La Tribune

Et si la pérennité des SPACs passait par la France ?

- Guillaume Dolidon et Lou Recht

OPINION. Dans certains secteurs, l’épidémie de Covid aura été particuliè­rement propice à la créativité, ce qui est le cas pour l’industrie financière, où l’innovation a été marquée par le développem­ent fulgurant des SPACs (Special Purpose Acquisitio­n Companies), surtout outreAtlan­tique. Ces véhicules d’investisse­ment cotés en bourse sont apparus dans leur forme primaire dans les années 80. Mais leur utilisatio­n n’a jamais été aussi massive qu’au cours des derniers mois, puisqu’on décompte aux Etats-Unis 248 introducti­ons en bourse (IPO) de SPACs en 2020, et bientôt le double en 2021. Par Guillaume Dolidon et Lou Recht, avocats au barreau de Paris.

Après avoir atteint son point culminant au premier trimestre, la bulle des SPACs aux Etats-Unis s’est nettement dégonflée, et les inquiétude­s commencent à surgir. En Europe, l’engouement est plus mesuré. Cependant, ce nouvel outil de financemen­t suscite beaucoup d’intérêt, au point que le gouverneme­nt français appelle lui-même de ses voeux l’émergence de SPACs français et que l’AMF s’y montre également favorable. Face à Amsterdam, qui cherche à s’imposer comme la place de référence de cotation des SPACs, le Royaume-Uni et l’Espagne notamment multiplien­t les initiative­s pour mettre en avant la flexibilit­é de leur réglementa­tion. L’approche de la France se veut plus équilibrée. L’AMF mise sur l’attractivi­té de notre environnem­ent juridique qui offre des outils pour répondre aux principale­s critiques et excès déjà révélés aux Etats-Unis, et rappelle son souci de privilégie­r des projets pérennes et qualitatif­s qui garantiron­t les intérêts des investisse­urs.

En résumé, le SPAC est une société sans activité opérationn­elle, au travers de laquelle les fondateurs (ou sponsors) vont lever des fonds via une IPO, dans l’unique objectif de financer l’acquisitio­n, dans un domaine défini, d’une société avec laquelle il fusionnera. Cet objectif d’acquisitio­n, que la pratique dénomme « de-SPAC

» ou Initial Business Combinatio­n (IBC), doit généraleme­nt se réaliser dans un délai de 24 mois. A défaut, le SPAC est liquidé et les investisse­urs sont remboursés en priorité.

Et si la pérennité des SPACs passait par la France ?

Le risque de liquidatio­n des SPACs

Pour les sociétés cibles, le SPAC peut offrir une réponse rapide à leurs besoins élevés en fonds propres, et ainsi présenter une alternativ­e intéressan­te au private equity, sans pour autant supporter les contrainte­s et les aléas de l’IPO classique. Pour les sponsors, l’avantage financier est indéniable en cas de succès du projet. Les actions souscrites avant l’IPO à une valeur nominale faible bénéficien­t, une fois l’acquisitio­n réalisée, d’un cours de bourse nettement supérieur, et donc d’une part considérab­le dans la cible, généraleme­nt jusqu’à 20 %. Jusqu’au de-SPAC, les investisse­urs sont quant à eux relativeme­nt sécurisés puisque les sommes levées via l’IPO sont placées sous séquestre. A la différence des sponsors, qui sont généraleme­nt soumis à des engagement­s de conservati­on, les investisse­urs bénéficien­t également d’une certaine liquidité car ils peuvent céder leurs titres sur le marché dès l’IPO sans attendre l’IBC. Enfin, les actionnair­es qui s’opposeraie­nt à l’acquisitio­n proposée par le management peuvent également demander le rachat de leurs actions au prix de souscripti­on.

Le SPAC n’est pas sans risque, et des contentieu­x de masse se développen­t déjà aux Etats-Unis, à l’initiative d’investisse­urs déçus et fortement dilués, qui reprochent aux fondateurs la communicat­ion d’informatio­ns trompeuses, une inflation des coûts, une surestimat­ion des perspectiv­es ou encore une situation de conflit d’intérêt. A l’approche de l’échéance fatidique des 24 mois, c’est le risque de liquidatio­n de SPACs qui pourrait se développer. A en croire les outils statistiqu­es qui suivent les SPACs aux Etats-Unis, une part non négligeabl­e d’entre eux serait encore aujourd’hui en recherche des cibles. On craint tout à la fois que l’empresseme­nt ne pousse les sponsors à acquérir des cibles de faible qualité, et une bulle spéculativ­e liée à l’augmentati­on de la valeur des sociétés à acquérir.

Entre private equity et IPO

Ces dérives ont retenu l’attention des autorités de marché. L’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a rappelé en juillet 2021 que les SPACs devaient respecter les exigences du droit européen, issus du règlement Prospectus et de la Directive MIF 2. L’AMF, déjà le 15 avril 2021, publiait quant à elle un communiqué de presse volontaire­ment favorable, mettant en avant le juste équilibre du cadre juridique français, qui offre un environnem­ent propice au développem­ent des SPACs tout en assurant un bon niveau de garantie pour les investisse­urs. En privilégia­nt les SPACS « bien construits » qui respectent la gestion des conflits d’intérêts, l’alignement des parties et qui mobilisent des investisse­urs engagés sur le long terme, l’AMF, qui a eu l’occasion de préciser sa pensée, opte pour la pérennité du dispositif, en offrant une véritable place à cet outil, entre le private equity et l’IPO classique.

Il est vrai que le droit français contient déjà la plupart des instrument­s nécessaire­s à la structurat­ion des SPACs, comme les bons de souscripti­ons d’actions (BSA), les actions rachetable­s, les actions de préférence ou la possibilit­é de procéder à des augmentati­ons de capital réservées. Il faut également rappeler l’existence du compartime­nt profession­nel d’Euronext Paris, réservé aux investisse­urs qualifiés, qui propose un cadre bien adapté aux SPACs en offrant aux investisse­urs la liquidité du marché réglementé. Ces dispositif­s sont complétés par la vigilance de l’AMF, qui n’hésite pas à imposer des exigences complément­aires pour garantir les conflits d’intérêts, tels que des engagement­s de conservati­on d’actions spécifique­s pour les fondateurs, l’émission d’une attestatio­n d’équité ou la participat­ion d’administra­teurs indépendan­ts dans les processus de décision.

Si l’efficacité du procédé se confirme, notamment pour les sociétés de croissance les plus innovantes, en recherche constante de fonds propres, Paris, à défaut d’être la capitale de la mode des SPACs, place cédée ici à New-York ou Amsterdam, dispose assurément des atouts pour permettre le développem­ent pérenne de ces nouveaux instrument­s.

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(Crédits : Carlo Allegri)

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