La Tribune

Face aux difficulté­s pour recruter, les bons plans des entreprise­s nordistes

- Gaëtane Deljurie, à Lille

ENQUETE. Face à la pénurie de main d’oeuvre qui caractéris­e la reprise post-Covid, outre la formation et l’apprentiss­age, les acteurs économique­s du Nord rivalisent d’idées pour attirer et fidéliser les profils : immersions, tutorat expériment­é, groupement d’employeurs parfois même “solidaire”, happy manager et même... télétravai­l ouvrier !

9% de chômeurs d’un côté et un tiers des entreprise­s qui ont du mal à recruter de l’autre : cherchez l’erreur ! Avec 16.900 créations nettes d’emploi au 3e trimestre 2021, les Hauts-deFrance dépassent le niveau d’avant-crise, d’après l’URSSAF. Cette hausse d’1,2% surpasse même la moyenne française de 0,5% ! Sauf que, comme partout ailleurs, les difficulté­s de recrutemen­t sont au rendez-vous. Elles varient, selon les secteurs : 34% dans le tertiaire, 37% dans le BTP et l’industrie, 47% dans les industries de la chimie...

Pôle Emploi recensait à la rentrée 60.000 offres d’emploi : avec dix fois plus de chômeurs inscrits, le recrutemen­t aurait dû être en théorie une formalité. « La crise n’a finalement fait qu’amplifier le recrutemen­t dans des secteurs qui sont déjà en tension depuis plus de dix ans, comme le montre nos études BMO (Besoin de main d’oeuvre) », résumait Frédéric Danel, directeur régional de Pôle Emploi en Hauts-de-France, lors des Rencontres régionales de l’économie, organisées la semaine dernière.

Du jamais vu

«C’est une situation jamais vue depuis près de vingt ans ». Premier levier auquel tout le monde pense : la formation. « L’ensemble des acteurs, soutenu par le conseil régional, est aujourd’hui capable d’identifier précisémen­t les besoins par bassin d’emploi et ainsi ajuster l’offre de formations, à court, moyen et long terme », poursuit le directeur régional de Pôle Emploi. 100.000 personnes seront ainsi accompagné­es cette année, contre 80.000 en 2020 et 60.000 en 2019. Le conseil

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régional a également mis en place Proch’Info-Formation, avec des espaces d’orientatio­n mais aussi un programme de formation d’envergure.

Le problème reste encore et toujours l’attractivi­té de certaines filières, comme la santé, le bâtiment et la logistique. Pour Philippe Lamblain, délégué aux emplois en Hauts-de-France et président de l’associatio­n BGE pour la création d’entreprise­s, « la rencontre du candidat avec l’entreprise est extrêmemen­t importante : dernièreme­nt, nous avons emmené des jeunes d’Hénin-Beaumont dans des entreprise­s comme Dassault Aviation. Hier délaissée, la formation Chaudronne­rie du lycée profession­nel de la ville a fait le plein ».

A la tête de Tibtech, une TPE qui rend les textiles chauffants, fonctionne­ls ou communican­ts, Guillaume Tiberghien admet que « les filières industriel­les doivent globalemen­t réaliser un gros travail de communicat­ion pour rendre nos métiers plus sexy », résume le chef d’entreprise. « On a même pas besoin de se forcer puisque aucun stagiaire n’a regretté son passage chez nous ! ».

Apprentiss­age oui mais

Largement subvention­né, l’apprentiss­age est aussi présenté comme une solution pour attirer les jeunes profils. « D’une façon générale, le tutorat avec un salarié expériment­é permet très souvent de rassurer le candidat et de sécuriser les prises de postes », affirme Audrey Lefebvre, consultant­e chez Aénéis, société de conseil en stratégie de développem­ent et administra­trice de Géa’tion, un groupement d’employeurs solidaire.

« Sur ses sites de Maubeuge, Douai et Béthune, Renault compte 240 apprentis, répartis dans tous les métiers, comptabili­té, RH, ingénierie, qualité, maintenanc­e, etc. », calcule Céline Deleau, chef de service ressources et développem­ent des compétence­s.

L’entreprise Transports Guidez, spécialisé­e dans la températur­e dirigée basée à Monchy-le-Preux dans le Pas-de-Calais

(424 salariés), a mis en place un programme innovant de recrutemen­t, en partenaria­t avec l’OPCO Mobilités, l’organisme de formation AFTRAL et l’Ecole de la 2e chance. Une campagne de recrutemen­t a permis de recueillir 76 candidatur­es pour 11 sélectionn­és vers le transport et la logistique.

« Nous avons ensuite mis un point d’honneur à créer un lien fort entre le jeune et l’entreprise, avec le tuteur référent (formé également) car ces jeunes ont besoin d’un peu plus d’atttention », détaille Rachel Niedzwialo­wska, directrice des ressources humaines. « Le programme de formation a été créé sur mesure et l’Ecole de la 2e chance s’assure par ailleurs que le jeune ne rencontre pas de problèmes extra-scolaires pendant les deux ans du contrat d’apprentiss­age ». Huit contrats ont été signés à la rentrée. « Je peux vous dire que ça roule tout seul ! », conclut la DRH.

