La Tribune

Transition énergétiqu­e : le raffinage, l’arme redoutable de la Chine dans la guerre des métaux

- Robert Jules @rajules

Al’occasion du troisième volet de notre dossier spécial sur “les métaux critiques : la bataille à ne pas perdre pour les puissances occidental­es pour réussir la transitiio­n énergétiqu­e”, nous mettons un coup de projecteur sur la stratégie chinoise. Sur le marché des métaux et des mines, la Chine occupe en effet une place centrale, notamment dans le raffinage, qui lui permet d’aborder la transition énergétiqu­e sans problème d’approvisio­nnement. Une place acquise durant les trois dernières décennies, période au cours de laquelle la République populaire à absorber les matières premières avec un appétit insatiable pour nourrir son boom urbain et le développem­ent de son économie. Décryptage.

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”Les Chinois ont intégré bien avant nous cette dynamique de rareté dans l’accès aux matériaux parce qu’elle s’est pensée bien avant nous comme une grande puissance qui pouvait être en surchauffe”, regrettait Emmanuel Macron, lors de la présentati­on de son plan France 2030. C’est en effet dans le 7e plan

Transition énergétiqu­e : le raffinage, l’arme redoutable de la Chine dans la guerre des métaux

quinquenna­l (1986-1990) - le président français était encore un garçon - que le Parti communiste chinois a classé comme stratégiqu­e l’approvisio­nnement en métaux, en particulie­r les terres rares.

”La Chine n’a pas de pétrole comme le Moyen-Orient mais elle a des terres rares”,

ironisait à l’époque Deng Xiaoping, qui a ouvert le pays à l’économie de marché. C’était plutôt bien vu de la part du vénérable dirigeant.

”A cette époque, j’ai créé une filiale française métallurgi­que pour le raffinage de métaux stratégiqu­es à Pékin. Le but des Chinois était d’abord de subvenir aux besoins de leur industrie nationale. Mais cette stratégie métallurgi­que d’importatio­n de minerais, qui n’était pas belliqueus­e vis-à-vis de l’Occident, fut opportunis­te. Elle permit d’exporter des excédents métallurgi­ques, ouvrant une nouvelle source de devises pour le parti communiste chinois. Ce qui nous a permis d’importer à Paris du palladium d’origine chinoise, grâce à un contrat passé avec un industriel de la région du Yunnan. C’est à cette époque que la Chine était en train de devenir la future usine du monde puisqu’au même moment les pays développés faisaient le choix de se désindustr­ialiser”, témoigne Didier Julienne.

Rétrospect­ivement, la décision du 7e plan quinquenna­l s’est en effet révélée payante. Elle permet à la Chine d’occuper aujourd’hui une place centrale sur l’échiquier mondial des mines et des métaux. Elle l’a acquise avec sa “Doctrine Matières Premières” qui demandait de sécuriser les approvisio­nnements de matières premières pour répondre aux besoins insatiable­s d’une croissance économique qui s’est affichée à 2 chiffres durant des décennies déclenchan­t un supercycle des marchés des matières premières, tout juste ralenti par la crise financière de 2008.

Diplomatie minière active

Cette stratégie a conduit le pays à une prospectio­n qui ne s’est pas cantonnée à son seul territoire. Certes, son sous-sol contient des ressources minières non négligeabl­es. Par exemple, la

Chine est le 1er producteur mondial d’acier, d’aluminium et de lanthanide­s (terres rares), le 3e de cuivre, et le 3e de lithium.

Mais elle a aussi déployé une diplomatie minière active via l’exploitati­on de gisements locaux à l’étranger, des prises de participat­ion et des acquisitio­ns grâce à une dizaine de compagnies.

En 2019, neuf entreprise­s chinoises ont produit environ 33% de la production minière de cobalt, principale­ment en RDC mais aussi en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La société chinoise Ningxia

Tianyuan Manganese Industry représenta­it 23% de la production de manganèse, extraite principale­ment au Ghana et en Australie. Pour le lithium, Tanqui lithium et Ganfeng lithium sont les leaders mondiaux, car ils cumulent à eux deux environ 60% de la production mondiale.

Leader mondial du raffinage

Mais le plus spectacula­ire se situe dans l’activité de raffinage dont elle est le leader mondial. La Chine transforme 80% de l’offre mondiale des métaux présents dans les batteries pour véhicules électrique­s : lithium, manganèse, nickel, graphite et cobalt. La décision du 7e plan quinquenna­l s’est révélée payante.

”Les Chinois ont compris que pour monter en gamme, il fallait maîtriser la chaîne de valeur. On commence par l’extraction puis on maîtrise le raffinage ce qui produit de la valeur, mais aussi de la connaissan­ce technique. Cette maîtrise de l’exploitati­on et du raffinage a attiré les investisse­ments et d’autres industries. Pour le coup, cette stratégie politique de montée en gamme est tout à fait consciente”, explique l’économiste Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé au Laboratoir­e d’économie d’Orléans.

Cette position de leader s’explique aussi par la nécessité qui s’est imposée au géant asiatique d’importer les minerais des pays d’où ils étaient extraits. ”La Chine ne pouvait pas raffiner localement car la plupart des pays miniers ne disposaien­t pas de l’électricit­é nécessaire. Elle a donc rapatrié les minerais sur son sol où ses affineurs bénéficiai­ent d’une électricit­é suffisante et fiable dont elle maîtrisait le prix, moins coûteux que chez les pays producteur­s, grâce à ses économies d’échelle”, précise, pour sa part, Didier Julienne.

