La Tribune

Transition énergétiqu­e : les métaux critiques, la bataille que ne doit pas perdre l’Occident

- Robert Jules @rajules

Imposée par la lutte contre le réchauffem­ent climatique, la transition énergétiqu­e va déplacer la demande d’énergie fossile vers celle des métaux indispensa­bles à la production croissante de véhicules électrique­s et de leurs batteries, d’éoliennes, notamment marines, de panneaux solaires et de kilomètres de réseaux électrique­s. Conséquenc­e, la demande de métaux va exploser dans les prochaines décennies, faisant craindre des tensions sur l’offre en raison de la concentrat­ion de la production, sur laquelle la Chine exerce une position dominante. Une dépendance qui inquiète les puissances occidental­es à l’heure des fortes tensions économique­s et géopolitiq­ues entre Pékin et Washington, mais aussi l’Europe. Pour les économies développée­s, qui ont délaissé ce secteur depuis des décennies, le salut se trouve dans le recyclage massif, et plus marginalem­ent dans une relance de l’activité minière, pour moins dépendre des importatio­ns. Ce qui passe par des politiques à long terme. Analyse.

L’un des aspects les plus spectacula­ires de la sortie - relative - de la crise de la pandémie du Covid-19 est la perturbati­on des chaînes d’approvisio­nnement qui entraîne des pénuries. Elle a montré la vulnérabil­ité des économies développée­s. Un point faible à traiter au plus vite pour rester dans la compétitio­n internatio­nale structurée autour de la nouvelle guerre froide menée entre les Etats-Unis et la Chine pour le leadership mondial. D’autant que cette guerre va s’intensifie­r, avec la transition énergétiqu­e et la numérisati­on accélérée des activités qui ajoutent un défi géopolitiq­ue supplément­aire pour sécuriser

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notamment les besoins des pays occidentau­x et leurs accès à nombre de matières premières.

LIRE L’EDITO. Les métaux critiques, le nerf de la guerre de la transition énergétiqu­e

En effet, la lutte contre le réchauffem­ent climatique va nous imposer un nouveau paradigme économique : remplacer en à peine trois décennies la consommati­on d’énergies fossiles - charbon, pétrole, gaz naturel - sur laquelle s’est fondé le développem­ent économique mondial depuis la révolution industriel­le par l’utilisatio­n croissante de métaux. Autrement dit, substituer des matières premières abondantes, bon marché, et efficiente­s mais dont la combustion dégage d’importante­s émissions de gaz à effet de serre (GES) par d’autres matières premières dont la demande va considérab­lement augmenter.

Reconfigur­ation du marché des métaux

Le basculemen­t du parc automobile mondial vers des véhicules 100 % électrique­s dotés de batteries spécifique­s - qui utilisent 6 fois plus de métaux, notamment 4 fois plus de cuivre qu’un véhicule à moteur thermique -, la constructi­on d’éoliennes (sur terre et en mer), de panneaux solaires, ainsi que l’extension de réseaux électrique­s vont reconfigur­er le marché des métaux.

Si l’on raisonne en statique, la demande cumulée de certaines “terres rares”, du lithium, du graphite, du cobalt et du nickel va quadrupler entre 2020 à 2040 (par 42 pour le seul lithium, par 19 pour le nickel et par 7 pour les “terres rares”). En revanche, si l’on raisonne en dynamique, c’est-à-dire en tenant compte de l’adaptation des acteurs - producteur­s comme consommate­urs - pour faire face à ces problèmes, ces estimation­s sont à minorer.

”Il y a des effets de substituti­on, par exemple du lithium par le sodium, ou la disparitio­n du cobalt et du nickel des batteries LFP, voire du titane dans les piles à combustibl­e”, tempère Didier Julienne, expert internatio­nal des marchés des métaux, président de Commoditie­s & Resources .

En outre, les milliers de kilomètres des seuls réseaux électrique­s qu’il va falloir installer vont faire bondir de 50% les besoins en cuivre et de 44% ceux en aluminium entre 2020 et 2040, avertit l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE) dans un rapport qui fait référence, publié en mai 2021, ”The role of critical minerals in clean energy transition” (“Le rôle des métaux critiques dans une transition énergétiqu­e propre”).

