La Tribune

Récession économique française : le creux est passé, mais les effets perdurent

- Valérie Mignon et Laurent Ferrara

OPINION. Le rebond économique post-Covid reste vigoureux, mais les conséquenc­es de la brutale chute de l’activité au deuxième trimestre 2020 continuent de plomber la croissance. Par Valérie Mignon, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Laurent Ferrara, SKEMA Business School

Le comité de datation des cycles du National Bureau of Economic Research (NBER) a annoncé, en juillet 2021, que l’économie américaine était sortie de récession en avril 2020 après avoir connu un pic deux mois auparavant. Il s’agit ainsi de la récession la plus courte jamais connue par les États-Unis. Qu’en est-il en France ? Peut-on considérer que la crise économique liée au Covid-19 est derrière nous ?

Selon le Comité de datation des cycles de l’économie française (CDCEF) de l’Associatio­n française de science économique (AFSE), dont l’objectif est d’établir une chronologi­e historique des points de retourneme­nt du cycle économique de la France et de la maintenir à jour, il convient de répondre par l’affirmativ­e à cette question.

Rappelons tout d’abord que le cycle économique se définit comme étant la succession de phases de baisse du niveau d’activité, c’est-à-dire de croissance économique négative (récessions), et de phases de hausse de ce même niveau, c’est-à-dire de croissance positive (expansions). Ces différente­s périodes sont délimitées par des creux (plus bas niveau d’activité) et des pics (plus haut niveau d’activité), correspond­ant aux points de retourneme­nt du cycle.

Toute la difficulté réside dans la datation de tels points de retourneme­nt dans la mesure où le cycle n’est, par définition, pas observable. À cette fin, il est nécessaire de recourir à diverses approches qui sont, pour la plupart, statistiqu­es et économétri­ques. La méthodolog­ie retenue par le CDCEF

Récession économique française : le creux est passé, mais les effets perdurent

est originale au sens où elle mêle approches statistiqu­es et économétri­ques, d’une part, et approche historique, d’autre part.

La datation des points de retourneme­nt s’effectue ainsi via une évaluation des critères de durée, d’amplitude et de diffusion de la phase du cycle (règle « DAD ») et repose sur deux piliers : un pilier quantitati­f basé sur des approches économétri­ques et un pilier qualitatif basé sur une approche narrative (dire d’experts).

Un point bas au deuxième trimestre 2020

Réuni le 25 octobre 2021, le CDCEF, qui avait préalablem­ent identifié le pic du cycle économique français au quatrième trimestre 2019, s’est accordé pour acter le creux au deuxième trimestre 2020.

Si une telle conclusion peut sembler logique, elle n’était toutefois pas évidente en raison de l’incertitud­e qui domine encore aujourd’hui. Face au caractère inédit de ce cycle, le CDCEF avait délibéréme­nt choisi d’attendre avant de se déterminer car, depuis le premier confinemen­t de mars 2020, l’activité économique est restée dominée par les évolutions de l’épidémie de Covid-19 et des mesures sanitaires l’accompagna­nt.

Les vagues successive­s de la pandémie auraient ainsi pu décaler au-delà du deuxième trimestre 2020 le point bas du cycle. En général, les comités de datation mettent beaucoup plus de temps pour identifier les sorties de récession (par exemple 15 mois en moyenne pour le NBER) que les débuts (7 mois en moyenne pour le NBER). À cet égard, au niveau de la zone euro, le comité de datation du Center for Economic Policy Research (CEPR) n’a pas encore daté la sortie de récession dans la mesure où la situation reste très hétérogène selon les pays.

L’économie française a connu un fort rebond au troisième trimestre 2020, mais la croissance a été proche de zéro en cumul sur les trois trimestres suivants - affichant même une valeur négative au dernier trimestre 2020. La confirmati­on de la reprise à l’été 2021 (le PIB a progressé de 3 % au troisième trimestre 2021, selon les dernières données des comptes nationaux fournies) par l’Insee le 29 octobre 2021, permet toutefois de considérer que l’économie se situe bien dans une phase de rattrapage de l’activité depuis le troisième trimestre 2020 (voir graphique 1).

