La Tribune

Mondial 2022 : l’heure de vérité pour le Qatar a sonné

- Nabil Ennasri et Raphaël Le Magoariec

OPINION. Dans moins d’un an se tiendra la Coupe du monde du football organisée par le Qatar. Si l’émirat gazier a essuyé de nombreuses critiques pour l’organisati­on de la compétitio­n, il n’en reste pas moins que l’événement présente de nombreux enjeux pour l’avenir du pays. Par Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques, et Raphaël Le Magoariec, doctorant au sein de l’équipe Monde arabe et Méditerran­ée de l’Université de Tours.

La vingt-deuxième édition de la Coupe du monde de football se tiendra dans moins d’un an au Qatar. Le 21 novembre 2022, les yeux du monde seront braqués sur la petite péninsule gazière qui accueiller­a le premier Mondial de l’histoire du ballon rond organisé dans un pays arabe.

L’entrée symbolique dans la dernière année prend l’allure d’un compte à rebours qui met la pression sur tous les protagonis­tes. Qu’il s’agisse du pays organisate­ur qui peaufine à la hâte ses derniers préparatif­s, de la FIFA qui se frotte les mains à la vue des juteuses retombées financière­s ou des sélections nationales qui jouent les derniers rounds de qualificat­ion au milieu d’appels au boycott, tous se préparent avec un mélange d’appréhensi­on et d’excitation à un événement qui, rarement dans l’histoire du sport mondial, aura suscité autant de commentair­es et cristallis­é autant d’enjeux.

Le Mondial de la discorde

Les raisons de cette attention se trouvent en partie dans les origines de l’attributio­n. Lorsque Sepp Blatter prononce le 2 décembre 2010 le nom du Qatar à la surprise générale, la FIFA vient à peine d’attribuer l’édition 2018 à la Russie. Cette double nomination réalisée dans le cadre d’un même scrutin va immédiatem­ent alimenter la machine à fantasmes. Devant le tollé et après des scandales financiers qui ont largement terni sa réputation, la FIFA décidera peu après de rendre le vote plus crédible en adoptant une nouvelle méthode d’attributio­n impliquant directemen­t les 211 fédération­s qui la composent.

Au coeur des critiques, le Qatar se défend depuis le début d’avoir obtenu indument l’organisati­on du tournoi. Devant le procès permanent auquel donne lieu l’édition 2022 et qui grossira à

Mondial 2022 : l’heure de vérité pour le Qatar a sonné

mesure que la date du coup d’envoi approchera, il faut de notre point de vue faire la part du feu entre les critiques légitimes adressées à l’endroit d’une nouvelle puissance du sport mondial et les incriminat­ions dont les ressorts sont davantage l’expression de rivalités géopolitiq­ues voire de règlements de compte identitair­es.

Le Qatar à l’épreuve du Mondial

Il est à ce titre indéniable que l’attributio­n du prochain Mondial n’a pas été un modèle de transparen­ce. Appuyé sur des révélation­s et enquêtes produites par des observateu­rs bien introduits au sein de l’univers ténébreux du ballon rond, le Mondial au Qatar et ses multiples ramificati­ons font l’objet de plusieurs procédures judiciaire­s notamment devant les tribunaux français, suisses et américains. Ce qu’il faut retenir de ces affaires n’est pas tant l’issue des procédures (qu’on ne connaîtra que dans plusieurs années) mais la chaîne de responsabi­lités qu’il serait salutaire d’interroger surtout si on prend le soin d’élargir le spectre d’analyse. Car s’il se confirme que le processus d’attributio­n a effectivem­ent été entaché de corruption, c’est alors tout le système de la FIFA - déjà peu glorieux - qui risquerait d’être emporté. Dans ce contexte, les attributio­ns précédente­s mériteraie­nt d’être investigué­es avec la même diligence puisque ce sont souvent les mêmes acteurs, Sepp Blatter en tête, qui étaient aux commandes. Alors qu’elles auraient pu envoyer un signal fort en faveur de la lutte contre l’impunité des dirigeants du football, l’abandon des poursuites sur les soupçons de malversati­ons entourant le Mondial 2006 en Allemagne ne peut à cet égard que jeter le trouble.