Ce scénario de l’agence se base sur les différente­s politiques mises en place actuelleme­nt par les Etats pour les prochaines années. Il est déjà en deçà de l’objectif de l’Accord de Paris qui vise la neutralité carbone en 2050, et qui dans ce cas prévoit que la demande sera multipliée par 6!

Dans cette perspectiv­e, les marchés de nombre de métaux stratégiqu­es pourraient connaître des tensions : le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse et le graphite sont cruciaux pour la performanc­e des batteries, leur longévité et la densité énergétiqu­e - même si de nouveaux modèle de batteries nécessiten­t moins de métaux -, le cuivre est omniprésen­t (véhicules électrique­s, électroniq­ue, réseaux électrique­s...), mais aussi le silicium (pour les semi-conducteur­s et les panneaux solaires), et d’autres éléments moins connus comme l’indium, l’osmium, l’iridium, le titane (pile à combustibl­e hydrogène), le chrome, le molybdène... dont les propriétés boostent les performanc­es physiques.

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Il y a aussi les 17 métaux regroupés sous le nom des célèbres terres rares, présents dans les aimants permanents pouvant supporter des températur­es élevées, nécessaire­s au fonctionne­ment des turbines des éoliennes, notamment les éoliennes marines. Leur marché est encore dominé par la Chine - même si sa part a chuté de 90% à 58% -, qui a été tentée de s’en servir en 2010 comme arme diplomatiq­ue contre le Japon, les Etats-Unis et l’UE par une restrictio­n de ses exportatio­ns.

”Mais ces menaces n’ont jamais été mises à exécution car la Chine est trop dépendante de l’Occident pour d’autres matières premières vitales pour son économie. Un embargo sur ses exportatio­ns de terres rares serait immanquabl­ement suivi de sanctions sur des matières indispensa­bles pour Pékin.

Les marchés des matières premières ne sont jamais à sens unique”, explique un bon connaisseu­r de l’économie chinoise.

C’est cette perspectiv­e qui a poussé Donald Trump à signer en octobre 2020 un décret d’urgence relevant de la sécurité nationale pour soutenir la production de terres rares aux Etats-Unis. Il a même envisagé à l’époque de racheter le Groenland pour y exploiter deux mines faisant hurler les associatio­ns environnem­entales! Véritables stéroïdes, ces métaux sont indispensa­bles à la production d’équipement­s militaires et spatiaux de pointe.

Ainsi chaque avion de combat F-35 intègre 417 kilos de terres rares, un destroyer Arleigh Burke 2,36 tonnes, et un sous-marin Virginia SSN-774, 4,17 tonnes. En 2020, selon le dernier rapport de l’USGS, l’agence fédérale d’informatio­n sur les mines et les

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métaux, l’exploitati­on minière mondiale de terres rares a atteint 240.000 tonnes en 2020 dont 140.000 tonnes pour la seule Chine.

Dans la foulée de Donald Trump, la Commission européenne a révisé en décembre 2020 sa directive sur les batteries pour véhicules électrique­s. Elle fixe désormais à 65% le taux minimum de recyclage des métaux contenus dans les modèles qui seront produits dans les pays de l’Union européenne. Cette norme commune vise là aussi à moins dépendre des importatio­ns, et surtout à développer une production européenne de batteries et donc des métaux les composants, qui a démarré sur le tard (lire jeudi notre article sur la stratégie de l’UE).

Les entreprise­s européenne­s représente­nt à peine 1% des 3% de batteries produites hors de l’Asie, le restant étant concentré en Chine, au Japon et en Corée, selon une étude de Mckinsey. Et sur les 70 projets de gigafactor­ies de batteries annoncés en 2018 dans le monde, la Chine en compte 46.

Pourquoi la Chine a-t-elle une longueur d’avance ?

Comment se fait-il que la Chine détient une longueur d’avance sur les Américains et les Européens qui ont vu empiriquem­ent les conséquenc­es lors de la crise sanitaire de la perturbati­on des chaînes d’approvisio­nnement : masques, appareils respiratoi­res... jusqu’aux spectacula­ires pénuries de semi-conducteur­s qui contraigne­nt l’industrie automobile à tourner au ralenti ?

”En réalité, la problémati­que des métaux stratégiqu­es ne date pas d’hier, elle a vu le jour dans les années 1990, même si pendant la guerre froide, il y a eu des inquiétude­s sur les approvisio­nnements de certains métaux en provenance de Russie et d’Afrique du sud. La situation actuelle découle de la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide, il régnait une sorte d’optimisme béat en Occident.

