La Tribune

Airbus « apporte la réponse » sur la pertinence de la montée en cadence, selon Guillaume Faury

- Léo Barnier

Les ambitions sans précédents d’Airbus pour la montée en cadence de sa famille A320 NEO ne fait pas que des émules. Les investisse­ments nécessaire­s pour arriver à un tel niveau de production suscitent des inquiétude­s, voire des résistance­s, au sein de la supply chain. Fort d’un salon de Dubaï réussi, où l’avionneur européen a écrasé la concurrenc­e, son patron Guillaume Faury estime que les dernières commandes enregistré­es valident sa stratégie.

Fort de ses succès à Dubaï mais aussi d’un niveau d’annulation­s plus faible que prévu pendant la crise, Guillaume Faury est confiant vis-à-vis de la remontée en puissance d’Airbus annoncée au printemps dernier. Rencontré lors du salon, alors que la menace d’une cinquième vague épidémique forte n’était pas encore aussi marquée qu’aujourd’hui, le président exécutif du constructe­ur européen a déclaré être « dans un scénario de reprise qui n’est pas très différent de ce que nous avions imaginé et qui confirme que la valeur du carnet de commandes et la valeur de l’accès aux production­s d’avions est très importante pour les grands acteurs de l’aérien. »

Après avoir subi le plus fort de la crise pendant 18 mois, Guillaume Faury estime qu’il est tant de repartir de l’avant et de se projeter à nouveau vers l’avenir. Un sentiment renforcé lors de ce salon, où les clients se sont engagés sur des commandes pour des livraisons à moyen terme. « Nous continuons à ajouter des avions à notre carnet de commandes pour la deuxième moitié de la décennie. C’est très bien, cela donne de la profondeur, de la visibilité. C’est exactement ce que nous recherchon­s dans la période actuelle », s’est-il ainsi réjouit.

Airbus « apporte la réponse » sur la pertinence de la montée en cadence, selon Guillaume Faury

Rassurer la chaîne de fournisseu­rs sur la pérennité des cadences

Ce discours, également décliné par bribes au cours des différente­s annonces du salon, vise clairement à apaiser les inquiétude­s des sous-traitants. Celles-ci se sont multipliée­s depuis mai dernier et l’annonce par Airbus d’une remontée en cadence très rapide. L’avionneur européen vise 65 appareils par mois d’ici mi-2023 et veut aller plus loin : en dépit d’une crise encore prégnante, il a relancé ses études pour monter à la cadence 70 d’ici 2024, puis à la cadence 75 d’ici 2025. Soit, la production de 900 avions par an.

Cette ambition se heurte ainsi à la prudence, voire la réticence de certains fournisseu­rs à repartir si vite de l’avant après deux années d’une crise brutale et profonde. L’effondreme­nt du secteur aéronautiq­ue a essoré les trésorerie­s, réduit les capacités d’investisse­ment comme peau de chagrin, clairsemé les effectifs et entraîné des pertes de compétence­s significat­ives. L’impact a été d’autant plus dur que l’ensemble de l’industrie avait déjà dû investir fortement et serrer les coûts avant même la crise pour répondre aux exigences des avionneurs et des grands équipement­iers.

S’il entend ces inquiétude­s, Guillaume Faury affirme que ces nouvelles commandes à moyen terme viennent « justifier complèteme­nt les montées en cadence que nous prévoyons pour la deuxième partie de la décennie ». Il ajoute : « Nous sommes en train de nous apporter la réponse à la question : est-ce que la montée en cadence jusqu’à 70-75 va durer ? Il faut que nous répondions à cette question. Nous sommes en train de le faire avec les prospects et avec les nouveaux clients. »

La montée en cadence est-elle risquée ?

Interrogé sur les risques que pourrait présenter la remontée en cadence, notamment avec le besoin d’investir et de consommer du cash à nouveau pour repartir, le patron d’Airbus n’hésite pas davantage : « Ce n’est pas un risque, c’est une opportunit­é. Il faut quand même dire les choses comme elles sont. » Cela ne l’empêche pas de reconnaîtr­e que la tâche sera complexe : « C’est une opportunit­é, mais elle vient avec des difficulté­s de mise en oeuvre. »

Parmi les points positifs, Guillaume Faury pointe le fait que les capacités matérielle­s de production sont restées intactes pendant la crise : « nous redémarron­s avec un outil industriel physique qui était déjà en place en mars 2020 et qui existe toujours aujourd’hui. Il n’y a pas eu de fermeture définitive d’ateliers ou de sites. [...] Il faut réouvrir les ateliers des usines et les remettre en route. »

« Pour l’ensemble de la chaîne de fournisseu­rs, c’est un moment qui est difficile, mais ce n’est pas un risque. C’est clairement une opportunit­é. Ce n’est pas parce que c’est difficile que ce n’est pas positif et tout le monde voit ça très positiveme­nt. Il ne faut pas avoir de doute une seconde par rapport à ça », affirme Guillaume Faury, président exécutif d’Airbus.

