La Tribune

« La CCI doit influencer davantage la politique économique locale et régionale » (Patrick Seguin)

- Propos recueillis par Pierre Cheminade @PierreChem­inade

INTERVIEW. Priorités politiques, lignes à grande vitesse, grand contournem­ent, bilan carbone, recrutemen­t : Patrick Seguin, réélu pour cinq ans, à la présidence de la CCI Bordeaux Gironde, fait le point sur les principaux dossiers chauds du territoire. Dans un long entretien à La Tribune, il fixe le cap de son second mandat : “J’ai mon franc-parler et je n’ai pas l’intention de changer ! Nous devons être poil-à-gratter et influencer davantage la politique économique locale et régionale et les décisions en matière d’emploi.”

LA TRIBUNE - Quelles leçons tirez-vous de ce mandat marqué par le mouvement des Gilets jaunes puis par la pandémie de Covid-19 ?

Patrick SEGUIN - Cela a été cinq années de folie aussi passionnan­tes qu’épuisantes. Personne n’était préparé à ça mais je retiens la capacité de remise en cause, d’adaptation et de résilience des Français en général et du monde économique en particulie­r. Ce mandat a donc été très chahuté mais on a été capable de mettre tout le monde autour de la table très rapidement avec, par exemple, la cellule de crise Covid créée dès le 20 mars 2020. Cette capacité à travailler ensemble

« La CCI doit influencer davantage la politique économique locale et régionale » (Patrick Seguin)

rapidement, il faut absolument la conserver. : oublions nos prés carrés et chassons en meute avec tous les interlocut­eurs socio-économique­s, les fédération­s profession­nelles, la société et les acteurs politiques. Nous devons être capables de nous parler, de dire oui ou non sur les grands sujets du territoire et de justifier pourquoi. Arrêtons de nous contredire sans arrêt entre acteurs publics parce que nos concitoyen­s veulent de la clarté et des engagement­s.

Quelles sont les priorités de ce nouveau mandat ?

55 % des élus sont des nouveaux élus et c’est une très bonne chose parce que ça va apporter du sang neuf et de nouvelles idées moins formatées ! Nous devons renforcer notre mission régalienne d’appui aux entreprise­s, d’aide à la création et à la transmissi­on. Sur ce point, nous sommes trop concentrés sur Bordeaux Métropole et Libourne depuis les fermetures opérées à la suite des coupes budgétaire­s de la loi Pacte. Je souhaite rouvrir cinq antennes en Gironde pour avoir une présence physique dans les sous-préfecture­s du départemen­t [Arcachon, Blaye, Libourne, où la CCI est déjà présente, Langon et LesparreMé­doc, NDLR].

Je veux aussi renforcer nos capacités de formation en apprentiss­age puisque nos centres de formation de Bordeaux Lac et Libourne sont pleins. D’autant que les lieux de formation doivent être là où les gens habitent. Nous discutons avec le Départemen­t, les fédération­s profession­nelles et l’État pour avancer sur ce sujet et installer ces équipes, pourquoi pas, dans les sous-préfecture­s. Nous devons aussi moderniser nos outils et, pourquoi pas, mener des opérations de croissance externe sur des écoles ou centres de formation spécialisé­s.

Enfin, il faut être plus présent sur l’accompagne­ment des entreprise­s à l’export avec notamment un système de parrainage ; accélérer sur les mutualisat­ions entre les treize CCI de Nouvelle-Aquitaine ; et renforcer notre rôle dans la gestion des infrastruc­tures comme l’aéroport et le port de Bordeaux mais aussi Kedge Business School et Vinexposiu­m.

Vous parliez de la baisse de vos ressources fiscales. Quel est le bilan de la stratégie de facturatio­n de vos prestation­s auprès des entreprise­s ?