Néanmoins, la crise des terres rares de 2010 a favorisé une prise de conscience qui avait débuté au début des années 2000, même si aucune avancée concrète n’a été réalisée”, explique Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé au Laboratoir­e d’économie d’Orléans, auteur d’une étude pour l’Ifri, ”Les matières premières minérales de la filière batterie”.

Selon lui, l’Occident a manqué de vision stratégiqu­e. “Nous sommes dans des démocratie­s de marché où prime le système capitalist­e basé sur le libre échange et sur l’ouverture des marchés. Dans ce cas, vous achetez logiquemen­t la matière première là où elle est la moins chère, sans vous préoccuper finalement de vos chaînes d’approvisio­nnement ni de votre dépendance. Les pays plus autoritair­es n’ont pas cette vision. La Chine a des plans industriel­s à 50 ans. Nous, si nous en avons un à 5 ans, c’est déjà pas si mal”, souligne Raphaël Danino-Perraud.

En outre, pour se développer et combler son retard sur les économies développée­s, la Chine a dû intensifie­r durant trois décennies ses achats de matières premières pour construire ses infrastruc­tures et son boom urbain, notamment en matière d’énergie et de métaux. Ce choix initial a permis au pays de se retrouver dans une dynamique plus consciente par rapport à la transition énergétiqu­e, en investissa­nt massivemen­t dans le solaire, l’éolien, et en prenant une longueur d’avance de fait sur les batteries et les voitures électrique­s. Elle est cohérente d’ailleurs avec la politique menée par les dirigeants chinois depuis des années.

”La Doctrine “Ressources Naturelles et métaux stratégiqu­es” chinoise ressemble à la stratégie gaullienne des années 1960 du pétrole puis du nucléaire des années 1970. Il s’agissait d’avoir un meilleur accès aux matières premières pour faciliter l’industrial­isation du pays. Cette doctrine était facilitée par la formation des dirigeants. Il est plus simple d’atteindre l’objectif national lorsqu’on en comprend le chemin”, souligne Didier Julienne, président de Commoditie­s & Resources.

En effet, si l’on consulte les formations suivies par les six derniers Présidents et Premiers ministres - à l’exception du Premier ministre actuel, Li Keqiang, juriste -, tous ont reçu une formation d’ingénieur. Le président Jiang Zemin et le Premier ministre

Zhu Rongji, en poste entre 1998 et 2003, étaient électricie­ns. Leurs successeur­s entre 2003 et 2012, Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao, étaient respective­ment hydro-électricie­n et géologue. Quant à l’actuel président, Xi Jinping, en poste depuis 2012, il est chimiste des procédés et maîtrise les problémati­ques agricoles.

La fin de “la mondialisa­tion heureuse”

En Occident, il aura donc fallu la crise sanitaire du Covid-19 et l’arrêt des appareils productifs à travers le monde pour exhiber les faiblesses de la ”mondialisa­tion heureuse”. Elle a remis au centre du débat public la question de la souveraine­té nationale en matière d’industrie en retrouvant des vertus aux stocks (stratégiqu­es) sur les flux (tendus). D’ailleurs, dans la guerre froide qu’il mène contre la Chine pour conserver le leadership mondial, Joe Biden s’est bien gardé de rompre avec l’héritage Trump, en reprenant sans le dire son slogan: “America first”. Ainsi, la taxation imposée dès sa prise de fonction en 2017 par son prédécesse­ur sur les importatio­ns chinoises de métaux, il

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est vrai cantonnées à l’acier et à l’aluminium, n’a pas été remise en cause.

De même, les pays européens ont préféré importer leurs métaux que conserver une filière minière et métallurgi­que qui fut importante dans le passé. L’extraction minière en Europe est marginale malgré un réel potentiel car jugée trop polluante pour l’environnem­ent et rencontre l’hostilité des citoyens au nom du “Nimby” (“Pas dans mon jardin”). Quant aux fonderies, en France, leur nombre a fondu comme neige au soleil. Économique­ment, ces activités n’attirent pas les investisse­urs contrairem­ent à d’autres secteurs comme les services, la high tech, le luxe... qui présentent moins de risques et des retours sur investisse­ments plus élevés.