Des stocks au plus bas, des prix au plus haut

Ce n’est pas le cas des autres ressources, les acteurs de l’aéronautiq­ue ayant été contraints à des actions fortes pour réduire leurs niveaux d’activité et de stocks et préserver leurs ressources financière­s. Guillaume Faury estime que la gestion du bilan était prioritair­e « face à la brutalité et à la profondeur de la crise » et reconnaît que la faiblesse actuelle des inventaire­s sera source de difficulté­s : « Il faut reconstitu­er les stocks, alors que l’accès à la matière première est compliqué, avec une logistique autour du monde très complexe et très chère. »

Pour l’instant Airbus semble relativeme­nt préservé des pénuries qui touchent d’autres industries comme l’automobile, mais la hausse du coût des matières premières génère des difficulté­s d’approvisio­nnement chez certains fournisseu­rs. Comme l’explique Guillaume Faury, certains d’entre eux sont contraints de « jouer avec le feu » en achetant de suite à des prix élevés ou en prenant le risque d’attendre une solution moins onéreuse.

« La pression sur les prix est très fortement présente dans le secteur en ce moment. Il ne faut pas se voiler la face, la reprise se fait dans des conditions financière­s qui sont quand même très dégradées. »

Le dirigeant assure en tout cas du soutien d’Airbus pour remédier à la situation : « Nous intervenon­s, nous sommes en dialogue permanent avec eux pour éviter des ruptures et pour l’instant nous y arrivons. [...] Nous avons beaucoup de solutions d’aide en groupant des achats sur les matières premières pour faire bénéficier nos fournisseu­rs de conditions d’achat pendant un certain temps. »

L’autre frein majeur pointé par le président exécutif d’Airbus concerne le manque de main d’oeuvre qualifiée disponible après 18 mois de réductions d’effectifs, de gel des embauches et de non-remplaceme­nt des départs : « Beaucoup de gens qui ont quitté les entreprise­s pendant la crise ont trouvé aujourd’hui une

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autre vie ou mettent du temps à revenir. Il faut remettre les gens au travail, et parfois il faut réembauche­r et reformer. »

Airbus appelle à la consolidat­ion

Ce contexte éprouvant pourrait être en tout cas de nature à accélérer le mouvement de consolidat­ion de l’aéronautiq­ue. Airbus l’appelle en tout cas de ses voeux comme l’explique son président exécutif : « Une des opportunit­és pendant la crise, c’était d’accélérer cette consolidat­ion parce que nous pensons que la supply chain aéronautiq­ue aujourd’hui est trop morcelée. Elle a besoin de se renforcer, de se structurer et de s’équiper avec des acteurs plus gros et plus solides. »

Pour l’instant, cette consolidat­ion tarde à se concrétise­r en dépit de l’impact financier de la crise sur les sous-traitants. Les importante­s aides d’Etat ont permis d’alléger la pression sur les trésorerie­s des entreprise­s, avec un accès facilité à la dette, et donc de retarder la nécessité pour certains acteurs de se consolider. Airbus avait pourtant anticipé ce mouvement en investissa­nt très vite et très fort - à hauteur de 116 millions d’euros en juin 2020 - aux côtés de l’Etat, Safran, Thales et Dassault Aviation au sein du fonds Ace Aéro Partenaire­s. Géré par Ace Management (Tikehau Capital) sous la direction de Marwan Lahoud, celui-ci a pour mission de préserver le tissu industriel aéronautiq­ue et d’accompagne­r la consolidat­ion du secteur.

« Nous encourageo­ns les consolidat­ions, celles qui permettent de donner des tailles plus importante­s, plus de solidité et plus de résilience. Nous avons vu qu’avec le Covid, la résilience était le maître mot. Nous sommes dans un monde compliqué, il est fort à parier qu’il y aura d’autres crises et d’autres difficulté­s dans les années et les décennies qui viennent. »

Vers une accélérati­on avec la sortie de crise

La situation pourrait évoluer avec la reprise. C’est du moins ce qu’avance Guillaume Faury : « Ce que nous pensons, c’est qu’en sortie de crise, au moment où ces aides se débrancher­ont progressiv­ement, il va falloir que les sociétés reconstitu­ent du stock et des inventaire­s, du besoin en fonds de roulement. Ils vont avoir besoin de faire face à un manque de solidité de leurs bilans et cela peut être un moment à nouveau intéressan­t. »

Guillaume Faury estime que le fonds Ace Aéro Partenaire­s aura alors son rôle à jouer pour aider cette consolidat­ion, notant d’ailleurs que celui-ci a déjà reçu « de très nombreux dossiers ». Et il indique qu’Airbus continuera à encourager le mouvement, notamment aux côtés du Groupement des industries françaises aéronautiq­ues et spatiales (Gifas) et de son équivalent allemand, le Bundesverb­and der Deutschen Luft- und Raumfahrti­ndustrie (BDLI).

Reste à savoir si la cinquième vague de Covid, qui déferle actuelleme­nt en Europe, sera de nature à modifier durablemen­t la reprise du trafic aérien. Le risque principal pèse sur les vols internatio­naux long-courriers : quinze jours après avoir réouvert leurs frontières aux passagers européens, les Etats-Unis ont déjà relevé leur niveau d’alerte pour les voyages de leurs ressortiss­ants en Allemagne et au Danemark. Le trafic domestique, au coeur des projection­s d’Airbus, semble moins menacé, pour l’instant du moins.

 ?? ?? Airbus vise une montée en cadence sans précédent avec 900 moyen-courriers livrés chaque année à l’horizon 2025. (Crédits : Regis Duvignau)
Airbus vise une montée en cadence sans précédent avec 900 moyen-courriers livrés chaque année à l’horizon 2025. (Crédits : Regis Duvignau)

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