce qu’on construira mieux », a-t-elle poursuivi.
Construire plus, mieux et moins cher, c’était le credo de son prédécesseur Julien Denormandie, lorsqu’il présenta, au début du quinquennat du président Macron, le projet de loi relative à l’évolution du logement, de l’aménagement et de la nature, adopté en octobre 2018. L’année 2019 et la crise sanitaire qui suivirent débouchèrent sur le contraire : un recul des permis de construire entraînant une chute de la production parallèlement à un changement de paradigme au gouvernement.
Lorsque l’actuelle ministre du Logement est nommée en juillet 2020 à ce poste par le Premier ministre Jean Castex après avoir été secrétaire d’Etat à la Transition écologique et solidaire auprès des ministres Nicolas Hulot, François de Rugy et Elisabeth Borne, son ministère quitte le giron du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités pour celui du ministère de la Transition écologique.
C’est peut-être un détail, mais à l’époque cela témoigne de l’orientation politique que veut donner le gouvernement à la fabrique de la ville. Depuis l’été 2020, l’accent n’est ainsi plus mis sur la quantité, mais sur la qualité, « C’est la qualité d’usage du logement, le fait d’y vivre confortablement, de pouvoir s’y épanouir. C’est la qualité des alentours, des services offerts », a encore affirmé Emmanuelle Wargon la semaine dernière.
Qualité environnementale et qualité esthétique
Et précisément sur la qualité environnementale avec la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs dite « RE2020 ». Présentée en novembre dernier pour entrer en application le 1er janvier 2021, cette dernière s’appliquera finalement le 1er janvier prochain. Dans la cadre de la stratégie nationale bas-carbone 2050, elle est pensée pour « donner la primauté à la sobriété énergétique et à la décarbonation » et
« adapter [les bâtis] aux vagues de chaleur ». Autrement dit,
« l’usage de matériaux biosourcés et des modes de construction plus respectueux de l’environnement », a redit la ministre le 14 octobre.
Enfin, Emmanuelle Wargon a insisté sur la qualité esthétique,
« celle des bâtiments, des espaces publics et du paysage.
« C’est la beauté qui rend fier d’habiter où on habite », a-t-elle souligné. Toujours est-il que ce modèle de densité ou d’intensité « heureuse » ne pourra pas sans faire sans être inclusif. La ministre du Logement semble avoir conscience. Dans son discours, elle a martelé qu’il devra « être accessible à tous les Français et préserver un idéal de mixité sociale » et même qu’il ne serait pas « souhaitable » s’il conduisait à créer des « ghettos de riches ou de pauvres ».
Un programme auquel s’attelle déjà la ville de Paris
Un vaste programme auquel s’attelle déjà la ville de Paris. La capitale est en effet en train de définir un plan local d’urbanisme bioclimatique pour encourager la mixité des usages, éviter l’imperméabilisation des sols, protéger la végétalisation et le patrimoine et restructurer plutôt que démolir. Par exemple, boulevard Morland, le promoteur Emerige réhabilite actuellement un ancien site administratif municipal en un programme immobilier neuf qui réhabilite l’édifice existant tout en érigeant deux nouveaux bâtiments. Sur 43.621 mètres carrés de surfaces de plancher, sortiront ainsi de terre en 2022 des bureaux, des logements, des commerces, une auberge de jeunesse, un hôtel, un restaurant, une crèche, une piscine, un marché alimentaire ou encore des espaces d’agricultures urbaine.
« L’intensité heureuse, c’est une imbrication heureuse des activités. C’est extrêmement complexe à penser, à concevoir et à réaliser, mais dès que vous ouvrez les programmes multiproduits sur la ville, ils sont réinvestis par les riverains », considère
Urbanisme : comment rendre la densité « heureuse »
Jessica Jung directrice générale de Bouygues Bâtiment Ile-deFrance - Rénovation Privée, constructeur de l’ensemble.
Elle ne croit pas si bien dire. Après avoir fait l’objet de multiples recours, l’emprise ferroviaire située le long de la rue Ordener dans le XVIIIème arrondissement va accueillir 400 logements - 50% sociaux, 20% intermédiaires et 30% libres - contre 620 initialement prévus, une résidence étudiante, une auberge de jeunesse, du coliving, des bureaux, une crèche, une école, des commerçants ESS, un cinéma, un conservatoire, un établissement d’enseignement supérieur, ainsi qu’un jardin public.
Ce dernier de plus de 1,5 hectare sera plus grand celui envisagé à l’origine et représentera un peu de la moitié de la parcelle de
3,7 hectares. Avant le démarrage des travaux en 2024 pour une livraison en 2025-2026, il se sera donc écoulé au moins une décennie pour trouver un consensus. « Il y a encore cinq-six ans, la société française n’avait pas cette vision. La crise a été un accélérateur, alors que nous avions déjà des signaux faibles avec l’intégration de la transition énergétique », justifie aujourd’hui Katayoune Panahi, directrice générale de SNCF Immobilier. habitats de qualité, des services de proximité, des interactions sociales et des loisirs, ainsi qu’une autonomie vis-à-vis de la voiture au profit de la marche, du vélo et des transports.
« Nous devons passer d’un urbanisme individualisé des années 70-80 à une politique de l’habiter qui englobe les questions de partage : comment vit-on son environnement au-delà de la cellule familiale. Cet urbanisme du partage pose des questions culturelles. Ce n’est pas dans notre ADN naturel, mais nous n’avons plus le choix », assène ainsi l’architecte Christine Leconte.
« Reste que tout le corpus législatif et réglementaire, sauf les décisions récentes comme la loi Climat et Résilience, repose sur le paradigme de la société de consommation de la reconstruction de l’après Deuxième guerre mondiale », approuve la directrice générale de SNCF Immobilier, Katayouna Panahi. Cette dernière invite ainsi les pouvoirs exécutif et législatif à reprendre la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique de 1985 qui fixe les relations avec les maîtres d’oeuvres privés en définissant « des critères de rémunération du maître d’oeuvre qui intègrent la performance environnementale ».
« Aujourd’hui, je dois aller voir le promoteur, l’aménageur et la collectivité, pour que chacun fasse un effort, rogne sur ses marges », témoigne-t-elle.
« Pourquoi le prix du foncier dépend encore de sa constructibilité à contresens de la sobriété de la fabrique urbaine ? Pourquoi ne révisons-nous ce système pour inciter la mobilisation du foncier en faveur la fois de l’environnement et de la création de logements ? », signale-t-elle encore.
Que dire alors du parc des maisons existantes dont 62% sont sous-peuplées, c’est-à-dire avec une personne pour 150 m², généralement une personne âgée qui ne peut plus monter les escaliers ? « Quelles alternatives pour les seniors qui veulent revenir en ville ? » s’interroge la présidente du conseil de l’ordre des architectes, Christine Leconte, à l’origine de cette donnée.
« Offrons de la densité positive et souhaitée ! », s’exclame-t-elle. Vaste programme...