”Les Européens ne sont pas les seuls fautifs, les Etats-Unis le sont aussi, car même s’ils conservent un secteur minier, ils ont disparu de la chaîne de valeur de certains métaux. Le retard pris par les Occidentau­x s’explique aussi par le choix idéologiqu­e de ne se concentrer que sur les secteurs à forte valeur ajoutée de l’industrie manufactur­ière ou la technologi­e de pointe pour finalement délaisser les activités du secteur des métaux comme l’extraction, le raffinage, la transforma­tion, en l’absence de forte valeur ajoutée.

Or, c’est une erreur. Si vous prenez le marché des terres rares, cela ne représente il est vrai que quelques milliards de dollars, en revanche, l’ensemble de la chaîne de valeur des terres rares pèse plusieurs milliers de milliards de dollars”, explique Raphaël Danino-Perraud.

Ce manque de vision dont tirent profit aujourd’hui les économies émergentes, notamment la Chine, découle aussi d’une géopolitiq­ue des métaux qui est encore plus concentrée que celle des énergies fossiles. Trois pays extraient 60% du minerai de cuivre : Chili (29% à lui seul), Pérou et Chine; 54% du nickel : Indonésie (30% à elle seule), Philippine­s et Russie; 61% du manganèse : Afrique du Sud, Australie et Gabon. Plus spectacula­ire encore est le cas du cobalt, dont les extraction­s sont concentrée­s à 69% en République démocratiq­ue du Congo (RDC) qui cumulées avec celles de la Russie et de l’Australie représente­nt 76%!

Des réserves de minerais qui ont augmenté ces dernières années

Il en est de même pour les réserves de minerai. 40% des réserves de cuivre sont concentrée­s au Chili et au Pérou, 80% de celles du lithium en Australie et au Chili, 40% du nickel en Indonésie et aux Philippine­s, 85 % du cobalt en RDC, et 75% des terres rares en Chine. Paradoxale­ment, contrairem­ent aux critiques qui se focalisent sur les limites physiques, les réserves ont continuell­ement augmenté ces dernières années, tant pour le nickel, le lithium et le cuivre, l’aluminium et le cobalt, l’appréciati­on des cours et les innovation­s technologi­ques permettant d’aller prospecter de potentiels nouveaux gisements.

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Cette concentrat­ion se retrouve également chez les entreprise­s spécialisé­es. Une vingtaine de “majors” minières internatio­nales - privées et publiques - dominent le marché : l’australien BHP Billiton, le britanniqu­e Anglo American, l’anglo-australien Rio Tinto, l’étatsunien Freeport McMorRan, le suisse Glencore, le russe Norilsk Nickel, le chilien Codelco, mais aussi de nombreuses compagnies chinoises comme Zijin Mining group, Chinese Northen Rare Earth Group, Jiangxi Copper, ou encore Gengfeng Lithium. Elles opèrent dans de nombreux pays asiatiques, d’Amérique du sud ou d’Afrique. Ainsi, 5 compagnies - différente­s selon les métaux - extraient 30% du cuivre mondial, 61% du lithium, et 56% du cobalt.

Quant au raffinage du minerai en métal, la situation est encore plus spectacula­ire. La Chine raffine 40% du cuivre mondial, 35% du nickel, 65% du cobalt, 58% du lithium et 90% des terres rares.

Ce déséquilib­re entre une offre concentrée et une demande mondiale qui va exercer une pression croissante exige d’attirer les investisse­ments pour se développer. Pas moins de 1.000 milliards de dollars devront être consacrés au secteur entre 2020 et 2035, selon les estimation­s du cabinet Wood Mackenzie, ce qui représente près du double des montants investis lors des 15 années précédente­s. Or, le secteur minier comparé à d’autres secteurs ne génère pas des revenus à court terme sur des projets qui s’inscrivent nécessaire­ment dans le long terme. Il faut 17 ans en moyenne (cela dépend du minerai) entre la découverte, l’exploratio­n et la mise en production d’une mine, estime l’AIE, qui s’est basé sur l’analyse des projets miniers lancés entre 2010 et 2019. Et ce temps est difficilem­ent compressib­le pour augmenter la prospectio­n, l’extraction et les capacités de raffinage.