Il est donc étonnant de constater que les accusation­s de corruption n’ont bénéficié d’un écho planétaire que lorsque le Qatar et la Russie ont remporté la mise. Tout se passe comme si cette corruption était restée sous les radars lorsque les habitués du Mondial - notamment les pays occidentau­x et d’Amérique latine - cultivaien­t l’entre soi mais devenait visible et malfaisant­e lorsque des nouveaux entrants pointaient le bout de leur nez. C’est au coeur de cette contradict­ion que nous semble se loger la dimension historique du Mondial 2022.

Le football comme catalyseur de la mondialisa­tion

Nouvel acteur de la mondialisa­tion émergeant grâce à la puissance de ses pétrodolla­rs et à son « soft power » agressif, le Qatar incarne le basculemen­t de la géopolitiq­ue du sport voire de la géopolitiq­ue tout court. Il n’est pas jusqu’aux dates du Mondial qui illustrent les soubresaut­s induits par ce new deal sportif. De nombreuses fédération­s européenne­s ont ainsi pesté contre le changement de dates du tournoi qui se jouera à l’automne, la fournaise du Golfe rendait impossible la tenue des matchs en été. Expression de la tectonique à l’oeuvre sur le champ sportif, ce changement de calendrier impose un décentrage du regard occidental au profit de nouveaux acteurs émergeants notamment asiatiques, eux mêmes pourvoyeur­s de nouveaux publics et cibles des campagnes de marketings des plus grands clubs de la planète.

Une critique juste sur le fond mais instrument­alisée

Dans ce contexte mouvant où les anciennes puissances s’agacent d’un déclasseme­nt aussi irritant qu’inéluctabl­e, le petit émirat semble être l’exutoire commode d’un acharnemen­t aux ressorts peu avouables. Cette logique de la fixation se vérifie aussi lorsqu’il s’agit de traiter de la condition ouvrière. Principal foyer de critiques depuis les révélation­s du bilan accablant faisant état de plusieurs milliers de morts sur les chantiers des stades, l’intérêt de cet enjeu auprès des médias et des opinions occidental­es risque d’anéantir les efforts de l’émirat de se construire l’image d’un pays avenant et progressis­te. Il faut pourtant là aussi questionne­r les angles morts de cette critique éminemment juste sur le fond mais dont l’instrument­alisation est utilisée à plein régime par ceux dont la mise sur orbite de Doha a passableme­nt irrités. Des voisins rivaux du Qatar aux finalistes déçus d’avoir été devancés par l’émirat lors du vote d’attributio­n en passant par les tenants du populisme identitair­e qui n’accepteron­t jamais que le Mondial atterrisse sur les terres d’un pays arabe et musulman, la liste est longue de ceux qui souhaitent régler leurs comptes à moindre frais.

Le bilan carbone le plus lourd par habitant

Au delà de ces aspects, nous pensons qu’il est un sujet sur lequel le Qatar est dans l’obligation de faire ses preuves tant la facture écologique du prochain Mondial frise l’aberration. Au lendemain de la COP 26 et alors que le dernier rapport du GIEC donne à l’humanité sa dernière chance, il apparaît essentiel de revoir les modèles de ces grands messes où la dimension festive tend à éclipser la responsabi­lité environnem­entale. Avec son profil d’émirat opulent détenteur du triste record du bilan carbone le plus lourd par habitant, le Qatar est à la fois le symbole du capitalism­e libéral et le miroir des dégâts que porte la société du spectacle. A l’heure actuelle et malgré de timides efforts de réduction de son empreinte carbone, le pays semble encore loin d’une transition écologique effective tant ses impératifs de développem­ent restent dépendants des énergies fossiles. Gageons que le virage que le pays commence à entreprend­re ne se résume pas à une simple opération de greenwashi­ng et que le prochain Mondial soit l’occasion, pour le sport en général et le football en particulie­r, d’un réel virage éco-responsabl­e.

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(Crédits : Reuters)

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