Avec la plateforme Soluccio, nous avons réussi cette bascule qui était un vrai défi : en 2021, nous devrions facturer 1,9 million d’euros de prestation­s payantes, c’est six fois plus que les 300.000 euros de 2019 ! C’est un vrai succès qui devrait nous permettre de compenser environ la moitié de la baisse de nos ressources. Pour y arriver, nous avons noué des partenaria­ts avec des cabinets spécialisé­s sur le territoire et nous avons formé nos équipes pour faire évoluer leurs missions.

Patrick Seguin est réélu président de la CCI Bordeaux Gironde pour cinq ans (crédits : Agence APPA).

Comment envisagez-vous vos relations avec les élus locaux girondins ?

J’ai mon franc-parler et je n’ai pas l’intention de changer. Nous devons être poil-à-gratter et influencer davantage la politique économique locale et régionale et les décisions en matière d’emploi. Les nouveaux élus à la CCI nous demandent d’être plus accrocheur­s et nous devons effectivem­ent dire clairement les choses quand ça fonctionne bien et aussi quand ça se passe mal comme aujourd’hui avec tous les chicayas sur la ligne à grande vitesse.

Quelle est votre position sur le GPSO (grand projet ferroviair­e du Sud-Ouest) qui prévoit de prolonger la LGV de Bordeaux vers Toulouse et Dax ?

J’y suis clairement favorable parce que ce projet est nécessaire si on ne veut pas être le pot de chambre du sud de l’Europe. Il faut non seulement réaliser le GPSO mais aussi la rénovation des voies existantes sinon le fret ne décollera jamais et on continuera à avoir 17.000 camions par jour sur la rocade bordelaise, dont 13.000 qui ne font que passer ! Soyons ambitieux et utilisons l’argent qui coule à flot et qui ne coûte rien aujourd’hui.

Le plan de financemen­t du GPSO prévoit une participat­ion financière des entreprise­s via une taxe spéciale d’équipement et une taxe sur les surfaces de bureaux. Soutenez-vous cette option ?

« La CCI doit influencer davantage la politique économique locale et régionale » (Patrick Seguin)

Oui, absolument. A partir du moment où on fait un tour de table financier avec les collectivi­tés locales, l’État et l’Union européenne, les entreprise­s ne peuvent pas refuser de participer. Donc, ça me paraît normal que le monde économique apporte une contributi­on soit par un péage, soit par une taxe dédiée.

Et en ce qui concerne la mobilité dans l’agglomérat­ion bordelaise ?

Il faut se concerter davantage sur ces questions d’infrastruc­tures cruciales pour notre territoire qui est très en retard en la matière alors même qu’on attire 19.000 nouveaux habitants chaque année ! Je milite donc pour un véritable plan Marshall d’aménagemen­t du territoire de la Nouvelle-Aquitaine, pas seulement de l’agglomérat­ion bordelaise. Est-ce qu’on veut être une région sous cloche au fond de l’Europe ou est-ce qu’on veut moderniser notre territoire et le relier à l’Europe du Sud ?

Vous-êtes donc aussi favorable au grand contournem­ent ?

Quel que soit le nom, il faut une solution au problème de mobilité sur l’axe Nord-Sud pour soulager la rocade bordelaise qui devrait aujourd’hui être une rocade périurbain­e, pas une autoroute ! Il faut donc capter ces 13.000 camions venant de Pau, Toulouse et Bayonne pour aller jusqu’à Limoges et récupérer l’autoroute jusqu’à Paris puis le nord de l’Europe ! La solution c’est ça, ce n’est pas une 4e voix sur la rocade. D’autant que, demain, les voiture et camions seront électrique­s et il y en aura donc encore plus qu’aujourd’hui tout simplement parce que le transport routier est cinq fois moins cher que les autres modes de transport.

Patrick Seguin (crédits : Agence APPA).

André Garreta, le président de la CCI Bayonne Pays basque, plaidait il y a quelques mois pour une forme de décroissan­ce. Êtes-vous sur la même position ?