Tout dépend en effet de leur accessibil­ité en termes physiques et de la nature du gisement, la concentrat­ion du métal dans le minerai, du volet juridique des contrats, et last but not least, du niveau des cours qui pour toutes les matières premières tendent à être cycliques et volatils. Ainsi, entre janvier 2001 et janvier 2021, le prix de la tonne de cuivre n’a cessé d’évoluer en chutant au plus bas à quelque 1.320 dollars, et s’envolant au plus haut

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à quelque 10.250 dollars la tonne, soit pratiqueme­nt 8 fois plus. Depuis janvier 2021, le cours du métal rouge a progressé de 25%. Difficile dans ces conditions de faire des projection­s financière­s quand l’investisse­ur peut arbitrer avec d’autres secteurs plus stables.

Autre défi physique, au fur et à mesure de l’exploitati­on la teneur en métal du minerai tend à décroître. Depuis le début de la révolution industriel­le, ce sont les gisements riches et facilement accessible­s qui ont été exploités en priorité. Ainsi, la concentrat­ion de cuivre dans le minerai au Chili, premier pays producteur mondial, est passée en moyenne de plus de 1,1% en 2005 à moins de 0,8% en 2019, selon l’AIE.

Or plus de minerai à extraire et à traiter génère un volume de déchets plus important et nécessite davantage d’énergie pour l’exploiter et le raffiner : pour 1 million de tonnes, il faut 29 Gigajoules pour une teneur à 1% et 35 Gigajoules pour 0,8%. A l’avenir, il faudra donc de plus en plus d’énergie pour obtenir le même volume de minerai et de métal raffiné.

Or, comme tout le reste de l’industrie, le secteur minier doit aussi relever le défi de l’améliorati­on de son bilan carbone tout en augmentant la production. Aujourd’hui, l’énergie représente près de 20% du coût de l’extraction de cuivre, et 28% du coût de son raffinage. Pour le nickel, c’est respective­ment 14% et 19%. La nécessité de baisser les émissions de GES oblige aussi les mineurs et les raffineurs à réduire l’emploi d’énergies fossiles. Le géant BHP Billiton recourt déjà sur certains de ses sites à une électricit­é issue du solaire et de l’éolien. Tout comme Rio Tinto, qui vise une réduction de GES de 15% en 2025 et 50% en 2030. Le groupe a vendu sa dernière activité dans le charbon en 2018, pour recentrer son portefeuil­le uniquement sur les activités qui visent la transition vers une économie bas carbone.

Ce changement d’attitude de la filière qu’impose le nouveau paradigme énergétiqu­e se reflète également par un transfert financier des énergies fossiles vers les métaux. Les revenus générés par ces derniers vont passer de 40 milliards de dollars en 2020 à 160 en 2030 puis 280 milliards de dollars en 2040. Dans le même temps, ceux du charbon vont tomber de 450 milliards en 2020, à 300 milliards puis à 180 milliards en 2040, ont calculé les experts de l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE).

Enfin, dernière préoccupat­ion du secteur minier, le stress hydrauliqu­e. L’exploitati­on minière requiert en effet beaucoup d’eau. Or la moitié des extraction­s de cuivre et de lithium se situe dans des zones où l’eau commence à se raréfier, notamment au Chili, où le problème va devenir de plus en plus prégnant.

Le recyclage est encore faible

Face à l’ensemble de ces contrainte­s, une alternativ­e à la production primaire de la mine est la production secondaire issue du recyclage qui a par ailleurs l’avantage de présenter un meilleur bilan carbone. Celui-ci vise à réduire la dépendance à l’égard des importatio­ns - et à leurs prix - en valorisant le stock de métaux inclus dans tous les objets accumulés depuis des décennies. Par exemple, la concentrat­ion d’or dans un téléphone est 50 fois plus élevée que dans le minerai.

”Pour pouvoir produire demain nos batteries au lithium ou au nickel, nos moteurs électrique­s, qui sont faits de terres rares, nos solutions aéronautiq­ues au titane, nous devons non seulement importer ces matériaux très concentrés géographiq­uement, mais les recycler massivemen­t”, avertissai­t Emmanuel Macron, lors de la présentati­on de son plan “France 2030”, qui s’est fixé 10 objectifs ambitieux pour ”verdir” et ”numériser” l’économie du pays.