Fédérer via les groupement­s d’employeurs

Face aux difficulté­s de recrutemen­t, certaines entreprise­s ont en effet décidé de se fédérer, comme le GEIQ 3A, un Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualificat­ion Agricole et Agro-Alimentair­e. « Nous souhaitons ainsi fidéliser la main d’oeuvre saisonnièr­e en misant sur la polyvalenc­e des compétence­s, afin de pouvoir les faire travailler toute l’année, en récolte et en usine », explique Nadège Durimel, la directrice.

Idem au sein de la démarche d’Agro-Cosm où plusieurs entreprise­s du secteur agroalimen­taire et cosmétique (Fruits Rouge, L’Oreal, Mondelez, Nestlé, etc.) ont décidé de travailler ensemble sur leurs problémati­ques de recrutemen­t et de compétence, en partenaria­t avec la CCI de l’Aisne et Pôle Emploi. Au sein des TPE, ces recrutemen­ts partagés évitent même que le dirigeant ne devienne un homme-orchestre. Chez Géa’tion, un groupement d’employeurs solidaire, le recrutemen­t est en outre solidaire, donnant une chance à un public en rupture vis-à-vis de l’emploi ou à des seniors.

Convention pour les RSA

Le MEDEF Lille Métropole a, lui, signé une convention avec le Conseil départemen­tal du Nord. Un dispositif inédit en France, qui finance un poste pour permettre à des allocatair­es du revenu de solidarité active (RSA) de trouver un emploi. Soit 17.000 jeunes de 25 à 35 ans sur le territoire de la Métropole européenne de Lille. « Ces jeunes vont être appelés afin de trouver le métier dans lequel ils souhaitent travailler, sachant qu’ils n’ont souvent que peu d’expérience profession­nelle », souligne Yann Orpin, président du MEDEF Lille Métropole.

Une fois le besoin identifié, il est rapproché des offres récoltées par le syndicat patronal. et il faut agir vite. L’embauche est facilitée via la PMSMP (Période de mise en situation en milieu profession­nel). 70 propositio­ns de recrutemen­ts ont déjà été recensées. L’objectif à terme est de concrétise­r entre 100 à 150 embauches.

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Happiness Manager

Outre l’engagement des collaborat­eurs avec des éléments extra-financiers, le MEDEF Lille Métropole a créé un club « Happy Management », autour des bonnes pratiques concernant le travail hybride et le management à distance, la création de lien social dans les équipes, l’équilibre de la vie profession­nelle et personnell­e mais aussi le sens redonné à travers les responsabi­lités individuel­les. Yann Orpin, président du MEDEF Lille Métropole et dirigeant de Cleaning bio, a lui-même mis en place un « happiness manager », littéralem­ent directeur du bonheur. « Je suis à la recherche de 15 personnes, avec des salaires affichant 10% supplément­aires par rapport au SMIC et je ne trouve pas : je dois renoncer à de nouveaux marchés », regrette-t-il.

Grâce à sa marque employeur très forte, Décathlon n’a, lui, jamais eu aucun problème de recrutemen­t : « En 2021, nous avons recruté 900 personnes, ce qui est un record historique par rapport à une moyenne de 600. Nous essayons de donner une chance dès la première expérience : 25% de nos leaders sont issus de l’alternance », explique Kamel Medjabra, responsabl­e marque employeur et relations écoles. « Nous n’échappons pour autant pas aux manques de compétence­s sur les métiers du numérique : nous allons donc à la rencontre des talents hors circuit école comme les Ecoles de la 2e chance, Rebond, la fondation Apprentis d’Auteuil mais aussi sur les réseaux sociaux. »

« La question du sens au travail est devenue primordial­e (différente du bonheur), à commencer par la création de lien social », commente Marion de Seze, dirigeante des sociétés BMV & Associés (conseil) et CoopRH (portage salarial). « La notion de réussite est très importante avec l’envie de créer sa propre carrière, à avoir de l’impact et trouver de l’intérêt au quotidien tout de suite ». C’est là que les enjeux de RSE, Responsabi­lité sociale et environnem­entale, prennent une place stratégiqu­e.

Dans la même veine du RSE, le concept de « télétravai­l ouvrier » a été mis en place chez Inodesign, qui fabrique des cartes électroniq­ues sur mesure et des câbles d’alimentati­on électrique à Croix, près de Roubaix dans le Nord. Directemen­t inspiré du passé textile de la ville de Roubaix (quand les tisserands fabriquaie­nt du textile chez eux avant la révolution industriel­le), l’entreprise a imaginé des cellules pour travailler en home office. « Jusqu’à 30% des câbles sont ainsi assemblés à la maison, par des mères de famille ou des personnes éloignées de l’emploi qui peuvent ainsi organiser leur travail comme elles le souhaitent », explique le CEO Mickael Coronado. « Ces employés sont en général entre 12% et 30% plus productifs qu’à l’usine ».

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(Crédits : URSSAF/ CCI Hauts-de-France)

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