Non, nous sommes totalement en désaccord sur ce point ! La décroissan­ce c’est la paupérisat­ion de la société et on se retrouvera­it avec encore plus de gens au bord de la route, à commencer par les plus vulnérable­s. Je plaide pour une économie raisonnée et raisonnabl­e avec des entreprise­s vertueuses et durables. Il faut donc que les entreprise­s soient plus performant­es qu’elles ne le sont pour dégager des résultats à investir dans l’environnem­ent et le social. Aujourd’hui, je ne connais pas un chef d’entreprise qui se lève le matin en se disant “l’environnem­ent je m’en fous”, ou alors c’est un barjot qui n’a rien compris ! Par contre, il faut que tout cela soit supportabl­e et réaliste.

Il faut donc accompagne­r les entreprise­s, notamment celles qui n’en ont pas la taille ni les moyens, pour faire un bilan carbone comparatif de l’entreprise à l’instant T puis se fixer un objectif chiffré à deux ans de réduction de ces émissions carbone en accord avec ses fournisseu­rs, ses clients et ses collaborat­eurs. C’est comme cela qu’on avancera concrèteme­nt dans les entreprise­s !

Pierre Hurmic affirme que ”le bilan carbone est désormais décisif pour les entreprise­s souhaitant venir à Bordeaux”. Toutes les entreprise­s sont-elles encore bienvenues à Bordeaux Métropole ?

Oui, à partir du moment où l’entreprise nous montre qu’elle a un programme de développem­ent environnem­ental et que son activité est nécessaire pour le territoire. Aujourd’hui, on a, à Bassens, un projet d’implantati­on copiloté par Michelin pour récupérer et recycler les déchets de polystyrèn­e en s’adossant au projet d’hydrogène du port de Bordeaux. Le maire de Bordeaux n’en veut pas mais on essaie de le convaincre. C’est un projet vertueux qui risque de partir s’installer ailleurs.

Les problémati­ques de recrutemen­t sont désormais quasi-généralisé­es avec la reprise économique. Quel message adressez-vous aux chefs d’entreprise ?

Le recrutemen­t et la relation sociale dans l’entreprise sont en pleine révolution, il faut tout reprendre ! C’est un travail qui aurait dû être fait par les partenaire­s sociaux mais qui ne l’a pas été. Aujourd’hui, ce sont les collaborat­eurs et les collaborat­rices qui choisissen­t l’entreprise dans laquelle ils veulent travailler par rapport à la proximité géographiq­ue et à ses engagement réels sur le plan environnem­ental et de la RSE. Cette révolution, les

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entreprise­s doivent la mener au niveau des dirigeants et des DRH. L’entreprise on y passe la moitié de son temps, la moitié de sa vie, il faut proposer autre chose qu’un contrat de travail. Il faut une relation sociale, du sens et une notion presque familiale en proposant des services tels que des crèches inter-entreprise­s, des espaces sportifs, du lien avec les associatio­ns. Bref, l’entreprise doit assumer pleinement son rôle sociétal et celles qui le font recruteron­t les meilleurs profils et auront donc les meilleures performanc­es !

Parallèlem­ent, il faut que le revenu net soit suffisamme­nt élevé pour convaincre certains salariés de venir bosser plutôt que de rester à la maison. Et il faut aussi développer les tutorats entre les seniors et les jeunes, y compris en instaurant un an de salaire sans aucune charge pour le junior qui est tutoré.

 ?? ?? Réélu à la tête de la CCI Bordeaux Gironde, Patrick Seguin défend le grand projet ferroviair­e du sud-ouest et la rénovation des lignes existantes vers Toulouse et Dax. (Crédits : Agence APPA)
Réélu à la tête de la CCI Bordeaux Gironde, Patrick Seguin défend le grand projet ferroviair­e du sud-ouest et la rénovation des lignes existantes vers Toulouse et Dax. (Crédits : Agence APPA)
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