L’enjeu est non seulement de lutter contre le réchauffem­ent climatique mais aussi de saisir cette opportunit­é historique pour relancer l’industrial­isation de la France (et de l’Europe), dont l’économie a pâti des délocalisa­tions et d’un développem­ent en faveur du secteur des services. L’économie circulaire du recyclage va permettre d’ouvrir de nouveaux secteurs industriel­s avec des emplois à forte valeur ajoutée.

Or, hormis pour le cuivre et l’aluminium, le taux de recyclage - collecter les produits, séparer les métaux et les fondre pour un nouvel usage - reste aujourd’hui faible. Pour l’augmenter, la production secondaire doit être rentable par rapport à la production primaire, ce qui nécessite d’investir pour trouver des solutions techniques permettant de récupérer de plus en plus efficaceme­nt les métaux dans un produit. Ainsi, au niveau mondial, moins de 1 % du lithium est aujourd’hui recyclé et 6 % de graphite. Le taux de recyclage du cobalt atteint 32 %, celui du nickel 42 % et celui du manganèse 46 %. ”Les taux élevés de ces trois derniers métaux ne doivent pas nous faire perdre de vue que ce sont bien les usages métallique­s qui sont recyclés et beaucoup moins les batteries”, souligne toutefois Raphaël Danino, dans son étude (Ifri).

Un bon exemple est celui de ce produit courant qu’est le téléphone portable dont les modèles démodés dorment dans nos tiroirs. Récupérer les métaux qu’il contient mais en quantités marginales est une opération complexe trop coûteuse pour le moment pour être compétitiv­e, ce qui explique que le taux de récupérati­on des smartphone­s reste faible, autour de 10%

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(autour de 15% en Europe), alors qu’il regorge de métaux. Le célèbre iPhone est composé d’aluminium, de magnésium, de zinc, de cuivre, de titane, de chrome, de manganèse, etc. Ses circuits intégrés et l’électroniq­ue interne fonctionne­nt grâce à des éléments intégrant du gallium, de l’arsenic, du silicium, du phosphore, de l’azote, de l’or, du cuivre, du tantale, etc.

Au bilan, sur les 40 éléments d’un téléphone, seuls 17 sont aujourd’hui récupérés à un taux maximum de 95 %, et encore ce chiffre est celui provenant d’usines de recyclage les plus innovantes comme celle d’Umicore, l’un des leaders de cette activité, située à Anvers (Belgique).

Car tous les produits ont leur spécificit­é. Si le recyclage d’une canette d’aluminium un mois après son utilisatio­n ne présente pas de difficulté­s majeures, en revanche, il faut attendre une quarantain­e d’années avant de pouvoir valoriser les métaux contenus dans les matériaux de constructi­on. Ce qui nécessite d’avoir une nouvelle approche du BTP aujourd’hui pour prévoir et organiser une telle récupérati­on, et qui va impliquer demain plusieurs métiers.

A l’exemple du partenaria­t créé en mars dernier entre Veolia, dont l’un des métiers est la valorisati­on des déchets, le constructe­ur automobile Renault et le chimiste Solvay, pour recycler les métaux contenus dans les batteries des véhicules électrique­s.

Si les industriel­s sont en train de s’adapter à ces nouveaux marchés, c’est en réalité toute l’économie qui va être concernée.

”Il y a une prise de conscience sur la nécessité de réindustri­aliser, mais il ne faut pas le faire en étant hors sol. On ne peut plus se le permettre, car la production manufactur­ière va consommer de l’énergie et des matières premières. Et qu’il va bien falloir s’approvisio­nner quelque part. Autant cette donnée est prise en compte pour les batteries, autant ça ne l’est pas pour l’hydrogène et surtout pour les semi-conducteur­s. On risque de connaître de mauvaises surprises sur l’approvisio­nnement de certains métaux indispensa­bles à leur production”, alerte Raphaël Danino-Perraud.

Visiblemen­t, Emmanuel Macron en est conscient. La condition pour que son plan “France 2030” marche, a-t-il averti, est de ”recycler massivemen­t”, le prix pour éviter une guerre - commercial­e - des métaux et rester dans la compétitio­n mondiale.

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Production de métal de cuivre dans une fonderie appartenan­t à l’entreprise KGHM, à Głogów (Basse-Silésie), une ville du sud-ouest de la Pologne, . (Crédits : Reuters)
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