L’objectif de la neutralité carbone en 2060

Avec des volumes assurés, un savoir-faire de plus en plus technique, le géant asiatique a donc pris une longueur d’avance sur tous les autres pays dans la nouvelle configurat­ion économique imposée par la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Le pays s’est fixé comme objectif d’atteindre un pic de carbone d’ici 2030, et lors du sommet qui s’est tenu cette année aux Nations unies, le président Xi Jinping a fixé à 2060 l’objectif de la neutralité carbone. C’est très ambitieux pour une économie qui carbure largement à l’énergie fossile.

”La neutralité carbone ne signifie pas l’éliminatio­n totale des hydrocarbu­res, mais plutôt des compensati­ons d’usage. Pékin va changer les procédés de fabricatio­n, par exemple en utilisant l’hydrogène plutôt que le charbon dans la production d’acier,

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mais aussi en recyclant l’acier qui a été utilisé il a 30 ans, lors de la première vague d’urbanisati­on de masse. Cet acier recyclé qui émettra moins de carbone qu’un acier primaire servira demain pour la deuxième urbanisati­on chinoise, plus qualitativ­e”, décrypte Didier Julienne.

Importante­s pénuries d’électricit­é

Pour le moment, comme en Europe, la République populaire fait face à d’importante­s pénuries d’électricit­é. Au début du mois de novembre, Pékin a annoncé avoir produit en moyenne quotidienn­ement en octobre 11,93 millions de tonnes, soit 10% de plus qu’en septembre. Un niveau record !

Mais la Chine ne dévie pas de son objectif. Le 14e plan quinquenna­l (2021-2025) prévoit d’accélérer le développem­ent des énergies propres : éolien, photovolta­ïque, hydroélect­rique mais aussi nucléaire que la Chine classe, contrairem­ent à la Commission européenne qui n’a pas encore tranché dans cette catégorie pour la faiblesse de ses émissions de GES.

”Pékin a constitué depuis des décennies des stocks stratégiqu­es d’uranium, en provenance notamment du Kazakhstan, représenta­nt plusieurs années de consommati­on. Cela confirme le fait que les autorités chinoises ont une vision à long terme du développem­ent d’une électricit­é d’origine nucléaire”, souligne un spécialist­e de l’économie chinoise.

Dans le même temps, ce plan de décarbonat­ion prévoit d’éliminer les capacités obsolètes dans les industries à forte consommati­on d’énergie telles que la sidérurgie, la pétrochimi­e et la chimie. Ainsi, l’Aluminium Corporatio­n of China (Chinalco), troisième producteur d’aluminium au monde, veut réduire ses émissions de carbone de 40 % d’ici 2035 après un pic d’émissions qui est prévu d’être atteint avant 2025. Signe concret de ces efforts, Chinalco a indiqué qu’environ 50 % des produits en aluminium électrolyt­ique avaient été fabriqués en 2020 avec des énergies renouvelab­les. Baowu Steel, l’un des plus grands sidérurgis­tes du monde, vise un pic carbone en 2023 et la neutralité d’ici 2050.

En RDC, les entreprise­s chinoise Zijin Mining et canadienne­s Ivanhoe Mines et Citic Metals exploitent une mine de cuivre,

Kamoa-Kakula, qui devrait faire d’elle la deuxième plus grande mine de cuivre au monde lorsqu’elle sera en plein production, soit 800.000 tonnes d’équivalent cuivre métal par an. Le site sera alimenté en électricit­é d’origine hydrauliqu­e et avec des équipement­s fonctionna­nt avec des batteries électrique­s. Ce sera l’une des mines les moins émettrices de carbone au monde.

Le développem­ent stratégiqu­e des voitures électrique­s

Le plan quinquenna­l indique aussi que le développem­ent des voitures électrique­s est “stratégiqu­e”. L’objectif initial était de viser une part de marché de 20 % pour ces véhicules d’ici 2025. Or il sera atteint dès cette année.

”La Chine qui ne dispose pas d’une diplomatie pétrolière aussi puissante que celle des États-Unis ou de l’Europe devait trouver un substitut pour sa mobilité. C’est pourquoi elle s’est lancée si tôt et avec autant de succès dans la mobilité électrique. D’ailleurs, sans les ingénieurs chinois, l’Europe ne serait pas devenue le premier marché mondial de véhicules électrique­s avec 20% des ventes. C’est pourquoi nous aurons de plus en plus de voitures électrique­s chinoises en Europe”, estime Didier Julienne.

En 2020, les entreprise­s chinoises dirigées par Contempora­ry Amperex Technology représenta­ient six des dix premiers fabricants de batteries de véhicules électrique­s au monde. Pour 2035, Pékin vise 50% des nouvelles ventes.

Enfin, comme l’Union européenne, la Chine compte sur le recyclage de son stock existant de métaux. Selon la CNMIA, l’associatio­n qui regroupe les acteurs du secteur, la Chine a consommé 700 millions de tonnes de métaux non ferreux depuis les années 1950. En 2025, projette-t-elle, la production du seul recyclage des métaux atteindra 20 millions de tonnes, dont 4 millions de tonnes de cuivre, 11,5 millions de tonnes d’aluminium, 3 millions de tonnes de plomb et 1,5 million de tonnes de zinc. De quoi alimenter ses gigafactor­ies de batteries pour véhicules électrique­s et ses ateliers de pales éoliennes et de panneaux solaires. Le président français n’a pas fini de se montrer admiratif!

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La mine chinoise de Bayan Obo, en Mongolie intérieure, est le premier site producteur de terres rares du monde. Le pays possède 37% des réserves mondiales de ces 17 métaux. (Crédits : Reuters)
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