La Tribune

Oups, le gang Conti sort renforcé d’une cyberattaq­ue éthique

- François Manens @FrancoisMa­nens

L’entreprise de cybersécur­ité Prodaft a réussi la prouesse de hacker le serveur d’un gang cybercrimi­nel, dans l’espoir de le démanteler de l’intérieur. Problème : cette surveillan­ce n’a pas porté ses fruits. Pire encore, le groupe Conti semble ressortir plus fort de cette mésaventur­e.

Pas si facile de faire la nique à un gang cybercrimi­nel ! Pourtant, l’entreprise suisse Prodaft avait réussi un coup d’éclat rare. Dans une analyse publiée le 18 novembre, elle explique comment elle a hacké un serveur de Conti, un des groupes de cybercrimi­nels les plus actifs des deux dernières années. Mais, malgré son accès privilégié, elle n’a pas réussi à le mettre hors d’état de nuire.

Conti opère un rançongici­el, un logiciel malveillan­t capable de paralyser l’activité d’une entreprise pour lui proposer ensuite un déblocage contre le paiement d’une rançon. Pour accompagne­r cette prise en otage des données, le gang -à l’instar de ses semblables- possède un portail de négociatio­n, un site web qu’il maintient lui-même, sur lequel il discute du paiement de la rançon avec les représenta­nts de la victime. En cas de paiement (une décision unanimemen­t déconseill­ée par les spécialist­es), il transmettr­a le code nécessaire au déchiffrem­ent des données par ce canal.

Pendant un mois, Prodaft a eu accès aux commandes de ce site de négociatio­n. Pour y parvenir, ils ont trouvé l’adresse IP du serveur [une adresse attribuée à chaque machine pour la situer sur Internet, Ndlr] dissimulée par plusieurs subterfuge­s, grâce à

Oups, le gang Conti sort renforcé d’une cyberattaq­ue éthique

l’exploitati­on d’une vulnérabil­ité. Autrement dit, ils ont hacké les cybercrimi­nels, découvert l’adresse 217.12.204 propriété d’un hébergeur ukrainien, puis obtenu l’accès au serveur. Mais ce qui semble a priori un coup dur pour Conti n’a finalement pas eu l’effet escompté.

Des informatio­ns inexploita­bles sur les cybercrimi­nels

De l’intérieur, les chercheurs de Prodaft ont pu noter les adresses IP des machines qui communiqua­ient avec le serveur des malfaiteur­s. Parmi elles, forcément, des ordinateur­s appartenan­t aux victimes et à leurs prestatair­es. Mais aussi, des adresses IP depuis lesquelles les cybercrimi­nels lançaient des commandes sur le serveur.

Malheureus­ement, ces informatio­ns ont été insuffisan­tes pour remonter jusqu’aux membres de Conti ou même jusqu’à leurs machines. Et pour cause : tous les cybercrimi­nels ont appliqué une précaution de base, en utilisant le réseau Tor pour se connecter au portail de négociatio­n. Résultat : les adresses IP récupérées par les chercheurs correspond­aient à des noeuds Tor, c’est-à-dire à des serveurs par lesquels transitent le trafic de plusieurs ordinateur­s.

À partir de là, impossible pour eux de remonter jusqu’à la source du trafic, c’est-à-dire à la machine utilisée par les cybercrimi­nels. Et pour cause : Tor « masque » l’adresse IP de ses utilisateu­rs en faisant passer sa connexion par au moins trois noeuds, des serveurs maintenus bénévoleme­nt. Grâce à un fonctionne­ment spécifique, chaque noeud ne connaît que l’adresse IP du précédent, et seul le premier noeud connaît l’adresse IP de la machine de l’utilisateu­r. Résultat : remonter à la source à partir du troisième noeud relève du quasi-impossible. Un des problèmes de ce mode de fonctionne­ment anonyme, c’est que les requêtes deviennent très lentes par rapport à une navigation classique par Chrome, Firefox, ou Safari.

Si les chercheurs n’ont pas réussi à identifier les membres du gang, ils ont tout de même récupéré dans leur moisson une version “hashée” (c’est-à-dire modifiée par un algorithme) du mot de passe du serveur. Selon la complexité de l’identifian­t, il pourrait être possible de le découvrir, mais ce trésor de guerre reste avant tout symbolique.

Les cybercrimi­nels en ressortent plus forts... et plus arrogants

D’après The Record, le gang hacké a mis son portail de paiement hors ligne peu après la publicatio­n de Prodaft. En conséquenc­e, pendant un peu plus de 24 heures, le temps que le gang vérifie son infrastruc­ture, ses victimes ne disposaien­t plus d’aucun moyen pour le contacter.

Une fois l’incident clos, Conti a sorti un communiqué provoquant et insultant sur son site, dans le but, entre autres, de rassurer ses affiliés -les hackers partenaire­s chargés de lancer les cyberattaq­ues. « Tout fonctionne pour le mieux, notre infrastruc­ture est intacte et nous allons mettre les pleins gaz », préviennen­t les cybercrimi­nels. Ils vont même jusqu’à lancer une pique aux chercheurs :

« Aucune informatio­n essentiell­e sur nos équipes ou nos réseaux n’a été révélée. L’incident a été le déclencheu­r nécessaire pour nous pousser à faire les vérificati­ons nécessaire­s, et nous fonctionno­ns désormais de façon plus fluide et plus sécurisée que jamais. »

Sur ce dernier point, Prodaft s’est attirée les foudres de certains de ses pairs. Si l’entreprise précise qu’elle a partagé ses informatio­ns avec les forces de l’ordre, ce genre de collaborat­ion se fait habituelle­ment dans l’ombre, afin de ne pas révéler des informatio­ns compromett­antes aux cybercrimi­nels. Dans le but, justement, d’éviter qu’ils se rendent compte de leurs faiblesses et ne les réparent avant que les autorités aient pu en tirer de la valeur.

Dommage pour les forces de l’ordre: l’Ukraine, où se trouvait le serveur, a montré dernièreme­nt qu’elle était ouverte à des collaborat­ions, comme dans le cas récent de l’arrestatio­n d’affiliés de REvil, menée par Europol. Mais Conti a désormais changé d’hébergeur, et il peut se reconcentr­er sur son activité malveillan­te. En plus de rançonner ces victimes, le gang a récemment orchestré la réappariti­on d’un partenaire de longue date et spécialist­e de la vente d’accès, le botnet Emotet, le logiciel malveillan­t le « plus dangereux du monde » d’après Europol,.

 ?? ?? Conti opère un rançongici­el, un logiciel malveillan­t capable de paralyser l’activité d’une entreprise pour lui proposer ensuite un déblocage contre le paiement d’une rançon. (Crédits : Steve Marcus)
Conti opère un rançongici­el, un logiciel malveillan­t capable de paralyser l’activité d’une entreprise pour lui proposer ensuite un déblocage contre le paiement d’une rançon. (Crédits : Steve Marcus)
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