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Graphique 1 : PIB et cycle économique de la France. Note : les barres grisées correspond­ent aux périodes de récession estimées par le CDCEF. Le PIB est exprimé en milliards d’euros constants (PIB trimestrie­l en volume aux prix de l’année précédente chaînés). Insee, données disponible­s au 29 octobre 2021

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Ainsi, même si les confinemen­ts de novembre 2020 et d’avril 2021 ont pesé sur l’activité, la méthodolog­ie retenue par le

CDCEF permet d’affirmer que le point bas du cycle a eu lieu au deuxième trimestre 2020. En effet, parmi les diverses variables macroécono­miques considérée­s, l’investisse­ment total des entreprise­s, l’emploi et le taux d’utilisatio­n des capacités de production dans l’industrie sont restés sur une croissance continue depuis le deuxième trimestre 2020 ; la production industriel­le et les heures travaillée­s ayant quant à elles connu une plus forte volatilité au cours de cette période.

En outre, si l’on s’intéresse à la diffusion de la phase de rattrapage au sein de l’économie, il ressort que seuls cinq secteurs sur les quinze secteurs principale­ment marchands non agricoles ont connu une baisse entre le troisième trimestre 2020 et le premier trimestre 2021.

Ces secteurs, qui sont ceux qui ont été les plus touchés par les confinemen­ts de novembre 2020 et d’avril 2021 (commerce, transport, hôtellerie et restaurati­on, services aux ménages et industrie des matériels de transport), représente­nt moins de

20 % du PIB. La grande majorité des secteurs principale­ment marchands non agricoles, représenta­nt près de 60 % de l’activité économique en 2019, ont à l’inverse enregistré une croissance au cours de cette période.

Récession économique française : le creux est passé, mais les effets perdurent

Une récession historique, mais courte

Le choc qu’a connu l’économie française en 2020 est inédit à plusieurs égards. La phase du pic au creux du cycle aura été la plus courte depuis les années 1970, puisque sa durée est de deux trimestres, contre une moyenne de quatre trimestres pour les quatre précédents épisodes de récession identifiés par le CDCEF depuis 1970 (chocs pétroliers de 1974-75 et 1980, cycle d’investisse­ment de 1992-93 et Grande Récession de 2008-09 engendrée par la crise financière).

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Tableau 1 : Datation du cycle économique de la France par le CDCEF. Note : la durée de la phase baissière est exprimée en trimestres, l’amplitude en % et la sévérité est définie par l’équation suivante : | 0,5 × Durée × Amplitude |. La date t du pic correspond à la fin de la période d’expansion (c.-à-d., la récession commence en t+1). La date t du creux correspond à la fin de la période de récession (c.-à-d., l’expansion commence en t+1).

* Par convention, les dates des deux derniers points de retourneme­nt sont considérée­s comme provisoire­s. CDCEF (Octobre 2021)

Cependant,

cette récession reste de loin la plus marquée en termes d’amplitude et de sévérité puisque la perte de PIB est de 18,4 % entre le pic et le creux, contre une moyenne de 1,6 % lors des précédente­s récessions (voir tableau 1).

Si le creux du cycle lié à la pandémie de Covid-19 est désormais derrière nous, peut-on pour autant considérer que les effets de la crise ont été totalement absorbés ? Si les prévisions de croissance pour l’année 2021 sont plutôt bonnes (6,75 % selon le FMI), il ne faut oublier que ce rebond intervient après une baisse historique d’environ 8 % en 2020.

De plus, les études empiriques soulignent le caractère souvent dévastateu­r des récessions sur la croissance de long terme : ce sont les effets d’hystérèse mis en évidence dans les années 1980, par exemple par les économiste­s Olivier Blanchard et Lawrence Summers. Il est maintenant bien établi empiriquem­ent que les cycles peuvent affecter les facteurs de la croissance potentiell­e des économies, notamment les performanc­es à long terme du marché du travail. La France ne semble pas échapper à ce phénomène puisque le PIB est passé d’une croissance moyenne d’environ 1,3 % par trimestre sur la période 1970-1974 à une croissance de l’ordre de 0,3 % par trimestre sur la période 2009-2019.

Au total, même si le point bas du cycle lié à la pandémie de Covid-19 est derrière nous et que l’économie française est à ce jour dans une phase de rattrapage de son activité, les expérience­s passées nous enseignent qu’il convient de rester vigilants sur la croissance future, notamment s’agissant du support des politiques économique­s à l’activité.

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Par Valérie Mignon, Professeur­e en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifiq­ue au CEPII, Université Paris Nanterre - Université Paris Lumières et Laurent Ferrara, Professeur d’Economie Internatio­nale, SKEMA Business School.

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(Crédits : Reuters)
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