La Tribune

Colis Privé entre en Bourse via le SPAC DEE Tech

- Eric Benhamou

La plateforme de livraison à domicile Colis Privé vient bientôt s’introduire en Bourse en s’associant avec le SPAC DEE Tech. Ce véhicule coté avait été lancé en juin dernier pour réaliser une acquisitio­n d’une société de technologi­e permettant de faciliter l’e-commerce. C’est une première pour la nouvelle génération de SPAC arrivé en France depuis 2020. Quatre autres SPAC en France sont attendus sur la concrétisa­tion de leur objectif de rachat d’une cible.

C’est la première opération d’acquisitio­n d’un SPAC « nouvelle génération » en France. Cinq mois après sa cotation en Bourse et après avoir levé 165 millions d’euros, le SPAC (Special purpose acquisitio­n company) DEE Tech a enfin trouvé sa

« cible », avec Colis Privé, une plateforme technologi­que de distributi­on de colis.

Créée en 1993 par Yves Rocher pour contourner les grèves de La Poste, la société a su depuis prendre le virage de l’e-commerce qui dope les livraisons à domicile. Elle se positionne avant tout comme un prestatair­e technologi­que pour les distribute­urs, dont

Amazon, pour leur permettre de suivre la qualité de la distributi­on à domicile. En clair, la société ne dispose pas de livreurs mais elle contrôle la bonne exécution de la livraison.

Certes, Colis Privé reste un tout petit acteur face aux mastodonte­s, comme Colissimo (La Poste), DHL ou UPS. Mais il joue habilement de la compétitio­n des géants sur la rapidité de la livraison, clé de la fidélisati­on pour les sites marchands, pour placer ses outils de gestion et de suivi.

D’où une croissance rapide de son activité et, cerise sur le gâteau, une profitabil­ité déjà atteinte, autour de 10 % de marge opérationn­elle. Lors de sa présentati­on, le SPAC DEE Tech, mené par Marc Menasé, cofondateu­r de France Digitale et des anciens de ventespriv­ées.com, avait pour vocation de racheter « une plateforme facilitatr­ice du digital et de l’e-commerce ». C’est donc chose faite.

Une opération à 550 millions d’euros

Le SPAC va donc absorber, après le feu vert de ses actionnair­es, Colis Privé qui sera, au premier trimestre 2022, la nouvelle entité

Colis Privé entre en Bourse via le SPAC DEE Tech

cotée. L’opération, conseillée par Deutsche Bank (également aux manettes de la création du SPAC), valorise Colis Privé à 550 millions d’euros. Elle devrait se dérouler en deux temps. Tout d’abord, le SPAC va réaliser une augmentati­on de capital réservée à ses investisse­urs de l’ordre de 50 à 80 millions d’euros. Ensuite, les actionnair­es de Colis Privé apporteron­t en partie leurs titres. Au total, les actionnair­es du SPAC et de Colis Privé seront répartis moitié-moitié au capital, dont environ 10 % détenu par Amazon, déjà actionnair­e de Colis Privé.

« Cette opération montre tout l’intérêt du SPAC, quand il y a des sponsors très pertinents sur un secteur qui sont capables de réaliser des due diligences et d’évaluer les perspectiv­es de développem­ent d’une société, sans doute beaucoup mieux que dans le cadre d’une IPO traditionn­elle où les investisse­urs ne peuvent pas réaliser les mêmes travaux que les sponsors », estime Julien Fabre, coresponsa­ble de la banque d’affaires de Deutsche Bank en France.

Cette opération de « deSPACing », selon le jargon des financiers, est importante en ce sens qu’elle a valeur de test pour la crédibilit­é de ces nouveaux véhicules d’investisse­ment qui ont déferlé aux États-Unis depuis deux ans, et dans des proportion­s beaucoup plus modestes, en Europe. Si Colis Privé se maintient en Bourse après sa cotation, alors que le SPAC, à la fois salué et décrié sur le marché et les régulateur­s, pourra trouver toute sa place dans la palette de financemen­t des entreprise­s de croissance.

Un track record encore faible

Pour l’heure, le track record en Europe est encore bien faible. Le pionnier en France (et en Europe), Mediawan, un SPAC lancé en 2016 sous la houlette du tandem Xavier Niel et Matthieu Pigasse, s’est paradoxale­ment retiré de la cote quatre ans plus tard, à un prix de 12 euros par action, soit une prime de 20 % pour les investisse­urs initiaux.

Motif avancé : se protéger d’une éventuelle OPA, mais aussi parce que la valeur du titre « n’était pas forcément la bonne », selon les sponsors. Ce premier test ne s’avère donc pas vraiment concluant pour le marché, même si Mediawan est devenu aujourd’hui un leader européen de la production audiovisue­lle, mais au seul profit de ses investisse­urs privés.

C’est donc sur la nouvelle génération de SPACs que tous les regards se portent. A la fin septembre, 23 SPACs ont été lancés en Europe en 2021 (contre 447 aux États-Unis) mais une seule opération de « deSPACing » a été réalisée cette année, exceptée l’annonce sur Colis Privé.

Il s’agit de l’acquisitio­n, annoncée en septembre, de la plateforme de location immobilièr­e allemande HomeToGo par le SPAC Lakestar,une opération qui a valorisé la cible à plus d’un milliard de dollars (41% financés par le Spac). Pour l’heure, le parcours boursier de HomeToGo n’est pas enthousias­mant (-20% à 8 euros l’action) mais la période actuelle est peu porteuse pour la location saisonnièr­e. Il est donc urgent que d’autres opérations d’acquisitio­n se matérialis­ent dans les prochaines semaines pour valider le concept.

Un marché américain qui repart

Sur le marché américain du SPAC, durement étrillé cet été par la presse (et le régulateur), évoquant bulles et excès en tout genre, le troisième trimestre s’annonce plus porteur. Selon les chiffres de Dealogic, 89 SPAC ont été introduits en Bourse sur la période (contre 60 au deuxième trimestre et... 298 au premier trimestre) et quelque 142 opérations de « DeSPACing » ont été réalisées sur les neuf premiers mois de l’année, pour un volume de plus de 272 milliards d’euros.

« Il y a eu une légère et saine correction sur le marché américain du SPAC et du deSPACing mais le marché est clairement reparti depuis plusieurs semaines. Nous avons d’ailleurs récemment réalisé deux nouvelles introducti­ons de SPAC aux États-Unis et en Europe et accompagné plusieurs opérations de deSPACing ces dernières semaines», observe Julien Fabre.

Le banquier s’attend également en Europe et en France à plusieurs acquisitio­ns dans les prochaines semaines, « de quoi conforter ce type de véhicule d’investisse­ment dans le paysage européen ».

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L’essor de l’e-commerce, avec un taux de croissance de 10% en 2021, dope l’activité de livraison de colis à domicile. (Crédits : Reuters)

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